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vendredi 8 novembre 2024

La guerre en Ukraine, la Russie, l'Occident et les autres

En février 2022, la Russie lançait une invasion à grande échelle de l'Ukraine.

Dire que c'était une surprise serait sans doute exagéré, Poutine ayant donné l'habitude de retremper son pouvoir dans les guerres.

En 1999 il y eut la sanglante mise au pas de la Tchétchénie, probablement lancée à partir d'une manipulation: le président de la Douma annonça en effet l'un des attentats justifiant l'intervention trois jours avant que celui-ci n'ait eu lieu.

En 2008 il y eut la Géorgie, dont il envahit sans coup férir 20% du territoire en y créant des républiques clientes, un peu sur le modèle de la Transnistrie moldave.

En 2014 enfin, il y eut la conquête éclair de la Crimée ukrainienne et les troubles fomentés dans le Dombass.

A chaque fois on grogna un peu pour la forme, mais on laissa faire (pour la Tchétchénie, région de la Fédération de Russie, on ne pouvait d'ailleurs pas faire légalement grand-chose), en espérant que ce serait la dernière fois.

Ce qui n’était jamais le cas puisque Poutine recommençait sans cesse, finissant par carrément lancer ses troupes à l’assaut de l’Ukraine toute entière.

L'Occident fut stupéfait de ce changement d'échelle: plus personne n’y est habitué à une telle audace.

Et puis la plupart des analystes étaient persuadés que le coût trop élevé d'une telle guerre empêcherait la Russie de se lancer dans une bataille de cette ampleur. A tort.

En 2010 j'expliquais dans un post la dynamique conquérante de ce pays, qui, contrairement aux autres puissances européennes, n'a jamais renoncé à être un empire, et qui d'autre part n’a jamais fait son mea culpa pour les monstruosités soviétiques (pas de Nuremberg du communisme) et se considère toujours comme doté d’un destin spécial.

Je n'imaginais toutefois pas qu'elle ressusciterait un genre de conflit qui avait disparu sous nos cieux depuis longtemps (j’exclus les guerres de Yougoslavie, qui tenaient plus de la guerre civile et interethnique que d'une véritable conquête coloniale).

Comme la plupart des gens, avant 2022 je ne connaissais que peu de choses de l'Ukraine.

Dans ma tête c'était une sorte de petite Russie, qui fut martyrisée durant l'Holodomor et donna des dirigeants à l'URSS (Krouchtchev puis Brejnev), et à Israël (comme Vladimir Jabotinsky ou Golda Meir), mais mes connaissances se limitaient à ça.

L'âpreté de leur résistance m'a fait un peu plus m'intéresser à leur histoire, conditionnée par le fait qu'il s'agit d'un de ces pays que la géographie semble avoir placé au mauvais endroit, le condamnant immanquablement aux invasions.

A l'instar de ses voisins polonais, baltes ou roumain, l'Ukraine est en effet coincé entre des puissances hostiles, et en plus c'est essentiellement une grande plaine, donc facile d’accès.

La population y est majoritairement slave, et ce pays a pour autre caractéristique d'avoir vu naitre dans ses frontières le premier royaume dont se réclame son puissant voisin, la Rus' de Kiev .

La Russie le considère donc comme partie intégrante de son territoire, et l’a fait plusieurs fois disparaitre de la carte, avec ou sans le concours des autres voisins.

De ce fait, l’Ukraine comporte une très importante minorité russophone, suffisamment vaste et intégrée pour que son président actuel en soit issu.

Volodymyr Zelensky n'est en effet pas seulement juif: sa langue maternelle est aussi le russe et non l'ukrainien, ce qui rajoute d’ailleurs une couche aux fables poutiniennes sur son prétendu régime fasciste et anti-russophones.

Au  final, quelles que soient la profondeur et l’ancienneté des liens ukraino-russes, et malgré cette histoire tourmentée que les pro-Poutine de droite comme de gauche ressortent et déforment à loisir, ma conviction reste claire.

Quoi que l'on pense des régimes et des mentalités des peuples, rien ne justifie une invasion. L'Ukraine ne veut manifestement pas redevenir russe, il faut soutenir l’Ukraine.

Cette conquête a par ailleurs une autre dimension.

Pour moi elle est plus qu'une guerre et je pense qu’elle constitue l’un de ces événements qui font changer d’époque, qu'elle est un test décisif pour ce qui reste de l’ordre mondial que nous connaissons.

Régulièrement sur la planète les cartes sont rebattues.

A l'échelle de l'Europe, depuis que nous sommes passés dans l'ordre dit de Westphalie, entériné par les traités du même nom qui posèrent les bases de la souveraineté étatique, nous avons connu différentes époques.

Chacune fut dominée par une puissance qui imposait un temps les règles du jeu, qu'il s'agisse des Habsbourg et de Charles Quint, de la France de Louis XIV ou de Napoléon, de l'Angleterre, du Reich allemand après Bismarck, voire, pour les partie sud et est, des voisins arabes puis ottomans qui s’y aventurèrent.

Ces dominations étaient toujours intraeuropéennes.

Notre continent eut ensuite la particularité exceptionnelle de se projeter sur l’ensemble du monde.

Ce furent d’abord les Amériques, dès le 16ième siècle, qui furent transformées en Europe bis, puis à partir du 19ième siècle, le reste du globe.

Toutes les puissances régionales, tous les empires, tous les royaumes et tous les ordres sociaux pré existants à cette expansion durent s’adapter à l’Europe, à ses langues, son écriture, son calendrier, sa vision du monde, sa façon de travailler, à son industrie, sa technique, ses normes, etc.

Le point final de ce processus fut atteint au début du vingtième siècle, quand la planète se trouvait divisée entre les mains de quelques puissances.

La plupart d’entre elles avait leur capitale en Europe, et leurs principaux challengers y étaient liés : l’ex-colonie britannique étasunienne d’une part, et l’empire euro-asiatique de Russie d’autre part, qui est une lui aussi une sorte d’extension de l’Europe, partageant un important héritage avec nous.

Les guerres mondiales firent bouger le centre de gravité du monde vers ces challengers.

La première par son incroyable saignée, diminua durablement les forces du continent, ébranla l'ordre établi tout en donnant à réfléchir aux peuples colonisés.

La seconde entérina la mise sous tutelle des anciens maitres du monde, qui devinrent progressivement des seconds couteaux, tandis que se mettait en place ce qu’on allait appeler la guerre froide, période pendant laquelle je suis né et pendant laquelle l’Europe puis le monde se vit divisé en deux camps opposés.

Le premier camp était conduit par l’URSS, l’héritier de l’empire tsariste converti au communisme, système installé par la force dans tous les pays "libérés" par l’armée rouge en 1945 et dont l’attrait idéologique allait permettre à Moscou d'entretenir des chevaux de Troie chez ses ennemis.

Le second camp, le monde dit libre, était dirigé par les Américains, auxquels l’argent, la puissance militaire et la domination culturelle donnaient un leadership incontournable.

Sous l’égide de ces deux super puissances, comme on disait alors, les pays colonisés par l’Europe obtinrent l’un après l’autre leurs indépendances. Ce processus se fit facilement ou dans la douleur, mais en trente ans il fut terminé, à l’exception des colonies soviétiques maquillées en RSS.

Tous les nouveaux venus rejoignirent les instances internationales mises en place après la guerre, comme l’ONU, dans le but affiché de créer un ordre mondial plus juste, qui rejetterait les idées de conquête et d’agression et donnerait à chacun le droit à la parole.

Toutefois, malgré ces instances, malgré la décolonisation et le passage du leadership aux US et à l’URSS, les maitres du monde restaient globalement les mêmes.

Chaque nouveau pays, à quelques exceptions près, devait se ranger bon gré mal gré sous l'un ou l'autre des deux parapluies et participer à l'affrontement général.

Dès sa création l’ONU avait nommé cinq pays membres permanents dans son conseil de sécurité.

Ces membres possédaient et possèdent toujours des pouvoirs étendus, et notamment le droit de veto : il s’agit des USA et de ses clients français et britannique, et de l’URSS et son client chinois.
Cette particularité les favorise encore aujourd'hui, alors que leur importance dans le monde va décroissant.

La guerre froide s’acheva en 1989, lorsque le bloc communiste s’écroula.

En quelques années, l’URSS perdit ses vassaux et une partie de ses colonies, souvent reprises en main par le rival américain, et a contrario les USA connurent alors l'apogée de leur puissance, inégalée pendant au moins une décennie.

Malgré ce bouleversement géopolitique, le la planétaire restait encore donné par les mêmes acteurs : si l’Europe continentale était en perte de vitesse et en avait conscience (l’UE fut une tentative de réponse à cette dynamique) l’ordre mondial restait celui qu’elle avait inventé, qu’il s’agisse de puissance économique, politique, militaire ou normative.

Toutefois, rien n’est éternel, et les signes de la fin de cette hégémonie séculaire se firent et se font de plus en plus tangibles au fur et à mesure que les années passent.

Tout d’abord le poids démographique dans le monde du bloc Europe/Amériques/Monde russe baisse inexorablement.

Ces pays vieillissent et font moins d’enfants, tandis qu'a contrario la plupart des pays dits du tiers monde sont à leur tour entrés dans la transition démographique, cette phase d’accroissement rapide de la population qui assura pour partie l’expansion de l’Europe, lui fournissant en abondance les colons et les soldats dont ses puissances avaient besoin.

En parallèle de ce relatif effacement démographique, de sérieux challengers sont apparus sur le front économique.

Il serait d'ailleurs plus juste de dire réapparus, puisqu’avant l’ère coloniale ces pays étaient des poids lourds de l’économie mondiale, plus en rapport avec leurs tailles et populations.

Le premier à décoller fut le Japon, suivi par la Chine, et ils connurent des réussites exceptionnelles.
 
Le nouvel empire du milieu finit même par dépasser les US en termes de PIB, accompagnant cette réussite d’une remise en cause de l’ordre mondial de plus en plus ferme et belliqueuse.

Dans le sillon de ces deux précurseurs, une grande partie des économies asiatiques se développe fortement : Corée du sud, Singapour, Indonésie, sans oublier l'Inde qui reprend progressivement une place à la mesure de sa taille et de son histoire.

Sur un autre plan, un nouveau mode de contestation marque le monde depuis 1979 : il s'agit de l’islam politique, dont les mouvements bénéficient du soutien des riches pays producteurs de pétrole, et qui tentent d’imposer une autre façon d’organiser le monde.

Les puissances du Golfe, la Turquie et l’Iran veulent ainsi tracer un chemin qui soit le leur, tentant là aussi de retrouver la place qu’ils avaient avant l'ère coloniale.

Toutes ces remises en cause sont logiques et normales du point de vue de la morale et de l'équité.

Il n’y a absolument aucune raison à ce qu’une minorité de pays domine la majorité et lui impose ses vues et ses intérêts, et c’est indéniablement ce qui s'est passé avec l’Occident et le monde russe depuis plusieurs siècles.

Sous différents avatars et avec différents leaders nous avons en effet bel et bien organisé le monde selon notre volonté, sans guère se préoccuper d’obtenir ou non l’accord des autres. C’était injuste.

Néanmoins, il ne faut pas tomber dans le travers de la flagellation et jeter le bébé avec l’eau du bain.

Parmi tout ce que nous avons imposé en termes d'idéaux, plus ou moins atteints, je reste convaincu que la démocratie, la liberté d’expression, la laïcité/la tolérance religieuse, l’égalité des individus ou l’état providence sont des inventions précieuses que nous devons préserver, a minima chez nous.

Les alternatives, qu’il s’agisse de la charia ou du communisme capitaliste chinois ne font pas envie, et les nationalismes qui ont empoisonné l'Europe si longtemps ne sont pas moins toxiques chez les autres.

Nous devons prendre garde à ne pas être à notre tour balayés par ces alternatives dans la redistribution des cartes à laquelle nous assistons.

Il faut donc que notre aire culturelle garde un certain poids, tienne encore bon sur certains points, et se fasse respecter sinon craindre. Pour cela, il faut être en position de force et garder des arguments.

En clair, pour rester ce que nous sommes devenus et perpétuer ce que notre héritage a de bon, tout en laissant les autres reprendre leur juste part, il va falloir être lucides sur nos forces et nos faiblesses, prêts à se battre et être unis.

N’oublions pas que l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs, et qu’elle nous montre que les minorités, privilégiées ou non, qui aident les majorités opprimées sont la plupart du temps décimées de manière indifférenciée lorsque ces dernières prennent le pouvoir.

Nombre de nobles révolutionnaires français ont goûté à la guillotine, les bourgeois internationalistes compagnons de la révolution d’octobre sont morts au goulag, les juifs pro indépendance des pays arabes ont dû fuir, etc.

Il est de plus évident qu'après les siècles de domination par ce que d'aucuns nomment "le monde blanc", le ressentiment et le désir de vengeance sont immenses chez ceux que nous avons dominés, et aussi parmi les diasporas qui en sont issues.

L’idée est qu’au final nous ne devrons compter que sur nous pour exister et que le remords pour le passé ne doit pas nous faire oublier ce point.

C’est ainsi que j’en reviens à la guerre en Ukraine.

Dans ce conflit, la Russie se raconte des histoires et se trompe de siècle. Même si elle se pose en contre modèle, elle partage beaucoup plus qu’elle ne l’admet avec l'Occident, dont elle fait à quelques nuances près, partie.

Les Russes sont un peuple "blanc", dont les racines plongent dans la chrétienté occidentale, l'histoire dans les empires d’Europe, ils ont les mains pleines du sang de peuples autochtones et d’autres continents, ils partagent nos mœurs, notre rationalité technologique, notre littérature.

Moscou connait par ailleurs les mêmes soucis que Paris, Londres ou Berlin : vieillissement et baisse de la population, immigration extra-européenne très forte et porteuse de changements sociaux majeurs, concurrence économique avec la Chine, doublée pour la Russie par les revendications de ces derniers sur les territoires qu’ils ont perdus au 19e siècle.

La Russie est partie prenante de l’ordre créé en 1945, elle bénéficie toujours d’un siège permanent à l’ONU alors que son poids relatif le justifie de moins en moins (comme ceux de la France et de l’Angleterre). Bref, son destin est clairement lié au nôtre.

Du coup la remise en cause de cet ordre que Poutine fait en lançant cette guerre territoriale d’un autre âge lui coûtera autant qu’à nous.

S’il arrive à ses fins, il enverra un signal fort, à savoir la fin du monde défini en 1945.

Par cette invasion il ressuscite l’irrédentisme qui a si longtemps ravagé notre continent, rouvrant une boîte de Pandore qu’on aura bien du mal à refermer.

La Chine sera encouragée dans son verrouillage progressif des mers et dans son projet de conquérir Taiwan.

La Turquie, qui dépèce déjà le nord de la Syrie en toute impunité, pourra dépasser le stade des provocations aériennes en mer Égée et reprendre pied dans les îles grecques, ou soutenir la conquête du territoire arménien convoitée par son allié azéri.

Maduro ne verra plus d'objections à lancer la guerre dont il menace le Guyana.

Etc.

Une victoire russe serait par ailleurs le dernier clou sur le cercueil de l’UE, déjà divisée, vassalisée, concentrée sur des conneries sociétales et idéologiques (comme le changement de nom des fêtes chrétiennes) et déconnectée à la fois de ses peuples et des vrais enjeux.

Et pour peu que les US ne trouvent plus d'intérêt à nous soutenir, nous finirons par nous réveiller dans des pays petits, marginalisés, sans protection ni marges de manœuvre face aux nouveaux mastodontes, lesquels ne seront pas plus bienveillants que nous ne l'étions à leur place.

En conclusion, en voulant récupérer un bout de territoire et détruire un ordre mondial qu'il dit injuste, Poutine se trompe d'époque et surtout il ne se rend pas compte que l'ordre qu'il combat est le sien, qu'il est celui que son pays a mis en place, et qu’en le détruisant il libèrera des forces qui marginaliseront et déclasseront la Russie bien plus surement que ses prétendus ennemis.

Voilà ce que je vois derrière cette guerre imbécile, et voilà pourquoi je pense que son enjeu dépasse la simple question territoriale.

vendredi 14 novembre 2014

Auteurs(5): Svetlana Alexievitch

En 1991, après quasiment 70 ans d'existence, l'URSS annonçait sa dissolution.

Cet événement majeur mettait un point final à la désagrégation du "bloc de l'Est" qui s'était engagée lors de la décennie précédente.

Par bloc de l'Est, on désignait la partie du monde, asiatique mais surtout européen, qui avait suivi de gré ou de force l'ex Russie tsariste dans le système communiste.

Il était grosso modo organisé en trois cercles.

Le premier cercle était constitué par le Pacte de Varsovie.

Celui-ci regroupait dans une alliance les pays dans lesquels les troupes soviétiques avait imposé le système communiste après les avoir "libérés" du nazisme à la fin de la seconde guerre mondiale.

Ses membres étaient l'Allemagne de l'Est, la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Tchécoslovaquie.

Il existait par ailleurs en Europe deux pays communistes qui n'en faisaient pas partie: la Yougoslavie qui l'avait refusé, et l'Albanie qui l'avait quitté en 1968 pour suivre sa propre voie.

Le deuxième cercle, le plus important, était l'URSS.

Cet ensemble, qui constituait le plus vaste état du monde, était composé de 15 républiques européennes, caucasiennes ou asiatiques, dont certaines étaient elles-mêmes des fédérations.

En principe associées, elles étaient de fait toutes dominées et contrôlées par la RSFS de Russie.

C'est cette république, qui a donné la Russie d'aujourd'hui, qui constituait le troisième cercle. 

Elle était de loin la plus vaste et la plus peuplée de l'URSS et se composait elle-même de plusieurs entités fédérées.

Dans les années 80, le bloc communiste et le système soviétique étaient à bout de souffle.

Les sociétés étaient bloquées, les économies exsangues, les populations démoralisées, le climat étouffant. Les Soviétiques ne croyaient plus en leur système, aspiraient au changement, rêvaient de liberté.

C'est dans ce contexte qu'une nouvelle équipe de dirigeants, menée par Mihail Gorbatchev, décida de lancer une autre politique pour sortir le système de l'impasse.

La période de réformes massives qu'ils initièrent est passée à la postérité sous le nom de perestroika.

Le succès fut colossal mais finit par dépasser ses instigateurs.

En effet, alors que ceux-ci pensaient réformer le système, les populations du bloc de l'Est le comprirent comme la possibilité de le mettre à bas.

Du coup, les choses s'emballèrent et toutes les aspirations maintenues jusqu'alors sous le boisseau par l'armée rouge s'exprimèrent au grand jour.

Le mouvement commença dans les pays du Pacte de Varsovie, qui les uns après les autres changèrent d'orientation politique et économique, rejetèrent la tutelle de Moscou et choisirent résolument -et naïvement- le modèle occidental.

Au début, le monde retint son souffle, chacun se souvenant de l'épilogue sanglant des précédentes tentatives (Hongrie en 1956 et Tchécoslovaquie en 1968), mais cette fois-ci Moscou laissa faire.

Dans un deuxième temps, les forces centrifuges atteignirent les républiques fédérées composant l'URSS, puis finalement touchèrent les entités de la Fédération de Russie elle-même.

Certaines républiques réussirent à quitter totalement le giron soviétique et/ou russe, comme les Pays baltes. D'autres sombrèrent dans la guerre civile, comme la Moldavie, l'Arménie, la Géorgie ou l'Azerbaïdjan.

La désagrégation fut cependant stoppée lorsque des entités de la Fédération de Russie, comme la Tchétchénie ou le Tatarstan, commencèrent à réclamer leur indépendance. Moscou réagit alors pour préserver l'intégrité territoriale du pays.

Néanmoins, la Russie qui émergea des décombres de l'Union Soviétique suivit elle aussi le mouvement d'abandon de ses anciens idéaux au profit d'un capitalisme vu comme LA solution.

Le premier président du nouvel état, Boris Eltsine, choisit d'appliquer à l'économie une "thérapie de choc" (mais y en a-t-il d'autres en Russie?) pour rattraper en quelques années l'Occident et arriver à une prospérité partagée.

Mais le paradis promis ne fut pas vraiment au rendez-vous. Le désenchantement fut à la hauteur des espoirs, et c'est un monde chaotique et instable qui remplaça l'inertie soviétique.

Les privatisation sauvages entraînèrent l'apparition de fortunes colossales, une mafia violente et prédatrice tint le haut du pavé, et, surtout, les règles intégrées par trois générations de communistes volèrent en éclat.

Désormais le Parti tout-puissant n'était plus rien, l'état omniscient se désengageait de tout, la propriété redevenait privée (même s'il valait mieux ne pas être trop regardant sur les moyens d'y accéder).

La fin de l'économie planifiée eut pour conséquence une désorganisation du marché du travail, l'explosion d'un chômage inconnu jusqu'alors et une inflation à plusieurs chiffres.

Parallèlement, les produits, les idées, les médias, les devises venues de l'étranger envahissaient un pays jadis fermé.

C'est dans cette ambiance que Vladimir Poutine accéda au pouvoir, apportant avec lui ce à quoi la majorité des Russes déboussolés aspirait: l'ordre et le retour à une certaine politique de puissance, sans pour autant revenir au système précédent.

Ce petit point historique me semblait nécessaire pour donner une idée du contexte sur lequel travaille l'écrivain que je souhaite évoquer: Svetlana Alexievitch.

Cette auteure biélorusse, née juste après la Grande Guerre Patriotique, ainsi que les Soviétiques désignent la Seconde Guerre Mondiale, a connu la deuxième moitié de l'existence de l'URSS, et vécu l'effondrement dont je parle.

Ce n'est ni une romancière, ni une politique, plutôt une sorte de journaliste anthropologue.

Son oeuvre consiste à recueillir l'héritage de ce qu'elle appelle "l'homo sovieticus", c'est-à-dire celui de ces millions de personnes qui comme elle naquirent, grandirent et vécurent dans ce bloc et ce système disparus.

Tous ses livres sont construits à partir des témoignages de ces gens, nommés ou non, mais toujours écoutés avec soin et sans parti pris.

Ce travail lui a valu des menaces et la censure d'une partie de son oeuvre dans son pays, dont le pouvoir n'est hélas guère différent de celui d'alors.

Dans Les cercueils de zinc, elle a recueilli les souvenirs de ceux qui firent la guerre d'Afghanistan, soldats, mères de soldats, infirmières, regroupant leurs expériences, leur ressentis, souvent leur amertume.

Dans La supplication elle fait parler ceux qui subirent la catastrophe de Tchernobyl.

Et dans La fin de l'homme rouge, c'est le fantôme de l'Union Soviétique lui-même qui est convoqué.

L'URSS était une dictature bureaucratique, violente et souvent absurde, qui contrôlait et broyait ses citoyens autant que ses ennemis.

Il y régnait l'arbitraire, source d'injustice et de pauvreté, l'économie, planifiée, y était en faillite chronique, et la doctrine officielle y était aussi omniprésente qu'en décalage avec la réalité d'une vie quotidienne chiche, étouffante et étriquée.

Mais l'URSS c'était aussi l'ancien challenger des Américains et le vainqueur de Hitler, le pays qui avait envoyé le premier homme dans l'espace.

C'était le leader d'une moitié des pays du globe, le premier à s'être lancé dans cette expérience étatique et idéologique inédite que constituait le communisme. A ce titre, c'était un phare pour des millions de personnes à la recherche d'un système alternatif, le berceau d'une doctrine officielle censément plus juste.

Et c'était aussi le pays de tous les possibles, où la volonté de dirigeants mégalomanes lançait régulièrement des projets pharaoniques, des défis collectifs qu'on relevait quel qu'en soit le prix.

Les sentiments de ceux qui ont vécu en URSS semblent osciller entre ces deux visions opposées, entre d'une part le souvenir de la souffrance, de l'injustice, de la violence et du mensonge d'état et d'autre part un sentiment de perte, de regret, de nostalgie.

Cette nostalgie porte sur un monde vu comme plus égalitaire, sur la puissance perdue, et, peut-être le plus important, sur la naïveté d'une époque où tout étant filtré et censuré on pouvait s'imaginer des solutions simplistes, une sorte d'autre avenir radieux en somme.

L’œuvre de Svetlana Alexievitch est essentielle pour comprendre ce qu'était le communisme au quotidien, avoir la version populaire de cet autre système et comprendre l'empreinte profonde qu'il a eu sur tous ces gens.

En lisant ses livres, on comprend mieux ce qu'était l'Union soviétique du peuple et l'énorme traumatisme qu'a représenté la disparition brutale de cet univers pour des millions de personnes.

Et comme tout système de pensée vu de l'intérieur, c'est passionnant.

samedi 9 janvier 2010

Le retour de la Russie

Dans ce post, écrit peu après l'intervention russe en Géorgie/Ossétie du sud, j'expliquais à une amie la vision que j'avais de cet événement, que je situais sur un plus long terme dans l'histoire russe.

Les Russes, depuis les débuts de la reconquête sur les Tatars (lesquels ont donné aux Russes à la fois des gènes -puisqu'ils se mélangeaient et se mélangent volontiers- et des traits de caractère, notamment dans la façon de gouverner), ont eu une forte volonté expansionniste, dans toutes les directions.

En Russie il a toujours existé des "fronts pionniers", un peu comme la frontière américaine, lieux troubles où vivaient un certain nombre de paysans laissés libres et armés par un gouvernement pourtant féodal et rétrograde, en échange d'une sécurisation de cette frontière et d'actions de reconquête sur les Tatars ou d'autres peuples plus "primitifs". Ce sont notamment les fameux Cosaques...

Ces mythiques Cosaques furent d'ailleurs finalement floués, puisqu'au fur et à mesure qu'ils avançaient, leurs territoires passaient sous contrôle de la couronne russe, avec le servage et la perte de droits qui allaient avec, et qu'à terme ils ont été plus ou moins dissous.

Pour mettre en valeur les nouveaux territoires incorporés, les Russes n'ont d'ailleurs pas hésité à faire venir des milliers de colons, surtout allemands. C'est le cas notamment les Allemands de la Volga (que Staline finira par déporter après la seconde guerre mondiale). Mais reprenons nos expansions dans leurs diverses directions.

La conquête de l'Est

Il y a tout d'abord la méconnue conquête de l'Est, par laquelle les Russes se sont peu à peu imposés dans toute la Sibérie, soumettant ou s'alliant avec les peuples autochtones, jusqu'à passer le détroit de Béring et conquérir l'Alaska.

Cette conquête fut davantage le fait d'initiatives privées, d'aventuriers cherchant de nouveaux terrains de chasse pour la fourrure qui faisait leur fortune, que de l’État, lequel n'avait souvent qu'un vague contrôle formel de ces lieux, arrivait après la bataille et ne pouvait de toute façon que fort peu de choses sur ces immenses territoires sous-peuplés.

On trouve l'équivalent de ce mouvement de course à la fourrure au Canada, avec les coureurs des bois francophones et la compagnie de la baie d'Hudson britannique. Et au passage, ça a fini par faire quasiment disparaitre un tas d'espèces, dont les castors (leur poil faisait des chapeaux très tendance).

Cette course à l'Est s'est terminée lorsque les Russes y ont rencontré d'autres états ou empires plus solides: Chinois, Japonais et Britanniques (j'y reviendrai) en Asie, Espagnols et Anglo-Saxons en Amérique (en effet, les Russes sont descendus jusqu'en Oregon, et les Espagnols sont eux aussi montés très haut dans ce qui deviendrait les USA).

Des guerres eurent lieu, la plus connue était celle qui a opposé le tsar au Japon, au début du vingtième siècle, et qui s'est soldée par la première défaite infligée à un peuple blanc par un peuple non blanc à l'armée moderne.

Au passage, cette arrivée d'un Japon modernisé et bien décidé à prendre sa part au découpage colonial du monde a été très mal vécu par l'Occident, c'était la première faille dans l'hégémonie blanche du monde, encore sans équivalent à ce jour d'ailleurs (les puissances non blanches qui montent, type Chine et Inde, sont encore à des kilomètres du Japon et de l'Europe en terme de développement).

Panslavisme, quête des mers chaudes et "reconquête" russo-chrétienne du monde turco-islamique

La deuxième grande impulsion était vécue comme une sorte de "reconquête" des espaces tenus par les Tatars, descendants des troupes de Gengis Khan qui avaient fondé des khanats après la dislocation de l'empire mongol.

Les Russes se sentaient d'ailleurs quelque part les héritiers chrétiens de cet empire (un peu comme les Ottomans se sentaient les héritiers musulmans des Byzantins: il y a beaucoup de parallèles entre Turcs et Russes). Un proverbe russe dirait d'ailleurs "Grattez le Russe, vous trouverez le Tatar"...

Au-delà de cette reconquête est vite apparue l'idée, l'obsession même, d'accéder aux mers chaudes, de façon à se connecter au monde "civilisé", à avoir des ports qui ne soient pas pris dans les glaces pendant les longs mois d'hiver, et donc à pouvoir entretenir une flotte permanente.

Il est apparu également l'idée que Moscou était la "Troisième Rome", qu'elle était le chef naturel de l'église orthodoxe après la chute de Byzance et la conquête de la majorité du monde orthodoxe par les Turcs musulmans.

Ce messianisme, cette idée que Dieu avait choisi la Russie a profondément imprégné les Russes. Il y a là-dedans une sorte de "God bless Russia" à l'américaine. L'opposition à l'islam d'une grande partie des voisins d'Asie centrale, du Caucase et de l'empire turc les confortaient d'ailleurs dans cette idée.

On peut ajouter à cette dynamique le mouvement du panslavisme, par lequel les Russes voient Biélorusses et Ukrainiens comme des Russes, et les autres slaves comme des protégés (à l'exception peut-être du rival polonais, qui avait eu un immense empire et qui était par ailleurs catholique).

L'expansion s'est donc poursuivie de façon permanente au cours des siècles.

Les limites de la conquête: heurts avec d'autres impérialismes

En Asie Centrale, le khanats issus des empires turco-mongols furent pris les uns après les autres, avant que les Russes ne tombent sur un os beaucoup plus sérieux: les Anglais. Ceux-ci étaient en effet eux-mêmes en pleine expansion coloniale et tentaient de prendre le contrôle d'un maximum de territoires gravitant autour de la perle de leur empire: les Indes.

A alors commencé ce qu'on a appelé "Le grand jeu" (the big game en VO) et qui est en fait la lutte plus ou moins ouverte à laquelle Russes et Anglais se sont livrés pour le contrôle du "ventre mou" de l'Asie, notamment de l'Afghanistan et du Pakistan (le livre "Kim", de Kipling, en donne une idée).

Quant à l'Extrême-Orient, il était verrouillé par le Japon, et la Chine était également une autre barrière, une puissance qu'on ne pouvait ignorer, la Mongolie constituant un état tampon entre les deux empires.

Le deuxième point d'expansion un peu particulier est le Caucase. En effet, cette région très spéciale est une zone difficile d'accès, où se mêlent un tas de populations d'origines et religions diverses, mais qui ont en commun une culture farouchement indépendante, un grand sens de la famille et du clan, une culture de la vendetta et des armes qui fait penser à l'Albanie ou la Corse.

La conquête du Caucase est la plus longue et la plus sanglante qu'ait connue la Russie. Elle a été très lente, très coûteuse en hommes malgré des méthodes musclées, et a été remise en cause par les peuples dominés à chaque fois que c'était possible.

Ceci montre au passage que les guerres de Tchétchénie ne sont pas tombées du ciel mais qu'elles s'inscrivent au contraire dans quelque chose de très ancien.

En Occident maintenant, la Russie a voulu également s'étendre, pour sortir de son isolement et jouer dans la cour des grands. Tout d'abord les Russes ont cherché à atteindre la mer noire et à s'étendre au détriment de l'empire ottoman, dont la décadence est contemporaine de l'ascension russe.

Une série de guerres et de pressions leur a permis d'arracher aux Turcs certaines régions, soit des territoires directement annexés, soit des protectorats qui changeaient de maitre. C'est comme ça qu'ils sont par exemple arrivés à prendre pied en Roumanie, alors vassale des Turcs, et à laquelle ils ont arraché le nord de la principauté de Moldavie (ce qui est devenu la république moldave aujourd'hui).

Leurs plans allaient beaucoup plus loin, avec notamment la conquête d'Istanbul, mais les Anglais veillaient, avec les Français à leurs côtés (depuis Louis-Philippe la France avait carrément changé son fusil d'épaule et allait devenir l'alliée des Britanniques). L'idée de ces deux puissances était qu'il fallait limiter l'expansion effrénée des Russes et préserver "l'homme malade de l'Europe", la Turquie, de façon à faire contrepoids.

C'est à ce moment-là qu'eut lieu la guerre de Crimée, où Anglais, Français et Turcs remportèrent la victoire de Sébastopol (d'où le nom du boulevard parisien).

Les conquêtes européennes

En mer Baltique les Russes aussi avançaient leurs pions. Leurs ennemis dans le coin étaient l'empire suédois (il y en a en effet eu un!) et surtout le Reich allemand.
 
Pour simplifier, la Finlande et les pays baltes n'ont pas arrêté d'être colonisés par l'un ou l'autre de ces puissances, pour finir comme colonies russes quelques temps avant la première guerre mondiale.

Par ce biais, Riga et Saint-Pétersbourg devenaient deux ports russes majeurs, et les tsars ont aussi voulu fortifier les îles Äland, archipel suédophone du golfe de Botnie dépendant de la Finlande.

Mais là encore, il y a eu réaction franco-anglaise avec démilitarisation de ces îles et destruction des fortifications.

Plus au sud, il y avait la Pologne, anciennement une très grande puissance et un concurrent de la Russie comme première puissance slave. Suite à divers problèmes intérieurs (notamment la trop grande indépendance des nobles qui empêchait l'état de se moderniser) et pressions extérieures, elle a disparu, partagée en trois fois entre Russes, Austro-Hongrois et Allemands.

Autant les Russes furent des colons doux en Finlande, où ils ont laissé un souvenir suffisamment bon pour qu'une place emblématique d'Helsinki (que les Russes ont fait capitale, celle-ci étant à Turku du temps des Suédois) ait une statue d'un de leurs tsars, autant en Pologne ils furent féroces et cruels, interdisant la langue, engageant de force un tas de gens dans l'armée, et déportant en masse.

Voilà de quoi donner une idée de l'extraordinaire expansion russe à la fin du dix-neuvième siècle, où elle est devenue véritablement le plus grand empire du monde, territoire à cheval de façon continue sur trois continents (jusqu'à la vente de l'Alaska aux américains).

Le premier effondrement (1917) et la reconquête bolchevique (seconde guerre mondiale)

Est arrivée la Première guerre mondiale, et l'effondrement du tsarisme sous les coups des bolcheviks.

Cette période marqua un net recul de la Russie, qui perdit alors les pays baltes, la Finlande, la Pologne, la Moldavie, etc, mais laissa de nombreuses minorités derrière elle.

En même temps que l'empire des tsars, ses homologues ottoman, austro-hongrois et allemand ont également volé en éclats, alimentant une volonté de revanche qui a abouti en Allemagne à Hitler.

Celui-ci désirait créer un grand empire où tous les allemands ethniques se trouveraient réunis dans un "espace vital", reprenant le "Drang Nach Osten" (la marche vers l'est) historique des peuples allemands.

Cet espace comprenait a minima l'Alsace-Moselle et le nord de la France, l'Autriche, l'Allemagne, la Tchéquie (où vivaient quelques millions d'allemands), les pays baltes et la partie de la Pologne qui avait été allemande (ces régions étaient d'anciennes colonies des chevaliers teutoniques).

Étaient également mis au point des plans savants pour récupérer les descendants de colons allemands de l'est (Transylvanie, Bucovine, Russie...) et les réinstaller dans de nouvelles conquêtes, et les nazis envisageaient à terme une expansion infinie vers l'est, s'accompagnant de l'extermination des slaves et permettant au peuple allemand de s'étendre et de rester viril et fort grâce à une guerre éternelle...

Staline, qui voulait reprendre à son compte les rêves impérialistes des tsars, était du même bois. Les deux dictateurs ont donc signé le pacte Ribbentrop-Molotov, qui découpait l'Europe centrale en zones de partage colonial.

C'est ainsi que Staline a attaqué la Pologne, la Finlande, la Roumanie et les pays baltes à peu près en même temps qu'Hitler envahissait la Pologne (je ne maitrise pas trop la chronologie par contre).

Bien sûr, ce retour russe s'est accompagné des pires horreurs, comme par exemple l'emblématique massacre de Katyn (dont ils ont fait porter le chapeau aux nazis) où ils ont tué d'une balle dans la nuque des milliers de dirigeants, officiers et intellectuels polonais.

Une mention spéciale à la Finlande, qui s'est défendue avec un héroïsme et un acharnement auquel personne ne s'attendait, pendant la guerre d'hiver.

Mais en 1941, Hitler, trahissant le pacte avec son homologue bolchevik, attaqua l'URSS. Sa supériorité militaire lui valut d'avancer tout d'abord à une vitesse incroyable, entrainant une panique chez les Russes, avec qui les nazis furent bien plus impitoyables qu'avec leurs ennemis de l'ouest (presque pas de prisonniers).

Il s'agissait en effet pour eux de "nettoyer" la région pour la peupler ensuite de bons Allemands, ce nettoyage portant sur les Juifs bien sûr, mais aussi les slaves, autres "Untermenschen" qui n'avaient pas de place dans l'espace vital du peuple allemand.

Les nazis furent d'abord accueillis en héros dans plusieurs endroits, notamment dans les pays baltes, où la population les attend avec des colliers de fleurs (j'ai vu des photos de ça dans un musée de Tallinn!), ce qui en dit long sur la gentillesse des Russes...bien sûr ils ont tous bien vite déchanté.

Bilan de la seconde guerre mondiale: un empire plus grand que jamais

Après la bataille de Stalingrad, le vent a tourné. Staline a su galvaniser le nationalisme russe et aussi motiver ses troupes à la bolchevik (genre une balle dans la tête s'ils n'attaquaient pas), et, au prix du plus grand nombre de morts de tous les belligérants, il a réussi à reprendre pied partout.

A l'est, il a envahi les îles japonaises des Kouriles et de Sakhaline.

En Scandinavie, il a récupéré la Carélie, moitié est de la Finlande, à qui il a extorqué au passage une dette de guerre énorme.

En Baltique il a reconquis les pays baltes et une partie de la Prusse orientale.

En Europe centrale, il a dirigé ce qu'on a appelé le "glissement de la Pologne à l'ouest", c'est-à-dire que ce pays a perdu sa moitié est au profit de la Russie, et a récupéré en échange une partie de l'Allemagne.

Il a également intégré la Moldavie dans l'URSS, et donné la Bucovine du nord (ex-province austro-hongroise devenue roumaine en 1918) et un morceau de la Roumanie de l'est à l'Ukraine.

Bien sûr, ces remaniements de carte ont été accompagnés de déportations en pagaille. Les pays baltes ont eu des centaines de milliers de déportés (vu la taille des pays, ça faisait un pourcentage énorme).

La Prusse orientale a été vidée de ses Allemands, avec renommage des villes (Koenigsberg, capitale des chevaliers teutoniques, est devenue Kaliningrad, Tilsit, célèbre pour un traité franco-russe sous Napoléon, est devenue Sovetsk...).

La Bucovine, qui avait déjà perdu ses Juifs (massacrés) et ses Allemands (récupérés par Hitler pour peupler d'autres territoires), a vu la déportation de tous ses Roumains et cette fascinante région cosmopolite s'est vue "ukrainisée".

Les Tatars de Crimée, les Allemands de la Volga et autre minorités "fascistes" ont été envoyés en Sibérie, qu'il fallait peupler à tout prix contre la Chine.

Des Juifs ont été incités à s'installer au Birobidjian, cette RSS où le yiddish était co-langue officielle, créée dans un trou perdu le long de la frontière mongole (elle a ensuite été plus ou moins dissoute et la majorité des Juifs en sont partis).

Et les républiques du Caucase ont également été redécoupées et leurs habitants déplacés de telle sorte que plus jamais il n'y ait un territoire coïncidant avec un peuple, mais qu'au contraire tout soit imbriqué de façon à ne rien pouvoir changer sans explosion majeure.

Et bien sûr, partout où l'on vidait un territoire d'une population, on installait des colons russes, des "homo sovieticus" qui sont aujourd'hui devenus ceux qu'on appelle parfois les "pieds-rouges", par analogie avec les pieds-noirs, et qui servent d'otages ou de prétexte à Moscou pour intervenir dans ses anciennes colonies.

La dernière tentative d'expansion, mis à part les "remises au pas" musclées que les Russes faisaient dans leurs satellites d'Europe de l'est, a été la conquête de l'Afghanistan sous Brejnev, qui s'est terminée par un retrait des Russes en catastrophe, vaincus par les talibans armés et entraînés par les Pakistanais et les Américains (on voit ce que ça a donné aujourd'hui au passage...).

Ensuite est venu Gorbatchev, qui voulait réformer l'URSS mais a été dépassé par les événements, et tout a de nouveau éclaté, cet éclatement se poursuivant/confirmant sous son successeur Eltsine.

La fin de l'URSS et le deuxième effondrement

Les satellites sont tous partis de manière plus ou moins facile, et les républiques baltes et la Moldavie sont sorties de l'URSS, les premiers avec succès malgré des tensions et des violences, la seconde avec une guerre civile et la sécession de la Transnistrie.

Ce repli s'est terminé avec l'arrivée de Poutine, qui a lancé depuis quelques années une énième reconquête de l'espace d'influence russe et essaye de consolider le reste, notamment en tentant de résoudre le défi majeur que représente la démographie en chute libre du pays (il essaye de repeupler l'est avec les Russes de l'étranger, mais ceux-ci, quand ils viennent, choisissent plutôt l'ouest du pays).

Voilà donc un bref panorama du pays le plus grand du monde et sa longue et méconnue histoire coloniale, qui contrairement à la nôtre, est loin d'être finie.