lundi 17 novembre 2014

Les vieux cons de 68

Alain Resnais est mort récemment (ce post a été commencé il y a un certain temps).

J'ai aimé plusieurs de ses films, mais ce n'est pas de ça dont je veux parler aujourd'hui.

En fait, c'est un article sur sa carrière qui m'a inspiré ce post.

En le lisant, j'ai eu le sentiment d'une litanie crachotée par un de ces petits vieux qu'on caricature et qui disent "de mon temps" en ressassant toujours la même chose.

En effet, tous les mots-clés indispensables à tout hommage aujourd'hui étaient là: "jeune", "moderne", "engagé", "rebelle", "contre l'établissement", "révolté", "anticonformiste", etc.

Son virage d'un cinéma purement engagé (mot qui dans la presse signifie engagé à gauche) vers quelque chose de plus intime et attaché à l'humain était excusé, comme s'il était regrettable en soi.

J'ai vraiment eu l'impression d'avoir lu ça cent fois.

Le discours de cette intelligentsia établie, bien nourrie, bien installée au cœur de la société, ayant bien verrouillé ses positions professionnelles, immobilières et/ou politiques mais qui se revendique encore et toujours d'une prétendue subversion est une caricature, pénible dans le meilleur des cas, insupportable quand on regarde les faits.

Car au fond, qu'a-t-elle fait de si extraordinaire cette génération? En quoi cet espèce de libertarisme dont elle se revendique est-il si méritant et révolutionnaire? Et qu'en est-il sorti de concret et de si différent?

Ils sont nés à une époque révolue, où l'emploi n'était pas un souci, où le monde était encore à l'Occident et plein de promesses pour leur pays, où contrairement aux générations qui les avaient précédés ils n'avaient pas de guerre à faire, où le sexe était à peu près sans danger.

Ils ont donc pu faire des expériences, discuter, rêver. Tant mieux pour eux. Ils avaient même raison et ce serait être aigri et malvenu de leur en vouloir pour ça. Mais où est le mérite?

Et puis quand ils racontent cette période et parlent de "leur génération", est-ce si vrai? Tout le monde a-t-il été concerné? Tout le monde était-il sur les barricades ou dans un combi en partance pour Katmandou?

Évidemment non, et j'ai connu plus de gens de cette génération occupés à travailler dur et pour qui cet événement n'évoque rien d'autre qu'une période de troubles plus ou moins inquiétants comme le pays en connaissait régulièrement.

Le mai 68 "rebelle" et "subversif" dont on nous rebat les oreilles, les coopératives, l'amour libre et le retour à la terre furent l’œuvre d'un petit pourcentage de la bourgeoisie, pas du peuple, lequel, comme d'habitude, avait d'autres chats à fouetter et pensait amélioration de ses conditions de vie, augmentations pour suivre l'inflation, etc.

Le "Rentrez chez vous: un jour, vous serez tous notaires!" que leur lança Ionesco à l'époque (ce qu'ils ne lui pardonnèrent jamais) était visionnaire.

Depuis 68, le temps a passé, le monde a changé, d'autres gens sont arrivés, le contexte n'est plus le même, les choix non plus.

Les soixante-huitards ne sont plus rebelles mais bourgeois, établis, installés.

Aujourd'hui ce sont eux les conservateurs qui veulent continuer à jouir sans entraves, quel que soit le prix à faire payer à leurs successeurs, ce sont eux qui donnent dans l'auto-référence et voient le monde avec des lunettes d'un autre âge.

Rien de bien original, au fond, ils rejouent la même pièce que leurs parents, et on peut parier que leurs enfants connaitront la même évolution.

Mais ce qui agace dans tout cela est le refus de reconnaitre que leur seul mérite est d'être nés au bon moment, dans le bon milieu, dans une phase d'ascension, d'avoir été la première génération sans guerre, la plus importante numériquement, celle du boom de la consommation et des progrès sociaux qui ont peu à voir avec eux.

Leur "de mon temps" n'a pas la même nature que celui qu'ils reprochaient à leurs parents puisque eux prétendaient vouloir changer le monde, mais ils n'en sont pas moins les nouveaux "vieux cons".

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