lundi 6 juillet 2015

Les renards de Belyaev et les mouches de Mori

La vie est courte.

Cette phrase qu'on dit tous un jour n'a pas la même signification pour tout le monde.

Selon leur hérédité, les conditions de leur existence et leur milieu d'origine, l'espérance de vie des Terriens peut varier du simple au double.

Et ces variations sont encore plus importantes si l'on regarde le règne animal.

L'homme ne vit pas très vieux comparé à certains animaux. Mais par rapport à d'autres espèces, notamment d'insectes, il peut sembler immortel.

Profitant de ce différentiel d'espérance de vie, certains scientifiques ont lancé des expériences au long cours impliquant plusieurs générations d'animaux.

C'est de deux études de ce type dont je vais parler aujourd'hui.

Les mouches de Mori

Syuichi Mori était un biologiste japonais qui avait décidé de forcer l'évolution d'une espèce particulière de mouches en en élevant plusieurs lignées dans l'obscurité la plus complète.

L'idée était de voir si ces insectes allaient connaitre une évolution similaire aux animaux vivant dans les grottes ou les abysses, avec par exemple disparition ou atrophie des organes de vision.

A ce jour cela fait 57 ans que l'élevage existe, soit 1400 générations de mouches ayant vécu dans le noir. Rapporté à l'espèce humaine, cela correspond à 30.000 ans!

Malgré ce chiffre vertigineux il s'avère que les mouches ont très peu changé. Et quand elles l'ont fait, il est impossible de savoir s'il s'agit d'accident ou d'évolution.

On a pu constater que cette lignée a les poils plus longs, qu'elle pond plus et qu'elle a développé un gène permettant d'activer un processus provoqué habituellement par la lumière solaire.

Mais rien d'extraordinaire ou de radical: toutes les mouches ont conservé leurs yeux et se réadaptent rapidement à la lumière du jour si on les y expose. La période est peut-être trop courte ou bien les stimuli ne sont pas assez importants.

Actuellement Mori est décédé mais son expérience continue toujours.

Les renards de Belyaev

L'autre expérience, initiée par le généticien russe Dimitri Belyaev, est tout aussi longue, mais porte sur un animal plus évolué: le renard.

Le scientifique voulait tenter de reproduire le processus de domestication qui a conduit le loup à évoluer vers le chien en l'appliquant à un de leurs cousins proches.

Pour cela, il sélectionna 130 renards dans une ferme où l'on en élevait pour la fourrure, ce qui permit de démarrer le processus avec des sujets déjà habitués à la captivité.

Ces animaux furent installés dans une ferme scientifique de Sibérie, et une opération de sélection effectuée sur leur descendance.

Cette démarche est un peu similaire aux patientes sélections faites par les paysans du monde entier pour créer des animaux plus fertiles, plus gros, plus forts ou plus prolifiques, mais dans notre cas le critère unique était la docilité.

Belyaev pensait en effet que c'est ainsi qu'avaient procédé, de manière empirique, les premiers humains lorsqu'ils apprivoisèrent le loup.

Ainsi, génération après génération, n'étaient conservés que les renardeaux tolérant la proximité humaine, voire la recherchant.

Aujourd'hui, plus de cinquante ans après le début de l'expérience, les descendants des premiers animaux acceptent l'homme et interagissent avec lui.

De plus, de surprenantes modifications sont apparues dans leur aspect et leur métabolisme. Leur fonctionnement hormonal a évolué,et beaucoup de renards sont désormais tachetés, ont les oreilles tombantes et les queues qui s'enroulent.

Ces effets secondaires semblent démontrer qu'il y a un lien entre le rapport aux humains et la morphologie.

Comme Mori, Belyaev est mort avant d'être arrivé à ses fins. Il prévoyait que le processus serait terminé lorsque les renards auraient appris l''obéissance et seraient dressables.

Ce n'est pas encore le cas, et son expérience continue, même si elle est désormais menacée.

En effet le changement de régime en Russie a réduit les fonds et la met en péril. La fondation en est bien souvent réduite à vendre des renards domestiques lorsque c'est possible et son avenir hélas incertain.


Ces deux études sur des spécimens vivants m'ont fasciné.

Elles prouvent que sans aller jusqu'aux OGM il est possible sur un long ou moyen terme de modifier une population par la sélection, allant dans le sens des théories de Darwin.

Liens
- Sur les mouches ICI et ICI
- Sur les renards ICI, ICI et ICI

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