samedi 11 janvier 2020

Balades urbaines nocturnes

Enfant de la campagne profonde, ses paysages, sa faible densité, ses sons, ses odeurs et son atmosphère me manquent de plus en plus avec l'âge, surtout dans cette vie parisienne qui est la mienne depuis plus de dix ans.

Même si j'aime l'architecture et les monuments, les images de champs, de forêts, de cours d'eau, de collines ou de villages surpassent généralement pour moi le plus beau paysage urbain.

A une exception: la nuit.

Dans les villes, surtout les mégapoles comme celle où je réside, la nuit n'a rien à voir avec celle de la campagne. Entièrement artificielle, elle constitue une revanche sur la nature et crée des paysages étranges et fantastiques.

En ce moment, il m'arrive de longer le périphérique à vélo lorsque je rentre tard (plus souvent qu'à mon goût d'ailleurs, merci à la RATP), ce qui offre à mon regard des portions de Paris et de sa banlieue que d'ordinaire je n'ai pas le temps de voir.

Depuis toujours j'ai été attiré par la vision des tours et des immeubles éclairés. Je goûte particulièrement les fenêtres allumées sur les façades, comme autant de spectacles et d'ouverture sur des mondes.

Il y a des bureaux où l'on voit des gens BCBG s'affairer, discuter ou pianoter sur leurs claviers. Les parois vitrées d'aujourd'hui permettent d'avoir une vision complète de tous ces petits univers.

Il y a les appartements, superposés, qui laissent deviner des vies, d'autant plus facilement que les gens semblent de plus en plus se passer de rideaux.

Du fond de la cour de mon immeuble, quand on se met sous les arbres de "l'espace vert" de la résidence on est en face d'un mur d'appartements qui font un L, et dans l'obscurité on peut deviner ce que font leurs habitants.

C'est comme un mur de télés simultanément allumées, une de ces régies ou un de ces centres de sécurité où l'on surveille plusieurs endroits à la fois.

Parmi les éléments qui attirent mon oeil, il y a aussi les gymnases, gros parallélépipèdes dont seules des fenêtres en hauteur laissent imaginer ce qui s'y passe, et par lesquelles s'échappent les cris, les bruits de balle ou de pas.

Autre lieu de sport, les salles de fitness. Plus généralement au rez-de-chaussée et presque toujours vitrées, elles montrent de manière assez impudique les gens en train de forcer et de transpirer.

Les trains ou métros que l'on croise, surtout lorsqu'on est en hauteur ou qu'ils sont bloqués en gare ou en pleine voie (trop banal ici), donnent également un aperçu furtif des multiples transhumances urbaines.

On y reconnait les gens qui rentrent chez eux après le boulot, ceux qui s'y rendent, les endimanchés qui vont à quelque fête, les bandes, ceux dont on devine qu'ils rejoignent un aéroport ou une gare, les paumés qui sont là sans but...

Lorsqu'on traverse les ponts qui surplombent les autoroutes urbaines, pour peu qu'on soit très en hauteur, les phares allumés qui se succèdent sur celles-ci donnent l'illusion d'un long serpent lumineux qui ondule sans fin et grogne sans s'arrêter.

Mais ce je préfère sans doute, ce sont les sites industriels: entrepôts éclairés où quelques fois des gens s'affairent très tard, fumées d'incinérateurs ou d'usines qui dessinent des arabesques fantastiques parmi les lumières de la ville, verrières d'anciennes usines reconverties ou non, machines et tuyauteries exposées derrière des vitres.

Je me souviens d'un étrange bâtiment à Limoges, devant lequel je passais lors de mes insomnies en jetant systématiquement un regard émerveillé sur ses tuyaux et câbles perpétuellement éclairés à travers ses parois de verre. Je crois n'avoir jamais su à quoi il servait.

Mêmes les "cités" des moches quartier dortoirs, sinistres en journée avec leur béton mal vieilli, prennent le soir un air poétique lorsque fenêtres et balcons se détachent de l'obscurité, chacun ayant son style et sa vie. A Noël il y a toujours un côté émouvant à y surprendre un balcon décoré clignotant de mille feux.

La nuit est un moment étrange pour la créature diurne que nous sommes. C'est l'instant où se réveillent des angoisses ancestrales, celui aussi où l'on laisse aller à tomber le masque.

La Fée Electricité nous a libéré de la grande terreur primitive, que l'on peut justement encore deviner dans les campagnes, et en ville elle nous offre un spectacle sans cesse renouvelé qui m'a toujours fasciné.

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