On dit souvent que la vie est faite de rencontres et que c’est leur cumul qui la construit.
Je pense qu’elle est également faite de séparations, qui peuvent être des étapes toutes aussi marquantes et structurantes.
Elles peuvent concerner des membres de la famille, ces gens que la vie nous impose, ou bien des personnes que l’on a choisies -amis, conjoints, etc- et avec lesquelles les liens sont parfois plus forts que ceux du sang.
La séparation par excellence, celle qui est aussi incontournable qu’irréversible, c’est la mort.
Que l’on croit en un au-delà ou à la réincarnation, qu'on ne sache pas ou qu'on ne croit à rien, jamais plus on ne reverra celui qui s’en va tel qu'on l'avait connu.
Les premières pertes sont généralement familiales : les grands-parents, puis les parents.
Certains disent qu’on ne devient vraiment adulte que lorsqu’on a enterré les auteurs de ses jours, que l’on devient en quelque sorte "le prochain" sur la liste. J'ai tendance à penser que c'est vrai.
Beaucoup de gens ont une relation extrêmement puissante avec leurs parents.
Pour le meilleur ou le pire, ce n’est pas mon cas, mais je sais que leur disparition supprimera les fondations les plus profondes de mon existence, et je l’appréhende.
Je n’en suis pas encore là, mais je les vois décliner, et je reconnais sur eux certains signes que j’ai vus sur leurs propres pères et mères avant que ceux-ci ne meurent.
Il existe une autre séparation, pas toujours aussi définitive que la mort, mais qui peut être douloureuse et dramatique : l’exil.
Je pense aux ex-colons après les indépendances, aux métis devenus indésirables dans un monde qui a changé, à ces membres d’une nomenklatura déchue, comme ces Russes blancs ou ces Iraniens pro-Shah qui perpétu(ai)ent un pays qui n'existait plus.
Je pense aux gens qui ont changé de côté du pays avant que celui-ci ne soit coupé en deux : Coréens, Allemands ou Chypriotes, tous isolés de leur ancien monde par un mur.
Tous ces exilés ont été séparés d'un univers/d'un pays, d'une terre, mais aussi de gens, proches ou moins proches, de voisins, etc. Pour eux c’est impossible de revoir ce monde disparu, mais aussi très souvent de retrouver les gens qu’ils ont perdus.
L'émigration est une autre version de l’exil, cette fois-ci pas forcément liée à la géopolitique, avec ces gens qui partent clandestinement ou non à des kilomètres de chez eux pour y tenter leur chance.
La plupart rêvent de retour, de préférence enrichis, mais tous n'y arrivent pas, et s'ils y arrivent ce n'est plus pareil car l’expérience les a changés, tout comme le pays quitté a changé en leur absence.
Aujourd'hui avec la révolution des transports la rupture est généralement moins longue et radicale, mais les éloignements durables existent toujours, notamment lorsque la personne n’a pas d’existence légale ou qu'elle est trop pauvre pour faire des allers retours.
J’ai évoqué des cas tragiques, mais au-delà de ceux-ci, toute vie ordinaire comprend son lot de séparations.
La plus banale et fréquente est celle qui est liée tout bêtement à un déménagement.
On part pour le travail, pour les études, pour suivre ses parents ou son conjoint. Ou alors c’est un proche qui part pour les mêmes raisons.
Même si elle n'est pas définitive ou irréversible, même si la distance n'est pas forcément très grande, la séparation est bien là et génère des marques.
La personne qui comptait est désormais plus loin, on ne la voit plus aussi facilement, et si l'on ne s'astreint pas à garder un lien elle peut progressivement disparaitre de notre vie.
A l'heure du web, il est certes beaucoup plus simple de garder le contact, mais même si on l'entretient, la relation n'est malgré tout plus la même.
J'ajouterai que dans notre monde où l’on n’a jamais autant bougé, ces séparations sont devenues banales, courantes, mais qu’elles ne sont pas pour autant plus faciles.
En grandissant on s'y résigne, mais pour un enfant c'est douloureux.
Je me souviens de ma tristesse quand mes cousins rentaient chez eux après trois semaines chez notre grand-mère près de chez moi.
J'ai vu le même chagrin chez mes enfants et leurs propres cousins après les rituelles retrouvailles de Noël.
Mon deuxième fils a aussi beaucoup souffert du déménagement de son meilleur ami, même si ce dernier est allé dans une commune proche.
D’ailleurs, à propos d'enfants, il est une autre séparation aussi naturelle que difficile : c’est le moment où ceux-ci s'envolent, quittent le cocon familial pour voler de leurs propres ailes.
Cette séparation intervient plus ou moins tôt selon les circonstances, parfois jamais (et pas seulement si l'on est un Tanguy: ça peut être un choix), parfois à moitié si l’on réussit à vivre toujours près d'eux.
Mais dans la majeure partie des cas, il y a un moment où l’enfant s'envole.
Parfois, notamment dans le monde rural, il part pour suivre des études ou pour travailler. Plus souvent il s'installe avec un conjoint et quelque fois la famille de ce dernier.
Mes enfants ne semblent pas souhaiter partir pour le moment, et vivant en Ile-de-France, ils n'y sont pas obligés comme j'ai pu l'être dès mes études.
Je me prépare néanmoins doucement à l'idée, souhaitant ce départ pour leur bien et le redoutant aussi, comme tout parent, avec la crainte de devenir pour eux un étranger, ou le petit vieux dépassé et ennuyé que je serai très certainement un jour.
Charles Aznavour a merveilleusement raconté les tourments d'un père qui marie sa fille dans sa chanson A ma fille, et Jean-Jacques Goldman, dans son plus sibyllin et très émouvant Puisque tu pars évoque les sentiments que provoque une séparation.
"Sibyllin" est effectivement le terme approprié, dans la mesure où cette chanson a largement été incomprise. https://blog.parler-de-sa-vie.net/exegeses/puisque-tu-pars permet de faire toute la lumière sur la vraie signification de ce titre.
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