Affichage des articles dont le libellé est contre-société. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est contre-société. Afficher tous les articles

vendredi 20 mai 2016

Apartheid, hijra et mixité sociale

La vague d'attentats islamistes que connait l'Europe est la confirmation d'un sérieux problème social et d'une importante fracture entre les populations.

La cause identifiée par tous et répétée jusqu'à plus soif, y compris jusqu'au plus haut niveau puisque notre premier ministre n'a pas craint de parler d'apartheid social, c'est qu'il n'y aurait pas assez de mixité sociale, un mot qui veut en réalité dire mixité ethnique.

Ainsi, on dénonce inlassablement le fait que les immigrés de culture musulmane seraient sciemment maintenus dans des ghettos à l'écart du reste de la population et de sa prospérité supposée.

Et donc en conséquence, pour corriger le problème et rendre la société solidaire et apaisée, il suffirait de disséminer les populations immigrées, et en premier lieu les musulmanes, au milieu de la population autochtone: l'intégration se ferait alors naturellement et harmonieusement.

Pour mettre cela en œuvre, rien de plus simple: on force les Européens à laisser racisme et préjugés au vestiaire, et on met en place cette diversité tant vantée à grands coups de HLM savamment implantés au cœur des quartiers dits bourgeois.

Soit.

Mais à mon avis, ça ne peut que foirer.

En effet, on oublie la moitié de l'équation, parce que pour qu'une rencontre ait lieu, il faut en effet être deux.

Que les autochtones n'aient pas forcément envie de se mélanger, c'est généralement assez vrai. La peur de l'étranger et le rêve d'entre-soi sont aussi vieux que les villages (rappelons-nous Brassens).

Mais qu'en est-il des fameux "ghettoïsés"? S'est-on demandé s'ils ont envie de ce mélange et s'ils considèrent ladite mixité comme bénéfique et souhaitable?

La réponse n'est rien moins qu'évidente.

L'obsession croissante du halal dans tous les domaines de la vie (vêtements, nourriture, enseignement, mixité sexuelle) ou la persistance du choix du conjoint au bled (rappelons que le mariage est la première cause d'immigration en France) semblent bien indiquer qu'un pourcentage non négligeable ne tient pas tant que ça au fameux brassage refondateur.

La part prépondérante du vote Ennahda chez les franco-Tunisiens pour les premières élections post-Ben Ali va également dans ce sens.

Rappelons que leur programme ressemble plus à une version maghrébine de celui de Philippe de Villiers -pas franchement pro-mélange donc- qu'à un tract de Touche pas à mon pote.

Dans le livre Passions françaises que l'islamologue Gilles Kepel a consacré à l'irruption de la jeunesse musulmane sur la place publique hexagonale, on trouve d'autres exemples significatifs.

Le premier est à Marseille, la ville maghrébine par excellence, dont une part notable des musulmans boycotte le 14 juillet et ses feux d'artifices, car cette fête gratuite est haram, ou du moins pas fréquentable.

Le second est à Roubaix, ville ouvrière qui a digéré des millions de migrants au cours du temps, mais dont la majorité des musulmans, pourtant extrêmement nombreux, ne met jamais les pieds dans l'un de ces estaminets où se sont retrouvées, et mélangées, toutes les vagues précédentes.

On peut être également frappé par la surreprésentation des musulmans dans les parents faisant la grève de l'école contre la théorie du genre, plus suivie dans les ZEP que dans le reste des établissements. D'ailleurs un des leaders du mouvement était la militante Farida Belghoul.

Enfin, à mon modeste niveau, j'ai constaté dans les cours d'école de mes enfants que le voile était un séparateur bien plus fort que la couleur ou l'origine entre les groupes de parents.

Donc les musulmans ghettoïsés souhaitent-ils unanimement le mélange tellement prôné? J'en doute.

Si bien sûr ils veulent tous légitimement la même aisance matérielle que les autres Français, beaucoup ne semblent pas pour autant vouloir s'assimiler ou même simplement vivre avec nous, préférant plutôt un environnement respectant leurs traditions, voire leurs lois.

Qu'on le veuille ou non, il y a donc bel et bien parmi les immigrés musulmans un souhait de préserver une identité, qui peut dériver vers le suivi de la version sclérosée de l'islam en vogue dans tant de pays.

Encore une fois il ne s'agit évidemment pas d'imaginer un bloc uni derrière une position ferme et définitive. C'est plus compliqué, plus gradué et plus confus, avec d'importantes contradictions.

Par exemple, les femmes qui portent le voile et le burqini par pudeur et discrétion sont en réalité bien plus voyantes sous nos cieux que celles qui s'habillent sobrement mais à l'européenne.

On a encore le cas de ces mères marocaines voilées qui réclament des "petits blancs" dans leur école de Montpellier pour que leurs enfants aient toutes leurs chances.

Cette histoire-là a un côté tragique, car ces dames ne voient pas le lien entre leur mode de vie et leurs valeurs religieuses et la fuite des blancs en question.

Car les blancs fuient. Depuis longtemps, ils développent des stratégies pour garder des enclaves où ils restent la majorité et la norme. Michèle Tribalat et Christophe Guilluy, pour ne citer qu'eux, ont analysé ce white flight à la française.

Bien plus que le racisme ou les préjugés, sa motivation majeure est l'envie de préserver un mode de vie, essentiellement de ne pas devoir composer ou redéfinir la place de la femme et de la religion.

Ce n'est en fait que le miroir de ceux qui veulent importer les règles qui ont cours dans leurs sociétés d'origine. Ni les uns ni les autres ne veulent de cette mixité, qu'on tente néanmoins d'imposer par le haut et qui dans ce contexte aura bien du mal à fonctionner.

D'ailleurs on voit que dans tous les pays et tous les contextes, les communautés ont tendance à se (re)constituer des espaces à elles et que la cohabitation autoritaire, outre qu'elle n'est guère démocratique, génère toujours des conflits ou des replis.

Un autre phénomène souligne bien l'idée que le rejet est partagé: la vogue de la hijra.

Ce terme désigne le départ pour un pays musulman, plus proche de la société halal parfaite que fantasment les musulmans les plus engagés, qu'il s'agisse d'un état du Golfe (l'immigration là-bas aboutit rarement car ceux-ci filtrent énormément) ou plus fréquemment du pays d'origine des parents. Il semble que cette émigration devienne le but de plusieurs fidèles.

Que faire dans ce cas, quand le ghetto et la séparation semblent souhaités?

Dans tous les pays d'Europe occidentale, les gens qui ne sont pas aveuglés par l'idéologie (qu'elle soit essentialiste ou béate) se posent tous la question. Je ne crois pas que quelqu'un ait trouvé une réponse satisfaisante.

vendredi 18 septembre 2009

Ma vie halal

Au siècle dernier a commencé une évolution majeure en Europe: l'installation, sur l'ensemble du continent, d'importantes communautés musulmanes.

Cette installation s'est faite pacifiquement, en suivant les flux migratoires liés au boom industriel européen, ce qui la distingue de celle d'un islam européen plus ancien, enraciné suite à une série de conquêtes, et dont les flux et les reflux, tous liés au sort des armes, ont profondément marqué des régions entières du continent.

Suite à cette dernière vague, qui correspond grosso modo à l'après seconde guerre mondiale, l'islam est aujourd'hui présent, dans des proportions variables mais en augmentation constante, dans la plupart des pays européens. Et cette présence nouvelle pose un certain nombre de questions, à la fois pour les fidèles et pour les sociétés d'accueil.

Ce post sera découpé en trois parties. Les deux premières feront un bref historique de l'installation de l'islam en Europe, la seconde parlera du "musulman européen", identité en devenir.

L'islam en Europe: le temps de la conquête

L'islam est né dans la péninsule arabique, où il a peu à peu pris l'hégémonie, avant de se lancer à la conquête du monde. Le mot conquête est ici à prendre au sens propre, puisque l'islam a été dans un premier temps apporté dans les bagages des armées arabes, relayées ensuite par d'autres peuples (Turcs, Africains, etc...).

Concernant l'Europe, une première vague de conquêtes arabo-berbères a tout d'abord enraciné l'islam dans les îles de la Méditerranée occidentale (Sicile, Baléares, Malte...) ainsi que sur le continent, essentiellement dans la péninsule ibérique et dans le sud de la France.

L'arrivée de ces conquérants entraina partout l'installation de colons et des vagues de conversions, certaines forcées, d'autres non.

Cet islam-ci, s'il a profondément marqué toutes les régions où il est passé, que ce soit dans la langue, les mœurs, la nourriture ou l'architecture, a disparu, effacé par une reconquête chrétienne longue et chaotique. Il a toutefois laissé un souvenir vivace dans la mémoire collective, notamment dans les nombreuses fêtes commémorant la fin de la domination des Maures.

La deuxième expansion islamique en Europe est plus récente, et a été le fait des peuples turcs, que ce soient les seldjoukides, les Tatars de la Horde d'or ou bien sûr les Ottomans.

Si les Tatares ont marqué les pays du pourtour de la mer Noire et la Russie, ce sont les Ottomans qui ont laissé l'empreinte la plus longue et la plus profonde sur l'Europe.

Les armées de la Sublime Porte ont ainsi été jusqu'aux portes de Vienne, et pendant de longs siècles Istanbul a dominé directement ou sous forme de protectorats une partie notable de l'Europe centrale et orientale.

Puis, en un reflux progressif, l'empire ottoman s'est peu à peu retiré du continent, cédant ses possessions une à une avant de s'écrouler à la fin de la première guerre mondiale et d'être remplacé par la république kémaliste d'aujourd'hui. Il laissait toutefois derrière lui de nombreuses communautés turques et/ou musulmanes en Europe.

Ces communautés, devenues indésirables car témoin de la sujétion passée des nouveaux pays, ont été réduites par le traité de Lausanne, lorsque des millions de musulmans européens furent "échangés" contre des millions de chrétiens orientaux. Cependant, il reste aujourd'hui en Europe de nombreux musulmans dont l'histoire est liée à l'expansion passée l'empire ottoman.

On trouve ainsi des communautés turques à Chypre (une grande partie d'entre elle descendant toutefois des colons installés par Ankara après la partition de 1974) et en Bulgarie, où ils représentent une importante minorité.

Par ailleurs, de nombreux Européens sont devenus musulmans suite au passage des Ottomans, et le sont restés aujourd'hui.

Ainsi les Albanais, un des peuples les plus anciens du continent, sont musulmans aux deux tiers (le tiers restant se divisant entre orthodoxes et catholiques). Ces Albanais musulmans forment également d'importantes minorités dans les pays voisins: Serbie-Kosovo (selon que l'on reconnaisse ou non l'état) et Macédoine (ou FYROM pour les Grecs).

De même les Bosniaques, peuple slave, sont majoritairement musulmans (40% environ), et il existe une autre communauté de slaves convertis, les Pomaks de Bulgarie.

Enfin, il y existe une communauté de Tatars musulmans en Roumanie, issue de la Horde d'or, dont la majorité des descendants vit actuellement dans la province russe du Tatarstan. Certains tentent également de revenir en Crimée, d'où ils furent massivement déportés par Staline.

Ainsi donc, il existait déjà un islam "historique" en Europe, par opposition a celui qui fait l'objet de ce post.

L'islam en Europe: le temps de l'immigration

Les prémisses de l'installation récente de musulmans en Europe sont à chercher au 19ième siècle, lorsque l'Europe s'est partagée le monde, en une première version cruelle de la mondialisation.

Dès le début de cette période, des échanges se firent, culturels, linguistiques et de plus en plus économiques, notamment pour la France, qui vit assez vite le parti qu'elle pouvait tirer de sa main d’œuvre coloniale, que ce soit pour son industrie ou pour son armée (même si des sources plus récentes pondèrent cette idée et qu'il semble que les gouvernements de la France ait plutôt freiné qu'encouragé l'immigration de ses sujets coloniaux).

Ces mouvements s'amplifièrent après la seconde guerre mondiale, quand la reconstruction nécessita de plus en plus de main d’œuvre, et ils continuèrent après les indépendances des pays colonisés.

Il est à noter que la venue d'immigrés fut en partie souhaitée par les élites économiques, et organisées par les entreprises. Dans un premier temps, des hommes seuls ont émigré, puis les politiques de regroupement familial ont fait venir leurs conjointes et leurs enfants.

Les pays d'arrivée des migrants furent tout d'abord choisis en fonction des liens historiques et/ou coloniaux. Ainsi les Maghrébins choisirent-ils en masse la France et les Pakistanais le Royaume-Uni. Ainsi les Turcs allèrent-ils plutôt en Allemagne et les Albanais en Italie.

Toutefois, ces préférences se sont peu à peu atténuées et les flux ont eu tendance à s'élargir à l'ensemble de l'Europe.

Ainsi la diaspora marocaine s'étend-elle bien à l'extérieur de l'ancienne métropole, devenant même une minorité conséquente de l'Italie ou des Pays-bas. Ainsi des Pakistanais s'installent-ils beaucoup en Scandinavie, etc.

Le temps des grandes migrations économiques est désormais fini. La crise qui brisa l'élan des Trente Glorieuses en a entrainé l'arrêt, et désormais, dans tous les pays d'Europe, on joue au chat et à la souris avec des immigrants dont on cherche à limiter le nombre et à contrôler les flux.

Aujourd'hui, la grande majorité des musulmans qui immigrent en France le font par le biais du regroupement familial, ou par l'asile politique (dans cette catégorie on trouve des Bosniaques, des Afghans ou des Tchétchènes par exemple). Ce point n'est d'ailleurs pas spécifique aux migrants musulmans mais aux migrants en général.

L'islam en Europe: le temps de l'acclimatation

Ainsi donc, tous ces facteurs ont fait qu'aux quatre coins de l'Europe se sont installées des musulmans, qui ont eu des enfants, des petits-enfants, qui ont parfois entrainé des conversions de la part des "autochtones" et dont la présence s'est inscrite dans le paysage de toute les villes modernes, sans doute d'une façon indélébile.

Je précise volontairement "des" communautés musulmanes, car elles sont très diverses.

Elles sont diverses d'abord par les doctrines, habitudes et tendances religieuses: les Maghrébins sont généralement sunnites malékites, les Turcs sont plutôt sunnites hanoufites ou alévis, etc.

Elles sont diverses parce que même pour une branche de l'islam équivalente, la communauté et le pays d'origine constituent une différence essentielle.

Ainsi, tout comme un catholique français n'est pas la même chose qu'un catholique philippin ou péruvien, un musulman d'origine marocaine n'est pas la même chose qu'un musulman d'origine sénégalaise, ni qu'un musulman d'origine pakistanaise ou indonésienne.

Dans tous ces cas, le pays d'origine, son niveau de développement et la place que la religion y occupe, le contexte culturel et socio-économique, l'organisation de la communauté, la langue constituent souvent des différences plus marquantes que la religion.

Elles sont diverses enfin par le rapport que le pays d'accueil a avec la religion. Ainsi on oppose classiquement la France laïque, ou la religion est affaire privée et se veut discrète et apolitique, et le Royaume-Uni, où l'état discute avec les communautés, religieuses inclus.

En tous les cas, quels que soient pays d'origine, pays d'accueil et doctrine de l'islam concernés, le musulman se trouve confronté au même défi: comment vivre sa foi dans un pays où celle-ci est minoritaire, peu connue car récente, et où le modèle dominant est largement sécularisé, voire anti-religieux.

Si un certain nombre de musulmans s'occidentalise sans heurt et trouve son compte dans les sociétés européennes, une partie d'entre eux se sent écartelée entre mœurs et habitudes du pays d'accueil et schémas mentaux et modes de vie traditionnels, les deux étant parfois franchement antagonistes.

Le dilemme semble même s'accentuer ces dernières années, avec le raidissement général que connait le monde musulman depuis le grand tournant des années 70, quand l'humiliante défaite de la guerre des six jours marqua l'échec du nationalisme arabe, que l'arrivée au pouvoir de l'ayatollah Khomeini inventa un nouveau type de régime et que l'invasion soviétique de l'Afghanistan propulsa les moudjahidines sur le devant de la scène.

Pour le résoudre est peu à peu apparue, pour le musulman d'Europe déchiré entre une vie "impie" en terre occidentale et les valeurs auxquelles il aspire, une véritable contre-société, dont le but avoué semble être de concilier les deux mondes (et dont le but non avoué est sans doute pour certains de faire du business avec une communauté grandissant autant que son pouvoir d'achat...).

Ainsi après les magasins de produits halal et la presse, sont apparus des produits hybrides, mélange de modernité occidentale et de culture religieuse.

Quelques exemples:
- les burqini. Nés en Australie, ces maillots de bain intégraux se veulent trait d'union entre la culture plage du pays des kangourous et la pudeur islamique.
- la finance islamique, qui après s'être développée dans les pays musulmans, fait une arrivée remarquée en Europe. Les écoles et facs l'intègrent à leurs programmes, et après l'Angleterre, la France l'autorise depuis février 2009.
- mecca cola, un cola islamique, se veut une alternative halal à l'universelle marque préférée des jeunes (sommée récemment de justifier son caractère halal suite à un buzz dans le monde musulman). Son créateur affirme par ailleurs verser une partie des bénéfices en Palestine.
- un magazine de news online a également été créé.

Le domaine de l'amusement n'a pas non plus été laissé en jachère puisque sont également apparus:
- le premier comics halal, les 99, dont chaque héros représente une des 99 attributs d'Allah.
- un site d'humour spécifiquement musulman.
- un browser internet halal, concurrent de Google autorisé par les instances islamiques.
- un sex shop en ligne halal, fondé par un Néerlandais musulman.

Bref, on a l'impression que comme il a existé dans les banlieues rouges françaises une contre-société communiste, comme il existe en France un circuit d'institutions catholiques depuis la rupture révolutionnaire, il existe désormais une contre-société musulmane qui vise à offrir au musulman européen la possibilité d'une vie plus proche de ses convictions, traditions et croyances.

Une "vie halal", si l'on peut dire.