lundi 11 janvier 2010

Frontières (5): Les peuples des zones frontière (2) - Amériques

En quelques siècles, l'expansion coloniale européenne dans un premier temps, la finalisation de la conquête du continent par les états issus de cette expansion coloniale dans un deuxième temps, a abouti à l'arpentage puis à la mise en coupe réglée de tous les territoires des deux Amériques.

Cette prise de possession du continent s'est faite via un mouvement de transplantation massif et continu des blancs d'Europe dans ce qu'on a appelé le Nouveau Monde. Cet irrésistible élan s'est toutefois régulièrement heurté aux peuples autochtones, et a été doublé par l'installation de millions de déportés africains. Trois mondes se sont donc continûment rencontrés, mélangés et surtout affrontés.

Aux guerres indiennes et révoltes d'esclaves se sont ajoutés les conflits liés aux rivalités inter-étatiques. Ce furent tout d'abord les rivalités entre les puissances européennes qui poursuivaient leurs guerres dans les colonies (par exemple les guerres canadiennes entre France et Angleterre).

Ce furent ensuite des guerres entre les états indépendants, qu'elles soient des conflits "classiques" ou qu'elles aient pour enjeu le contrôle de nouvelles terres (par exemple la conquête du Mexique du nord par les USA...).

Durant cette phase, qui a précédé la stabilisation des frontières actuelles, les équilibres changeants, les difficultés de transports et la nécessaire interdépendance face au combat pour la survie ont entrainé l'apparition d'entités et de peuples plus ou moins éphémères, dont je vais donner quelques exemples.

- les comancheros

La Nouvelle-Espagne, colonie espagnole d'Amérique centrale ancêtre du Mexique, s'étendait à l'origine très loin vers le nord.

On y trouvait de nombreuses populations indiennes, dont certaines n'étaient arrivées que récemment, soit en tant que conquérants, soit chassées de leurs terres d'origine par d'autres peuples.

L'installation des Blancs, de leurs fusils et de leurs chevaux sur les côtes du continent américain avait en effet entraîné de très importants changements dans l'ensemble du monde indien, y compris pour des tribus de l'intérieur du continent qui ne rencontreraient leurs premiers Européens que des siècles plus tard.

Tout comme l'arrivée des cavaliers Huns en Europe de l'est avait entraîné les peuples germaniques à se pousser les uns les autres, l'impulsion donnée par les conquêtes européennes avait fait bouger les lignes chez les Indiens, et les zones d'installation ou de passages des peuples autochtones étaient en pleine mutation.

Ainsi, les Comanches devinrent un peuple de cavaliers exceptionnels, et leur maitrise du cheval consacra leur expansion, notamment vers la région qui nous intéresse.

La rencontre de ces mouvements de tribus indiennes et des colons européens de Nouvelle-Espagne (puis du Mexique et des USA) entraina l'établissement progressif de relations entre Indiens et Blancs, relations très souvent violentes, avec des guerres et de nombreux raids d'Indiens venus voler des chevaux et parfois des esclaves.

Cependant il exista également un commerce présent sur le long terme et impliquant une population bâtarde, mélange de métis, de colons pauvres de toute origine et de renégats (c'est-à-dire des Européens vivant à l'indienne ou parmi les Indiens).

On appelait cette population les comancheros, néologisme rappelant l'un de leurs principaux partenaires, les Comanches. Pendant un siècle au moins, par la piste des comancheros transitèrent armes, chevaux, tabac, alcool, fournitures diverses.

Ces aventuriers étaient regardés d'un mauvais œil à la fois par les colons et les Indiens, mais leur place resta stratégique jusqu'à ce que l'afflux de colons, la reddition et la déportation des derniers Indiens libres et l'expansion étasunienne les fassent disparaitre, laissant un souvenir de plus dans l'histoire fantasmée de la conquête de l'Ouest (témoin le film avec John Wayne).

- les Métis canadiens ou Bois-Brûlés

La pénétration européenne au Canada s'est faite d'abord par les Français, qui fondèrent le Québec et l'Acadie et qui dominaient, d'une façon toute théorique, un territoire gigantesque joignant leurs colonies canadiennes à la Nouvelle Orléans.

La colonisation française était différente de celles mises en œuvre par les états ibériques et par le Royaume-Uni, pour des raisons objectives. En effet, alors que des flux continus de colons britanniques, espagnols ou portugais alimentaient un peuplement important dans les territoires qui allaient donner le Brésil, les États-Unis les et pays latino-américains de langue espagnole, très peu de candidats quittaient la France pour s'installer dans leurs colonies.

Cette faible pénétration, qui fut de plus surtout masculine, favorisa un type de rapport différent avec les autochtones. Beaucoup de Français prirent ainsi des épouses indigènes et développèrent un mode de vie semi-nomade, finissant par former un peuple qu'on appela les Métis (avec un M majuscule pour distinguer leur culture du simple fait d'être métis) ou Bois-Brûlés.

Ce peuple créa ses dialectes, essentiellement à base de langue cree et de français (notamment le michif ou metchif), teinta son catholicisme de rites et croyances indiennes, et inventa même son propre drapeau (une boucle sur fond bleu).

Des colons anglophones, principalement des trappeurs écossais qui vinrent après la perte par la France de ses colonies, connurent la même évolution et constituèrent une partie de la nation Métisse, différant toutefois par le drapeau (la même boucle mais sur fond rouge), la langue (à base d'anglais) et la religion (basée sur le protestantisme).

Cependant, la politique raciale des compagnies de traite française et anglaise divergeant profondément (les mariages interethniques étaient encouragés par les premiers et condamnés par les seconds), la part francophone des Métis resta prépondérante.

Cette nation finit par devenir suffisamment importante pour entrer en conflit avec le gouvernement canadien quand celui-ci organisa la colonisation des terres où ils vivaient sans titre de propriété ni règles écrites.

Cette révolte fut conduite par le mystique Louis Riel et entraîna indirectement la création de l'état du Manitoba. Elle échoua en partie à cause de l'opposition existant entre Métis francophones et Métis anglophones, qui avaient assimilé la rivalité de leurs peuples pères.


Aujourd'hui il existe encore des Métis dans le nord de l'Amérique (Canada et US), mais ils se sont généralement "dilués" dans la population, et leur mode de vie a disparu avec la modernisation. Par ailleurs, leur statut d'intermédiaires entre les peuples et la difficulté de définir une culture dont le fondement est le mélange rend plus complexes leurs réclamations des droits spécifiques qui sont l'apanage des Premières Nations.

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