dimanche 28 février 2010

Frontières (5): Les peuples des zones frontière (3) - Amériques noires

Dans ce post, j'aborde maintenant les rejetons issus de la traite négrière transatlantique.

Si ce triste épisode est plutôt bien connu, on a tendance à sous-estimer ou méconnaitre la résistance des Africains déportés à leur triste sort.

Il y eut des mutineries sur les bateaux, la prise de contrôle de l'un d'entre eux par les esclaves qui essayèrent de le rediriger vers l'Afrique est même un épisode connu.

Il y eut les mille et unes résistances passives des esclaves, qui allaient de la mauvaise volonté à travailler jusqu'à la grève du sexe, les suicides et les infanticides pour ne pas perpétuer la servitude

Il y eut enfin les révoltes et le marronnage. La plus connue de ces révoltes est celle de Toussaint Louverture, qui fit passer Haïti du statut de perle des Antilles françaises à celui de première république noire du globe, mais il y en eut beaucoup d'autres sur tout le continent, essentiellement en Amérique latine.

- les qilombos:

Là encore, il faut savoir que si l'histoire des esclaves des États-Unis reste la plus connue, ce pays fut pourtant globalement moins dur pour les esclaves que le monde caraïbe et sud-américain, véritable dévoreur de "bois d'ébène" où l'économie de plantation généralisée nécessitait l'importation constante de toujours plus d'esclaves.

Ainsi en fut-il du Brésil. Le Portugal fut historiquement le premier négrier européen (précédé depuis longtemps par les Arabes) et le dernier pays d'Europe à abolir l'esclavage, ce qui ne fut pas sans conséquence sur le peuplement de sa colonie phare.

Ainsi, le Brésil possède aujourd'hui la plus grande communauté noire hors d'Afrique, et sous l'impulsion de son président actuel, le charismatique Lula, qui est issu de la région historique du Nordeste, il commence à assumer son héritage africain, renforçant les liens avec les pays africains du monde lusophone (Angola, Guinée-Bissau, Sao Tomé et Principe, Mozambique et Cap Vert), dont il a ravi le leadership au Portugal.

Ainsi aussi pendant la période coloniale apparurent les qilombos, des zones rurales ou forestières contrôlées par les esclaves marrons, où ceux-ci recréèrent un monde semi-africain vivant en autarcie loin du pouvoir.


Certaines de ces zones spéciales existèrent pendant un siècle, et les Portugais durent leur livrer de véritables batailles rangées pour arriver à les réduire.

Aujourd'hui le Brésil, en pleine modernisation, recense les nombreuses communautés descendant de ces qilombos, qui vivent encore isolées et sur la défensive, pour tenter de les intégrer au pays au même titre que les quelques communautés indiennes du pays.

- les Saramakas, les Djukas et les Bonis:

Il existe au nord du continent sud-américain plusieurs petites régions appelées Guyanes. 


Toutes appartenaient à des puissances coloniales non ibériques venues sur le tard "prendre leur part" du continent, y contestant l'hégémonie ibérique.

Elles sont la Guyane Hollandaise, devenue à l'indépendance le Suriname, la Guyane britannique, devenue à l'indépendance le Guyana, et la Guyane française, qui est devenue un département de la métropole.

Dans ces régions au climat difficile la colonisation était plus dure qu'ailleurs: les Européens mourraient comme des mouches, et l'ex "France équinoxiale", par exemple, n'a jamais été contrôlée de façon aussi stricte que les Antilles, protégée par sa vastitude et sa forêt.

L'esclavage y était comme ailleurs de rigueur, mais là aussi le marronnage était florissant, l'immense forêt offrant même un asile bien plus sûr que les mornes limités des petites Antilles.

De nombreux marrons s'enfuirent dans la forêt et s'y organisèrent en communautés, s'adaptant tellement bien à leur milieu que certaines finirent par être considérées comme des autochtones. C'est le cas notamment des Djukas, des Bonis et des Saramakas.

Si ces trois peuples descendent essentiellement d'esclaves hollandais en fuite, les premiers vivent surtout au Suriname, les seconds en Guyane française et les troisièmes à cheval sur les deux pays, autour du fleuve Maroni.

Chacun d'entre eux a développé une culture originale, synthèse des héritages africains de leurs ancêtres adaptés à leur nouvel environnement, notamment par des emprunts aux cultures amérindiennes.


Ils ont également créé des créoles originaux, intégrant portugais, français et hollandais et ont su se faire reconnaitre par les pouvoirs en place.

Certains de ces peuples obtinrent des droits et une garantie de leur indépendance en échange d'une aide à la capture d'esclaves marrons. D'autres, comme les Bonis, fournissent aujourd'hui des guides à l'armée française de surveillance de la frontière.

- les Garifunas:

Les Garifunas ont une histoire encore plus singulière. Ce peuple est né dans les Antilles d'un mélange d'Amérindiens et d'Africains. Pour ces derniers, on parle d'esclaves marrons, mais aussi de survivants au naufrage d'un bateau négrier au large de l'île de Saint-Vincent.

Quelle que soit la véritable origine, les Garifunas sont issus d'un mélange afro-amérindien, où la part africaine est peu à peu devenue prépondérante, mais surtout d'un point de vue démographique et génétique, puisqu'ils gardèrent une culture dont la base est arawak, notamment pour leur langue.

Ces véritables "Indiens noirs" vécurent d'abord dans les îles de la Dominique et de Saint-Vincent, où ils furent longtemps laissés en paix à cause de la conformation géographique de ces îles: trop montagneuses, elles étaient en effet impropres à la mise en place des plantations esclavagistes que l'on peut rencontrer dans le reste des Antilles.

En conséquence, ils ne furent jamais réduits en esclavage et s'avérèrent, à l'instar des indiens Caraïbes, suffisamment belliqueux pour que le gouvernement anglais, lorsqu'il prit le contrôle de ces îles, décide de les déporter massivement sur la petite île de Roatan, au large du Honduras.

De là, ils essaimèrent dans différents pays d'Amérique centrale, où leurs descendants vivent encore aujourd'hui, aussi marginalisés que les autres communautés indigènes et aussi menacés dans leur identité que tous les peuples premiers peuvent l'être dans un pays pauvre.


Les prochains volets de cette étude auront trait à l'Europe, qui compte aussi ses descendants de peuples des zones frontière...

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