dimanche 28 février 2010

Frontières (5): Les peuples des zones frontières (5) - Europe: les cosaques

Le terme de "cosaque", qui dans l'imaginaire européen évoque immédiatement l'image de cavaliers aussi redoutables qu'expansifs, renvoie à une réalité complexe, dans une région qui ne l'était pas moins: la grande steppe qui commence à l'est de l'Europe pour courir quasiment jusqu'à l'océan pacifique.

Ce véritable couloir, aussi vaste qu'hostile, était le lieu de rencontre fluctuant de deux populations: les proto-slaves puis les slaves, et les peuples turco-mongols, dont les vagues successives déferlèrent vers l'Europe, fondant des empires plus ou moins durables. Le dernier de ces empires était le khanat de la Horde d'Or, l'un des états issus du démembrement de l'empire gengiskhanide, qui se morcela lui-même de plus en plus.

Entre les états turco-mongols (dont les habitants étaient dits "tatars") et les états européens la frontière était mouvante, poreuse et sous-peuplée. C'est dans ce contexte qu'apparurent les cosaques.

On distingue deux groupes historiques de Cosaques, les uns en Ukraine, les autres en Russie.

Pour certains historiens, les cosaques furent des turco-mongols renégats, christianisés et slavisés. Pour d'autres, ils furents des slaves au mode de vie proche de leurs voisins turco-mongols. La vérité est sans doute à situer entre ces deux définitions.

Les cosaques étaient donc des communautés paysannes, libres et militarisées, de religion orthodoxe (même s'il semble qu'on en ait croisé des musulmanes, voire des juives), au mode de vie nomade et guerrier, qui partageaient une grande partie de leurs coutumes avec celles des civilisations turco-mongoles de la steppe.

Même si l'élément slave prédominait, le côté ethnique n'était pas primordial (c'est une caractéristique que l'on retrouve d'ailleurs chez les peuples turco-mongols en général).

Ainsi, les communautés de cosaques assimilaient sans problème des éléments divers, aussi bien turco-mongols (petchenègues, coumans, tatars...) qu'européens au sens large (polonais, lituaniens, voire même des gens d'Europe occidentale), leur mode de vie tribal et libre (les chefs, les "hetmans" étaient élus) séduisant un certain nombre d'esprits aventureux fuyant le servage et la féodalité, ou encore des personnages en délicatesse avec la justice.

Les cosaques étaient d'audacieux guerriers, pillards et conquérants, combattant aussi bien dans la steppe que sur les fleuves, où ils étaient aussi redoutés que les vikings.

Les états européens utilisaient volontiers leur ardeur guerrière en les engageant comme troupes auxiliaires ou en tant que forces d'appoint pour sécuriser leurs marches orientales. Mais ils se défiaient de ces alliés indisciplinés et ont cherché à les domestiquer au fur et à mesure de leur consolidation.

Cosaques d'Ukraine

Ainsi, en Ukraine, le pouvoir chercha à les intégrer, en les recensant et en les transformant en une caste militaire nantie de privilèges particuliers. Selon qu'ils acceptèrent ou non cette intégration, les cosaques furent dits "enregistrés", ou "zaporogues".

Ce dernier mot désigne la communauté demeurée indépendante, qui vivait sur le fleuve Dniestr et dont la capitale, Sitch, se trouvait sur une île. Marins réputés (les cours d'eau étaient un moyen de communication essentiel dans la steppe), ils lançaient d'incessants raids en pays tatar, sur la mer noire et vers l'empire ottoman (certains les emmenèrent jusque dans les faubourgs de Constantinople).

Toutefois les relations entre les cosaques et le pouvoir polono-lituanien qui contrôlait alors l'Ukraine s'envenimèrent jusqu'à dégénérer en véritable guerre civile (d'où la rivalité religieuse entre un pouvoir catholique et des cosaques orthodoxe n'était pas absente). Cette guerre aboutit à la création d'un état cosaque, d'où étaient toutefois exclus les zaporogues, qui se rangea sous la suzeraineté des tsars de Russie.

Ce choix permit dans un premier temps aux cosaques de conserver leur autonomie, mais celle-ci fut peu à peu rongée par un état russe en pleine expansion, état qui finit par écraser l'état cosaque et le transformer en une province soumise à une intense russification.

La Russie conquit également le territoire des zaporogues, dont il détruisirent la capitale. Ce fut la fin de l'indépendance des cosaques d'Ukraine.

Cosaques de Russie

Le deuxième grand groupe de cosaques se situait en Russie méridionale, autour du Don, et son expansion entraîna l'apparition d'autres zones cosaques dans la région.

Comme leurs "cousins" ukrainiens, les cosaques du Don étaient des communautés guerrières à la grande autonomie, qui accueillaient volontiers dans ses rangs fuyards et paysans évadés.

A la fois jaloux de leurs indépendances et intéressés par les perspectives offertes par l'état des tsars, les cosaques eurent des relations ambiguës avec l'état russe.

D'un côté ils constituèrent des forces essentielles pour les armées tsaristes et furent le fer de lance de la colonisation russe (ce sont des cosaques qui conquirent la Sibérie avant de l'offrir au tsar).

De l'autre ils participèrent aux "temps des troubles" de la Russie, en jouant la carte de divers prétendants au trône et une de leurs révoltes faillit avoir raison de l'empire russe.

Peu à peu, les tsars finirent cependant par intégrer les cosaques à leur état, ceux-ci devenant une sorte d'ordre militaire bien identifié, redevable d'un très long service militaire en échange de privilèges et d'exemptions diverses.

L'avènement de l'URSS marqua le début de la fin pour les cosaques. Les bolcheviks les assimilèrent en effet aux classes dirigeantes et ils furent traités sans ménagement, au même titre que russes blancs et koulaks.

La seconde guerre mondiale leur accorda un sursis, puisque Staline, dans sa quête d'un élan patriotique décisif, recréa des régiments cosaques qui se distinguèrent au combat.

Toutefois, une partie d'entre eux ayant choisi de servir l'armée allemande (la Wermacht compta ainsi un corps de cavalerie cosaque), le sort des cosaques fut réglé en 1945. Les "traitres" furent exterminés, les régiments dissous et l'identité cosaque disparut officiellement, après plus de cinq siècles d'existence.

La chute du communisme entraina une sorte de renouveau cosaque. Leurs descendants, tant en Ukraine qu'en Russie, ont réclamé et parfois obtenu des droits spécifiques liés à leur histoire, leur culture est valorisée, des unités de cosaques ont été recréées dans l'armée russe...

Quelle que soit la portée réelle de cette réhabilitation, l'empreinte cosaque reste une composante essentielle de la culture et des mythes russes et ukrainiens.

Notons enfin la présence de descendants de cosaques dans certains pays d'Asie centrale (comme le Kazakhstan), qui demandent parfois à être considérés comme une minorité ethnique distincte des russes.

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