mercredi 27 avril 2011

Langues internationales (1) : English everywhere

J'ai décidé d'entamer aujourd'hui une série de posts qui auront trait aux langues internationales, ces langues que l'on rencontre à plusieurs endroits du globe, parfois très éloignés les uns des autres.

Et à tout seigneur tout honneur, je vais commencer par la langue de Shakespeare.

L'anglais: tour d'horizon de la langue mondiale

L'anglais tire son nom des Angles, un des peuples germaniques qui s'installèrent à la chute de l'empire romain sur le territoire de l'actuelle Angleterre.

C'est donc une langue germanique, mais la longue domination normande, à partir de 1066 et pour environ trois siècles, en a considérablement modifié les mécanismes.

En effet, à cette époque le franco-angevin (langue latine de la famille des langues d'oïl) était la langue officielle, ce qui eut pour conséquence une profonde empreinte du français sur la langue anglaise: c'est la seconde langue qui l'a le plus influencée.

L'anglais s'écrit avec l'alphabet latin de 26 lettres, et présente la particularité de n'avoir aucune lettre accentuée.

Aujourd'hui son hégémonie est impressionnante.

Où qu'on aille sur le globe, c'est cette langue qu'il faut connaitre pour avoir une chance de communiquer avec quelqu'un.

C'est celle que l'on apprend en premier quand on est pragmatique. C'est celle dans laquelle toutes les notices, toutes les cartes postales, toutes les indications sont libellées à côté de la langue nationale (parfois même à sa place).

C'est également la langue qui s'est imposée comme langue véhiculaire dans nombre de pays multilingues, y compris ceux où l'anglais n'est la langue maternelle d'aucune communauté.

En Belgique ou en Suisse, par exemple, lorsqu'un francophone rencontre un néerlandophone ou un germanophone, c'est le plus souvent en anglais qu'ils communiquent.

Ce raz-de-marée progressif semble s'être accéléré en une génération.

Lors de mes voyages européens, j'ai pu constater qu'en Hongrie ou dans les pays baltes les quinquagénaires et plus parlent prioritairement l'allemand, ou qu'en Roumanie, en Italie ou au Portugal ils parlent plutôt français.

Mais j'ai également constaté que c'est en anglais que les jeunes s'y expriment spontanément, l'allemand et le français ayant connu le même recul brutal et marqué dans tous ces pays.

Le russe, fort du prestige de l'URSS, phare des pays communistes et aussi (surtout?) puissance coloniale en Asie centrale et en Europe de l'Est, était également très appris et répandu jusqu'aux années 90.

C'était devenu la langue véhiculaire du pacte de Varsovie, dont tous les membres se sont empressés de se débarrasser une fois libérés de la tutelle de Moscou, pour passer là aussi à la langue de Shakespeare.

Nos parents étaient encore porteurs d'une langue internationale forte et demandée. Le français était important, présent aux quatre coins du globe.

Il n'est que de lire l'usage du monde de Nicolas Bouvier, pour se rendre compte que lorsque ce globe-trotter était à cours d'argent pendant un voyage, il lui suffisait de proposer des cours de français. Quel que soit le pays, il trouvait des clients et se refaisait facilement un pécule.

Aujourd'hui seul l'anglais peut avoir cette prétention.

Je me suis demandé à quoi tenait cet attrait unanime et sans équivalent de l'anglais.

L'argument souvent entendu que cette langue est facile à apprendre est à écarter.

D'abord c'est faux. Même si la langue anglaise peut sembler a priori plus simple que la nôtre (sans même souligner que c'est un point de vue de Français!), elle est également pleine de subtilités, de pièges et de nuances.

Ensuite on n'a jamais adopté une langue pour sa simplicité: l'arabe, le français, le latin ou l'allemand se sont imposés sur de vastes zones alors que leur apprentissage n'est pas particulièrement évident.

Alors qu'est-ce qui a jadis permis la diffusion de ces langues? Je vais m'attacher à montrer les différents mode d'expansion possibles.

Trois modes de diffusion d'une langue

Je distinguerai trois façons de s'imposer pour une langue.

1- La force

La première, la plus évidente, c'est la force.

Dans la panoplie de la conquête, il y a la langue. Tous les conquérants ont amené avec eux leur façon de parler, leurs mots. L'expansion arabe ou romaine, et les grandes vagues de colonisation européenne en sont quelques illustrations.

A l'époque moderne, les Amériques et l'Océanie ont été peuplées de suffisamment de colons, par définition en position de force, pour que les langues des métropoles y submergent les parlers locaux.

Notons que la langue imposée a pu ne pas être celle de la majorité des colons, qui ont parfois eu une autre langue maternelle que celle en vigueur dans la colonie.

Ainsi, l’Italie et l’Allemagne ont fourni d’énormes contingents de migrants, mais faute de colonie propre, ils ont été grossir celles des autres dont ils ont du adopter la langue, même s’ils y devenaient majoritaires.

Ce fut le cas pour les Italiens en Argentine par exemple, où tous s’hispanisèrent.

Ce cas où une population transplantée emporte sa langue avec elle et la transmet est le plus évident, et se retrouve un peu partout sur le globe.

Mais la diffusion d'une langue suite à l'installation de ses locuteurs dans une aire donnée peut également être indépendante d'une conquête.

La diffusion de la langue espagnole aux États-Unis, devenu le deuxième pays hispanophone du monde grâce à l'immigration latino ou celle de la langue chinoise en Malaisie en sont des exemples.

2- Un manque à combler

Un deuxième type d'expansion pour une langue, c’est lorsque celle-ci vient combler un manque.

Ça peut être le cas lorsqu’une civilisation écrite rencontre une civilisation orale et entretient des liens avec. Dès que la relation entre les deux se complexifie et que le besoin d’écrire se fait sentir, c’est la première qui s’impose. Et si elle ne s’impose pas en tant que langue, elle lèguera au moins son alphabet.

Deux moteurs dans l’intensification des échanges ont été le commerce et la religion.

Si l’on regarde les pays ayant adopté l’alphabet cyrillique, on voit que ce sont ceux qui ont été évangélisés par des missionnaires orthodoxes (Bulgarie, Russie…) puis ceux qui ont été conquis par les empires russe ou soviétique (Asie centrale).

De même, la diffusion de la langue et de l’alphabet arabe a suivi les routes de la pénétration de l’islam, qui s’est souvent confondue avec celles des liens commerciaux.

Un autre type de manque est la nécessité d’une langue reconnue par les différentes communautés d’un même espace ou d'une même entité politique.

Prenons le cas de l’Inde. Le pays renferme quantité de civilisations très anciennes, avec leur écriture, leur littérature et leur alphabet.

Du temps de la colonisation, le conquérant britannique avait tout naturellement imposé l’anglais comme langue administrative.

Bien entendu, les dirigeants de l’Inde devenue libre voulurent rejeter ce legs colonialiste. Mais ils ne purent s’entendre sur la nouvelle langue à adopter, chaque communauté se battant pour la sienne. Faute d’accord, ce fut l’anglais qui resta.

De même dans l’Afrique coloniale, beaucoup d’états regroupaient des peuples divers qui n’avaient pas de langue écrite.

L’alphabétisation et la modernisation administrative des pays ont donc été commencées dans la langue du colonisateur, souvent gardée après l’indépendance faute de remplaçant naturel et parce qu'un tel changement n'est pas anodin.

On le voit bien avec l'Algérie, qui fit le choix d’adopter l’arabe classique pour remplacer le français et qui n’est toujours pas parvenue à ses fins.

En effet, l’arabe littéral est très éloigné de la langue parlée par le peuple (sans même évoquer le cas des berbérophones qui ne parlent que leur langue) et celle de l’ex-colonisateur continue à imprégner le pays.

Dernier type de manque: le besoin de pouvoir communiquer entre gens d’une même religion, d’une même classe sociale ou d’un même destin.

Citons le yiddish, qui connut un développement important au fur et à mesure de l’expansion de la communauté juive en Europe ou le swahili qui, dérivant de l’arabe apporté par les musulmans, devint langue véhiculaire dans l’Afrique du sud-est.

Citons encore le latin, qui après la chute de l’empire romain, devint la langue du monde chrétien, celle dans laquelle communiquaient les élites européennes, et celle du savoir, et cela alors même que plus personne ne la parlait comme langue maternelle.

3- Soft power

Le troisième canal d'expansion d'une langue enfin, c’est lorsqu’un pays domine les autres sur le plan économique et/ou sur un plan culturel ou technique, sans qu’il y ait forcément domination formelle ou militaire.

Par exemple, avant l'anglais c'était le français qui était devenu la langue des élites, irriguant l’ensemble des langues européennes à une époque où la France donnait le la dans le domaine de la culture et des idées, de la gastronomie, etc.

Autre exemple, du fait de la supériorité du pays dans le domaine des arts, c'est l'italien qui s'est imposé dans la musique.

La capacité d'inventer en premier, que ce soit des concepts ou des objets, est une autre forme de domination et un autre mode d'expansion pour une langue. En effet, le mot inventé pour désigner la nouveauté est généralement dans la langue de son inventeur.

Le karaoké, les sushis, les mangas sont des termes japonais car c'est dans l'archipel nippon qu'ils sont nés. Le "ball" de handball se prononce "balle" car ce sport est allemand, etc.

L'anglais, langue à la fois imposée, comblant un manque et soft power

Pour en revenir à l'anglais, si l’on regarde bien, on constate que cette langue recoupe aujourd'hui les trois moyens d'expansion que j’ai cités.

Premièrement, la force.

Héritiers du colonialisme britannique, des descendants d’Anglais ou d’Européens anglicisés sont présents dans un grand nombre de pays, à commencer par la première puissance mondiale.

Ces pays font tous partie des plus développés du globe, et leur répartition géographique fait qu'ils constituent autant de relais locaux pour l'influence de l'anglais (l'Australie et la Nouvelle-Zélande rayonnent sur l'Océanie et l'Asie, les USA et le Canada sur tout le continent américain, l'Afrique du sud sur le cône inférieur de l'Afrique, etc.).

Deuxièmement, le manque à combler.

Deuxième héritage du colonialisme britannique, un grand nombre d’états a adopté l’anglais comme langue officielle, soit pour ne pas trancher entre les langues de communautés rivales (Afrique du sud, Inde) soit parce que c’est avec cette langue qu’ils ont accédé au savoir écrit.

Troisièmement, la domination indirecte (le Soft Power).

Le Royaume-Uni puis les USA ont pris depuis deux siècles le leadership mondial en terme de puissance.

Puissance économique puisque c'est en Angleterre que débuta la Révolution Industrielle et aux USA que naquit la Révolution Informatique, permettant à leur langue commune de devenir un standard de fait, que ce soit sur internet ou jadis pour les techniques et inventions.

Puissance militaire puisque la Royal Navy régna jadis sans partage sur les mers et que l'armée américaine reste aujourd'hui la plus puissante au monde.

Puissance culturelle enfin puisque les courants musicaux qui ont révolutionné la musique populaire du vingtième siècle sont presque tous nés en terre anglo-saxonne, qu'Hollywood, par un savant mélange de talent et de commerce, reste la plus grande fabrique de films du monde, et que l'american way of life a fini par devenir une sorte de norme mondiale, avec ses marques planétaires emblématiques (Coca-Cola, Disney, etc).

Des challengers?

Bien sur, à toutes les époques il y eut des challengers, par exemple l'Allemagne ou la Chine d'un point de vue économique, la France, le Japon ou le Brésil d'un point de vue culturel, l'URSS sur le plan politique.

Mais aucun de ces seconds rôles n'est parvenu à cumuler autant d'atouts en même temps.

Tout cela donne à l'anglais un poids démesuré sur la planète, où cette langue est devenue un standard de fait, qui s'impose dans tous les échanges internationaux, qu'il s'agisse de normes, d'instances politiques, de commerce ou de culture.

On dit que chaque règne a une fin, mais à l'heure actuelle je ne vois pas ce qui pourrait détrôner l'anglais.


Dans le prochain post, je poursuivrai mon étude en me penchant sur ma langue natale, le français.

Langues internationales (2) : Le français

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire