samedi 23 avril 2011

Livres (24): American psycho et le fascinant Pat Bateman

Mon post du jour aura trait à un livre, et plus précisément à son personnage principal, l'une de ces créatures littéraires qui vous restent en tête longtemps après avoir refermé le livre. Il s’agit de Pat Bateman, le héros du roman American psycho de Bret Easton Ellis.

Patrick Bateman est l’archétype du « yuppie » des années 80. Beau, jeune, riche et fils de riche, diplômé de Harvard, il travaille à Wall Street dans l’entreprise de son père.

Comme tous les gens qu’il fréquente, il est obsédé par le paraître, les vêtements, les marques, les endroits où il faut être, par son look, son corps, par les dernières innovations technologiques, etc.

Ellis rend cet aspect de façon incroyable, en faisant parler Bateman.

A chaque fois que celui-ci évoque quelqu’un, il décrit la façon dont il est habillé dans les moindres détails, en citant chaque marque.

A chaque fois qu'il va en discothèque ou dans un restaurant branché (forcément branché), il détaille exactement ce que commande chacun (nom du cocktail ou du plat, etc).

A chaque entrée dans un appartement ou une maison, il en détaille l’installation, avec la marque de chaque meuble, chaque équipement, etc.

Toutes les conversations entre Bateman et ses proches tournent autour de cela, celui qui aura la dernière nouveauté, qui sera allé dans l’endroit le plus « in », qui aura décroché le portefeuille d'actions le plus important.

Deux scènes illustrant cet aspect m’ont particulièrement marqué.

La première scène est la description du lever du héros.


Il y énumère successivement tous les produits de beauté modernes, chers et de marque qu’il utilise pour sa toilette (masque supprimant la fatigue, fil dentaire, après-shampoing, etc.), tous les appareils sophistiqués qu’il a à sa disposition (balance, machine de sport...) ainsi que le petit déjeuner élaboré et cher qu’il prend.

Le sérieux et le naturel avec lequel il en parle est confondant et donne une impression surréaliste. On sent par ailleurs que le coût des objets, aliments et produits est plus important que leur valeur intrinsèque, qu'en quelque sorte c'est cher et rare donc bien. On a l'impression d'une croyance, d'un dogme à suivre.

La deuxième scène se passe dans un restaurant, où Bateman sort avec fierté sa carte de visite, au design impeccable et aux matières étudiées.


Un de ses amis/collègues sort également la sienne, et lorsqu'il s'avère qu'elle est encore plus luxueuse et belle, Bateman est alors littéralement décomposé par la jalousie et perd tous ses moyens.

La succession de ces scènes, auxquelles s’ajoutent celles où la bande du héros se moque rituellement des nombreux clochards et mendiants qu'ils croisent en leur agitant des billets sous le nez (nous sommes dans le sordide New York des années 80, rongé par la pauvreté et la crise), donne un profond sentiment d’écœurement.

Ce qui rend toutefois Bateman vraiment singulier c'est qu'en dehors de cet espèce de conformisme consumériste et élitiste il est également un serial killer, qui tue, torture et viole à plaisir, profitant de son statut social pour assouvir ses pulsions avec passion et mépris pour ses victimes.

Cet aspect du personnage n'apparaît que progressivement, de petits indices s’enchaînant jusqu’à la première scène de meurtre, à la fin du premier tiers du livre.

Ensuite, puis plus on avance et plus les scènes sont explicites et nombreuses, de plus en plus cruelles. On a l'impression d'un irrésistible crescendo dans la folie meurtrière.

Au final, le personnage est complexe. Il jouit réellement de sa cruauté, il se sent légitime, mais se plaint également quand les choses ne tournent pas de la façon qu’il souhaite ou quand il n’obtient pas ce à quoi il estime avoir droit.

Il est alors paniqué et/ou plein d’une sincère pitié pour lui-même. On le voit également perdre ses moyens pour des choses stupides comme l'histoire de carte de visite dont je parle plus haut, ou lorsqu’il pense qu'on peut le prendre pour un homosexuel.

Par ailleurs, il possède également une forme d’humour moqueur, et l’on se retrouve à sourire malgré soi devant certaines plaisanteries horribles et alambiquées qu’il met en œuvre.

Par exemple, dans une scène mémorable il fait manger à sa copine (une fille bête et consumériste qu’il méprise mais utilise souvent comme alibi) un pain de désinfectant pour toilette imbibé d’urine, qu'il a volé dans un urinoir, enveloppé de chocolat puis servi dans l’emballage d’un pâtissier à la mode, poussant le vice jusqu’à s’assurer que le verre de sa victime était vide, de façon à prolonger au maximum le supplice.

Afin de provoquer, il joue également à l’homme de gauche pour choquer ses collègues, alors qu’il est lui-même raciste, machiste et homophobe.

American Psycho, à travers l’histoire de ce personnage hors du commun, imbuvable, immoral, cruel et jouisseur, qui abuse d’une position élevée dont il a hérité et qui n’est pas puni à la fin, est un livre marquant.

Il sonne comme une critique du monde consumériste et inégalitaire des années Reagan, qui n'est finalement pas si loin de celui d’aujourd’hui.

En tous les cas, l’haïssable Pat Bateman est longtemps resté dans ma tête...


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