mardi 6 décembre 2016

Livres (23): L'avalée des avalés et mes rendez-vous ratés avec le Québec

J’ai une relation étrange avec le Québec et sa culture.

Le passionné d’histoire et de francophonie que je suis a bien sûr été vite attiré par ce presque unique rejeton de la France à l’extérieur de ses frontières (les cajuns et les créoles mauriciens ne comptent pas vraiment, les blancs de nos colonies y sont minoritaires et l’autre grande branche, les Pieds-Noirs, a été coupée net en 1962).

L’histoire de ces gens qui, comme les Afrikaners ou les Irlandais, sont rescapés d'une longue politique d’assimilation par les Anglais m’a bien évidemment fasciné, tout comme leur épopée de pionniers isolés, l’histoire des coureurs des bois ou celle des Métis, ainsi que cette espèce de catholicisme identitaire qui leur a servi de point de repère.

Je me suis donc très vite frotté à leur culture, j’ai testé beaucoup de musique, vu des films, lu des livres…et dans 99% des cas j’ai été déçu.

Est-ce que je n'ai pas trouvé les bons ? En tout cas, j’ai eu souvent l’impression malheureuse de tomber sur un mélange entre ce que je n’aime pas dans la culture française et ce que je n’aime pas dans la culture américaine (je ne parle évidemment que de mes goûts personnels, sans jugement de valeur).

Bon, j'exagère un peu, j’ai quand même aimé une partie des sketches de François Pérusse (ICI) ou d’Antony Kavanagh (ICI), j’adore certains titres de Lynda Lemay (ICI) et j’ai ri devant La grande séduction.

Mais au niveau livres, je n’ai pour l’instant trouvé mon bonheur ni avec Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer, de Dany Laferrière, ni avec Pélagie-la-Charrette d’Antonine Maillet (qui elle est acadienne), ni avec Edna, Irma et Gloria de Denise Bombardier.

Et je ne l’ai pas trouvé non plus avec le livre qui m’a inspiré ce post, L’avalée des avalés de Réjean Ducharme.

Cet auteur semble être une légende dans son pays, à la fois à cause de ces livres et aussi (surtout ?) parce qu’il se tient résolument à l’écart de toute forme de médiatisation, refusant toutes les interviews, n’apparaissant pas à la télé, fuyant les salons, etc. Mais cela tout en restant actif, notamment en collaborant avec d'autres artistes, comme l’inénarrable Robert Charlebois, dont il écrivit quelques textes (par exemple son célèbre J’veux d’l’amour).

J'ai entendu parler de lui en lisant un article de l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou, qui le citait avec admiration comme un exemple de cette littérature-monde qu’il appelle pour remplacer la francophonie (je n’ai pas vraiment compris cette idée, mais là n’est pas la question).

Appréciant les essais de Mabanckou, j’ai voulu tenter Ducharme et me suis derechef attaqué à son ouvrage le plus célèbre, cette "avalée des avalés" dont le titre étrange m’a tout de suite interpellé.

L’histoire est celle du deuxième enfant d’une mère polonaise catholique extrêmement belle et d’un père juif qui vivent sur une île du Québec, dans une ancienne abbaye, se haïssent et se sont curieusement "partagés" leurs enfants.

La mère éduque l’aîné, Christian, dans la foi catholique et le père éduque la plus jeune, Bérénice, notre héroïne donc, dans la foi juive.

Le livre est un long monologue de cette dernière, qui nous parle de son rapport au monde, de ses pensées, de de tout ce qui lui arrive. Elle expose aussi l'amour destructeur, exclusif, quasi incestueux et non dénué d’une forme de mépris qu'elle ressent pour son frère, ainsi que le sentiment ambivalent qu'elle éprouve pour son amie et faire-valoir Constance Chlore.

Tout au long de l’œuvre, on la voit rejeter avec violence les convenances, l'autorité, la religion, les bons sentiments, la filiation et on la trouve en guerre perpétuelle avec le reste du monde.

Pour la redresser -ou la dresser- son père l’envoie à New York chez un cousin bigot puis en Israël, où elle fait la guerre avec une grande jubilation et où se termine brusquement le roman.

L'avalée des avalés est une suite un peu hallucinée d’états d’âme et d’actes violents, le journal de quelqu'un qui explose de l'intérieur et semble cracher ou vomir ses sentiments et ses pulsions.

Cet aspect-là est finalement assez daté. L’auteur l’a en effet écrit dans les années 60, pendant cette Révolution tranquille qui a transformé le Québec, contemporaine de la grande vague contestataire qui touchait alors tout l’Occident.

J’y ai retrouvé le sérieux vaguement hystérique de tous ces gens qui voulaient renverser l’ordre établi en semblant réellement y croire, même si on ne trouve pas dans ce livre - Dieu merci - le marxisme et les autres idéologies de l’époque si omniprésentes chez tant de ses contemporains.

J’y ai aussi revu le goût du grand chamboulement et l’urgence que j’ai pu sentir quand j’ai lu Kerouac (qui d’ailleurs était un descendant de Canadiens Français d’ascendance bretonne), et qui caractérise beaucoup d’œuvres de ce temps.

Au cinéma, ce cousinage est visible dans Les valseuses de Blier ou encore dans l’inclassable et dérangeant Sweet movie, où jouait une autre de ses compatriotes, la belle Carole Laure.

En fait, L’avalée des avalés, comme toutes ces œuvres, me fait surtout me poser la question de l’intention. Qu’a donc voulu dire l’auteur ? Quel est son but ? Où veut-il nous emmener ? Y a-t-il quelque chose au-delà du rejet ?

On peut tout de même penser que ce qui sous-tend la révolte de Bérénice est un refus de l’âge adulte sous toutes ses formes: changements physiques, sexe, nécessité d’être raisonnable, règles, lois.

Ducharme parvient très bien à nous transmettre la furie qui habite son héroïne, sa haine et sa colère dans ce désir d'enfance perpétuelle, ainsi que ce profond sentiment d’urgence et d'étouffement, cette sensation d'être "avalée".

Mais son personnage m’a paru antipathique et agaçant, sans doute justement par son absence d’empathie pour qu(o)i que ce soit.

En revanche, d’un point de vue écriture, ce livre est très marquant.

L’auteur y utilise une langue riche, foisonnante, pleine de libertés, avec quelques québécismes mais surtout beaucoup d’images et un paquet de mots que je ne connaissais pas (vidrecome, endêver, bonheur-du-jour, noliser, etc…). Son monologue "sonne" à merveille, dans les deux sens du terme.

En fait, je ne dirai pas que j’ai aimé ce livre, mais je pressens qu’il va rester en moi car il fait partie de ces œuvres dérangeantes qui vous marquent.

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