vendredi 28 octobre 2016

Livres (22): King Kong Théorie

La vision que j'ai longtemps eue de Virginie Despentes, découverte à l'occasion du scandale autour du film Baise-moi, n'était pas très flatteuse.

Je la voyais comme une espèce de punkette contre-par-principe, provoc et trash par vacuité, un peu à la Sid Vicious, bref, comme une de ces personnalités pénibles, sans intérêt et vaguement repoussantes.

Et puis un jour je suis tombé sur une interview de Titiou Lecoq où cette dernière la citait. Elle a éveillé ma curiosité, et j'ai fini par acheter King Kong Théorie, son essai sur le féminisme.

Ce livre, très fort, m'a fait découvrir un personnage qui pour être provocateur, rebelle aux règles et violent, est bien plus subtil que l'image que j'en avais.

Despentes y raconte sa vie tumultueuse et ses expériences, et en tire des leçons sur le monde où nous vivons, sur l'inégalité des sexes, et le jeu de rôles auquel on est tous astreints, insistant sur le fait que si certains en profitent, une très grande partie des gens en souffre, y compris des hommes.

La remarque "Car la virilité traditionnelle est une entreprise aussi mutilatrice que l'assignation à la féminité" a une résonance particulière pour moi, qui n'ai que de très lointains rapports avec les hommes à la Jean Gabin.

Si je devais résumer l'idée principale de cet ouvrage, c'est qu'il est vital de ne pas être là où l'on est attendu, mais là où on a envie d'être.

Çà parait bateau dit comme ça, mais c'est évidemment étayé par de nombreuses réflexions et un tas d'exemples, basés sur ce que l'auteure a vécu.

Son parcours est celui d'une personne qui a des postures et attitudes qu'on décrit comme traditionnellement masculines, qui est à des kilomètres de "l'éternel féminin" mais qui se trouve être une fille.

Elle décrit bien la façon dont cela passe pour une anomalie, les discours culpabilisants comme quoi elle refoule quelque chose, que ce n'est pas normal, etc. comment on lui demande en fait de se justifier.

Et bien sûr, en réalité, il n'y a rien à justifier, c'est sa liberté, c'est "comme ça".

Elle continue dans ce cheminement en racontant des expériences plutôt extrêmes, comme lorsqu'elle s'est faite violer par une bande de banlieusards qui l'avaient prise en auto stop.

Dans ce triste souvenir, ce qui détonne par rapport au récit habituel du traumatisme insurmontable, c'est qu'elle a cependant continué à sortir et à faire du stop, refusant là aussi de rentrer dans le schéma de la victime blessée à vie.

Elle ne nie évidemment pas tout ce qu'a impliqué pour elle cette agression sinistre et injustifiable, mais montre encore une fois qu'il n'y a pas qu'une voie et qu'on peut, qu'on doit dire merde à ce qui est attendu.

Un autre passage marquant est celui où elle raconte s'être prostituée quelques années.

Là encore, elle prend les lecteurs à rebrousse-poil en décrivant ce moment de sa vie comme un bon souvenir, en définissant la prostitution comme un moyen facile et bien venu de se faire beaucoup d'argent avec peu d'efforts, et en envoyant bouler les habituelles considérations morales sur le sujet.

De nouveau l'idée maîtresse est le choix, l'individu, le rejet de l'assignation.

Dans King Kong Théorie, j'ai découvert quelqu'un dont je n'aimerais pas me trouver en travers du chemin, car elle semble dure, voire impitoyable.

Je ne suis pas non plus forcément d'accord avec tout, notamment le côté libertaire et anarchiste.

Mais j'ai trouvé sa démonstration très pertinente, et j'adhère tout à fait au rejet de notre société genrée et pleine d'étiquettes.

Et ce féminisme-là, qui est finalement au-delà du féminisme, est une cause qui me parle.

Extrait:
"J'écris de chez les moches, pour les moches, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf, aussi bien que pour les hommes qui n'ont pas envie d'être protecteurs, ceux qui voudraient l'être mais ne savent pas s'y prendre, ceux qui ne sont pas ambitieux, ni compétitifs, ni bien membrés. Parce que l'idéal de la femme blanche séduisante qu'on nous brandit tout le temps sous le nez, je crois bien qu'il n'existe pas."

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