mardi 4 octobre 2016

Frontières (4): Parcs involontaires

Je reprends ma série sur les frontières pour évoquer un cas de frontière un peu particulier, puisqu'il s'agit de zones rendues à la nature (on parle de renaturation), à la suite d'événements liés aux agissements humains. On appelle ces lieux "parcs involontaires".

Un premier type de parc involontaire nait lorsque les belligérants d'un conflit souhaitent créer une espace neutralisé entre leurs territoires. Ils établissent alors ce qu'on appelle un no man's land, une zone tampon dans laquelle tout établissement humain est prohibé.

Les plus connus de ces parcs sont issus de la Guerre Froide, cette longue période durant laquelle le monde était divisé en deux blocs se scrutant l'un l'autre.

A cette époque, l'Europe était coupée en deux par ce qu'on appelait le Rideau de fer. Celui-ci se matérialisait par un long couloir, militarisé des deux côtés, qui coupait le continent en deux et dans lequel la nature ne fut plus exploitée jusqu'à la chute des dictatures communistes.

Lorsque celles-ci s'écroulèrent dans les années 1990, la zone constituait un biotope original car ayant subi quasiment cinquante ans de jachère.

Ayant pris conscience de ce caractère exceptionnel, plusieurs personnes se mobilisèrent pour la conserver en l'état. Leur activisme aboutit au projet de création d'une ceinture verte européenne lancé en 2008.

Celui-ci annonçait deux buts: créer un espace de mémoire de la Guerre Froide, et mettre en place un parc écologique transnational européen (pour en savoir plus, voici leur site).

Une autre de ces zones, également issue de l'affrontement des blocs mais dont la disparition n'est hélas pas du tout d'actualité se situe entre les deux Corée.

Depuis les années 50, ce lieu, extrêmement militarisé et surveillé, est devenu un véritable sanctuaire pour la faune originelle de la péninsule.

Cette réserve imprévue est d'autant plus importante que l'urbanisation galopante et les modèles autoritaires de développement qui sévirent de part et d'autre ont considérablement dégradé l'environnement naturel coréen.

Du coup, certains militent pour que l'UNESCO en reconnaisse la valeur et en pérennise la protection.

Un deuxième type de parc involontaire, hélas tout aussi répandu, est celui des zones trop polluées qui sont déclarées impropres à la vie humaine et vidées de leurs habitants.

Cela a pu arriver suite à des catastrophes industrielles classiques, comme lorsque la ville Times Beach, dans le Missouri, dut être évacuée suite à une pollution à la dioxine, mais la cause d'abandon la plus marquante est la radiation nucléaire.

Plusieurs atolls du Pacifique ont été sciemment sacrifiés et vidés de leurs habitants pour cause d'essais nucléaires (Bikini par les USA, Mururoa par la France, les îles Montebello par l'Australie), mais ils ne constituent pas forcément des parcs involontaires.

En revanche, la catastrophe nucléaire qui eut lieu en 1986 à Tchernobyl entraina la création d'une grande zone d'exclusion à cheval sur les deux pays les plus touchés par les émissions de la centrale, la Biélorussie et l'Ukraine.

Trente ans plus tard, dans cet endroit où la radioactivité reste impressionnante, la Nature a repris ses droits de manière spectaculaire.

Et cette zone d'exclusion, où des gens sont revenus vivre clandestinement (dans son livre La supplication, l'auteure Svetlana Alexievitch en interroge quelques-uns parmi tous les témoins/acteurs du drame qu'elle a approchés) est même devenue l'une des zones de biodiversité les plus riches d'Europe, et son étude fascine tant scientifiques que curieux.

En tout cas, quand on regarde ces parcs involontaires, on constate que dans tous ces lieux, intimement liés à ce que notre espèce peut avoir de plus destructeur et mauvais, la Nature réussit à se réinstaller, plus ou moins rapidement, mais toujours.

C'est un constat que je trouve très rassurant.

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