jeudi 13 octobre 2016

Livres (21): Le totem du loup, un Danse avec les loups chinois

Le totem du loup est un best seller chinois paru en 2004, dont quelques connaissances venues de Chine m'avaient confirmé l'intérêt.

Son auteur, qui écrit sous le pseudonyme de Jiang Rong, s'est inspiré de sa vie pour l'écrire, une vie qui épouse l'histoire tumultueuse de la Chine du 20e siècle puisqu'il fut entre autres garde rouge à l'époque de la Révolution Culturelle avant de faire de la prison suite aux manifestations de Tian'anmen de 1989.

L'histoire se déroule en Mongolie intérieure, vaste territoire du nord de la Chine qui touche le pays du même nom et qui fit longtemps partie du même monde que celui-ci, que ce soit au niveau de la population, du climat ou de l'environnement.

On y suit l'installation d'une groupe de jeunes Chinois, envoyés là pendant la période troublée de la Révolution culturelle.

Ces jeunes étaient à la fois punis de leurs origines sociales suspectes et chargés de porter la bonne parole communiste auprès des nomades traditionnels qui habitaient la steppe.

Chen Zhen, le héros, est l'un de ce ces Chinois.

Pendant son séjour en Mongolie, il va découvrir un peuple à la culture ancienne, originale et très forte, les liens complexes qu'ils ont tissé avec le milieu exigeant et impitoyable de la steppe, et les surprenantes interactions qu'ils ont mises en place avec les loups.

Cet animal suscite vite la fascination du jeune homme, qui va peu à peu tomber amoureux de la culture de ses hôtes, adhérer à leur sagesse et remettre en question ses propres idéaux.

Hélas pour lui, c'est à un monde finissant qu'il se frotte, le pouvoir de Pékin entendant bien augmenter l'utilité économique du territoire en l'ouvrant à la colonisation et à la modernité.

Pour cela, il commence par en exterminer les loups, comme on le fit également sous nos latitudes (rappelons la longue existence en France de la louveterie, corps chargé de la destruction des nuisibles, avec le loup au premier rang).

A son corps défendant, Chen Zhen sera le spectateur impuissant de cet inexorable changement d'ère.

Jiang Rong confesse avoir vécu à peu près le même parcours et s'être inspiré de ces propres souvenirs pour ce livre qui, si je l'ai trouvé parfois longuet, est extrêmement riche et dans lequel j'ai trouvé une foule de choses.

La première partie raconte l'initiation de Chen Zhen à la steppe par la famille d'un vieux Mongol qui le prend sous son aile.

Avec celui-ci, il va s'occuper du bétail, chasser, chevaucher et comprendre la complexe symbiose qui unit son peuple aux loups.

Des loups qui sont partout, qui tendent des embuscades et attaquent les troupeaux la nuit, contre lesquels tout le monde est mobilisé, chiens, femmes et enfants.

Mais aussi des loups à qui l'on confie les corps des défunts pour l'ultime voyage et sur lesquels on compte pour limiter le nombre d'herbivores qui broutent la steppe, comme les rats ou les gazelles.

Peu à peu, il s'implique de plus en plus, apprend les coutumes et les légendes mongoles.

Il finit par gagner le respect et l'affection de ses hôtes en prenant part à toutes leurs activités, en faisant preuve de courage physique et en leur rendant leur hospitalité dès qu'il le peut, par exemple en leur faisant découvrir la cuisine chinoise.

Régulièrement, il échange des impressions avec le groupe de jeunes instruits venus comme lui du reste de la Chine.

Dans ces passages, passionnants, on les voit réfléchir et analyser le monde, convoquer l'histoire, comparer les civilisations et les mœurs.

L'opposition millénaire entre nomades et sédentaires est évoquée, la supériorité militaire du peuple du loup -les Mongols- par rapport au peuple du dragon -les Chinois- est soulignée.

Quelques fois l'Occident est cité, dans un mélange d'admiration et de ressentiment, avec des tentatives d'expliquer la brutale domination qu'ils surent imposer à la Chine pendant plus d'un siècle.

Il est d'ailleurs assez savoureux pour l'Européen du 21ième siècle que je suis de voir croquer les siens comme des barbares violents pleins d'une vitalité conquérante irrépressible, miroir d'une Chine vue comme avachie et en décrochage par ses habitants.

Ce discours est un parfait décalque de ce qu'on peut lire aujourd'hui chez beaucoup d'auteurs vis-à-vis du monde arabe par exemple.

Dans une deuxième partie, on voit l'arrivée de colons du sud, plus sédentaires et prédateurs, décrits comme des gens qui ne respectent rien et s'imposent.

Chen Zhen, comme les vieux Mongols et peut-être plus car il s'agit des siens, voit leur arrivée avec un mélange d'effroi et de dégoût, et assiste avec abattement à des battues sanglantes organisée par des tireurs d'élite aux fusils surpuissants, face auxquels les animaux n'ont absolument aucune chance.

Il quittera finalement la Mongolie, qu'il laissera avec regret, suivi par les autres instruits.

Le livre se termine par un pèlerinage de nos Chinois, devenus vieux, dans la Mongolie de leur jeunesse.

Ils y vont en voiture, y retrouvent certains amis et familles, et découvrent un pays complètement transformé, urbanisé, motorisé, dont l'écosystème est en grande partie détruit et où les jeunes ont délaissé les anciennes valeurs.

Le livre s'achève sur cette fin mi figue mi raisin.

Le Totem du loup m'a souvent fait penser à une version orientale de Danse avec les loups, avec un héros quittant sa culture dominante pour une autre plus primitive mais plus noble à ses yeux, même si le changement n'est pas aussi radical que celui du personnage incarné par Kevin Costner et si la fin est moins tragique.

A bien des égards, ce livre est aussi une ode à la nature, un roman écologique paru dans un pays qui n'a pas la réputation de l'être beaucoup.

L'auteur insiste sur l'importance de garder un équilibre, de laisser la terre se reposer, du rôle des prédateurs dans la limitation des herbivores, du fait que tout est lié de manière subtile et doit être respecté.

A propos de la Chine et du système communiste, Riong glisse également quelques critiques, citant notamment les désastres écologiques orchestrés par les programmes de mise en valeur de l'Asie centrale par l'URSS de Krouchtchev.

La passion du loup et de la vie tribale du héros peut également être vue comme une critique de la soumission naturelle prêtée aux Chinois, dont il dit plusieurs fois qu'ils doivent devenir loups pour être forts et libres comme les Mongols.

Enfin, Le totem du loup est aussi l'histoire d'un homme, de sa jeunesse enfuie et des infidélités que la vie pousse chacun à faire à ses idéaux.

Malgré quelques longueurs, je comprend le succès qu'il a obtenu, je l'ai trouvé très attachant et j'ai eu un peu de peine à quitter ses héros.

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