vendredi 1 juillet 2016

Livres (20): Un artiste du monde flottant

Kazuo Ishiguro est un écrivain britannique d'origine japonaise.

Il a grandi en Grande-Bretagne tout en recevant une éducation nippone par sa famille, dont le but était un retour au Japon qui ne se fit jamais.

Ma compagne ayant beaucoup lu cet auteur biculturel, j'ai fini par le tester aussi, d'abord par Nocturnes, un recueil de nouvelles tournant autour de la musique, puis en lisant son roman Un artiste du monde flottant.

Dans les deux cas, son style m'a un peu rebuté.

Je lui ai trouvé une espère de sophistication particulière, un peu comme s'il n'allait pas à l'essentiel et digressait, s'il ajoutait quelques détails en trop. Et cela même si au final ces détails comptaient pour mettre en place intrigues et personnages.

En revanche, les histoires sont très intéressantes, et le roman en particulier était de ces lectures qui marquent.

Ishiguro y fait parler un vieil artiste japonais à la fin des années 40. Celui-ci se présente comme un peintre renommé qui a pris sa retraite et qui vit dans une grande maison traditionnelle de Tokyo, maison rachetée à une famille noble pour une bouchée de pain (le livre commence par cette histoire).

Veuf, il la partage avec sa fille, suffisamment âgée pour que le mariage soit devenu un problème à régler au plus vite. Il a aussi perdu un fils à la guerre et il est père d'une autre fille, elle-même mariée et mère.

Par d'incessants flash-backs, ce vieil homme évoque sa vie passée, sa jeunesse, sa formation intellectuelle et artistique, et le Japon d'alors, qu'il compare à celui de 1948-50 où l'histoire se déroule.

Il nous explique que sa source d'inspiration initiale, sous l'influence de l'un de ses maîtres, est le "monde flottant".

Par ce terme, les Japonais désignent le monde interlope de la nuit, les bars, les prostituées, les demi-mondaines, les danseuses, la musique...tout ce qui a trait aux quartiers de plaisir en fait.

On comprend que le héros a passé plus que son content de temps dans l'un de ces quartiers, désormais détruit par les bombardements américains et transformé par la reconstruction modernisante de l'après-guerre, et qu'il s'accroche à son dernier vestige, un bar tenu par une dame qui se retrouve isolé et quasi vide dans une zone ravagée.

Insidieusement, on sent aussi un certain malaise du héros vis-à-vis de la nouvelle génération et de l'ouverture du Japon au reste du monde, et notamment à la culture américaine dont on voit la fascination sur les enfants via son petit-fils, qui préfère jouer au cow-boy qu'au samouraï et mange des épinards pour ressembler à Popeye.

Mais il s'avère que le malaise est aussi d'un autre ordre.

On comprend que via certaines rencontres, le vieux maître s'est jadis mis au service de la propagande impérialiste gouvernementale et de ce nationalisme japonais agressif qui valait bien ses homologues occidentaux.

Cette page d'histoire, peu connue chez nous et complètement refoulée chez eux, est illustrée par quelques exemples qui éveillent des comparaisons troublantes: destruction de l'art antipatriotique, traque des influences occidentales dans toutes les oeuvre, militarisme à outrance...

Notre héros semble considérer tout cela comme peu grave, voire légitime étant donné le contexte, et pour cela il suscite l'ire de beaucoup de ses contemporains plus jeunes, et celle de certains anciens amis et connaissances.

Et l'on finit par comprendre que ce passif a été jusqu'à entraîner l'annulation d'un projet de mariage de sa fille par la famille de son fiancé.

Le vieil homme s'en rend toutefois compte et parvient à corriger le tir pour le prétendant suivant.

Pour autant, on sent qu'il ne regrette pas vraiment. Et lors d'une ultime conversation avec l'homme qui l'a entraîné sur les chemins de l'art propagandiste, devenu malade, il conclut avec lui qu'il vaut mieux s'être trompé en s'engageant de bonne foi, pourvu que ce soit avec passion, que de s'être contenté d'une vie médiocre.

Dans ce livre, il ne se passe pas grand-chose, mais l'analyse du cheminement, des pensées et des doutes d'un homme jadis important et désormais en porte-à-faux avec la société où il évolue est touchante, captivante et bien rendue.

Et bien sûr il y a l'environnement japonais, avec les mille et un détails sur la vie, les coutumes et la culture de ce pays si singulier, longtemps le seul du monde non blanc à tenir un rang équivalent (voire supérieur) aux pays occidentaux, et qui fut capable par deux fois (à l'ère Meiji puis dans l'après-guerre) de se réinventer totalement sans pour autant se renier.

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