mercredi 29 juin 2016

Réflexions sur la démographie (5): La bombe D (2) - Colonisation

La colonisation par un peuple des territoires d'autres peuples a longtemps été une norme assumée sur la planète.

Les peuples forts attaquaient, soumettaient et dominaient les peuples faibles, dans une expansion considérée comme sinon naturelle, du moins parfaitement logique et légitime.

Et dans la plupart des cas, la démographie était une arme clé de ces conquêtes. Je vais détailler ce point dans le présent post.

Bombe D = plus de soldats

La première raison, évidente, de l'importance de la démographie, c'est que pendant longtemps le nombre de soldats alignés était l’élément décisif pour remporter la victoire.

C'était vrai avant les armes, un peu moins quand il y eut les armes de jet (on se souvient du rôle essentiel des archers anglais dans leur victoire à Azincourt), encore un peu moins quand il y eut les armes à feu, et encore moins quand celles-ci devinrent à répétition puis automatiques.

Mais pendant longtemps, un peuple nombreux avait une plus importante réserve de soldats, et par là un avantage certain.

Un bel exemple de cette importance des effectifs est celui de Napoléon 1er.

Tout le monde sait que le Corse fut un génie militaire, mais beaucoup moins se rappellent qu'à son époque la France était un géant démographique sans challenger véritable, sa population dominant de très loin celles de ses adversaires.

On sait aussi qu'à l'inverse, la prépondérance et la vitalité démographiques allemandes furent l'une des raisons qui expliquèrent la désastreuse défaite de l'autre Napoléon à Sedan.

A compter de cette date d'ailleurs, l'Hexagone fut obsédé par l'idée de rattraper ce retard et développa une politique nataliste (cette obsession n'est d'ailleurs pas encore passée, puisque l'on trouve encore des politiciens pour se féliciter du fait que nous continuons à rattraper l'Allemagne à la fécondité défaillante).

Bombe D = plus de colons

Mais conquérir n'est pas tout, il faut aussi s'assurer de la pérennité de sa présence sur les nouveaux territoires.

Et pour contrôler un territoire dans le temps, le choix le plus simple et le plus efficace est d'y installer des colons, ceux-ci étant forcément loyaux puisque leur statut dépend intégralement des rapports de force imposés par la métropole.

C'est ainsi que partout où un empire se développe il essaye d'installer des sujets, ce qui implique l'existence d'une réserve humaine, et donc une démographie vigoureuse.

Sans les millions de colons qu'elle exporta aux quatre coins du globe jusqu'aux années 60, l'Europe n'aurait jamais connu un tel rayonnement et une telle puissance.

Sans la transplantation de ses vigoureuses lignées sur des terres fraîchement conquises, la civilisation arabo-musulmane se serait cantonnée à la péninsule du même nom.

Sans une fécondité conséquente, la reconquête puis l'expansion russe vers le monde tatare n'aurait pu avoir lieu.

Dans plusieurs cas, d'ailleurs, c'est la pression démographique elle-même qui engendra la colonisation, les colons arrivant avant le colonisateur, leur présence justifiant l'annexion a posteriori.

La perpétuelle avancée russe vers l'est et le sud en est un exemple.

Dans un premier temps les zones frontières se peuplaient d'aventuriers et de serfs en fuite (ils pouvaient même former des communautés cosaques).

Puis le pouvoir tsariste venait officiellement valider leur présence en prenant possession du territoire et en y amenant sa loi.

La conquête de l'Ouest américain est encore plus typique de ce fonctionnement. Elle se fit toujours selon le même schéma.

Au début un traité était signé avec les tribus indiennes, leur reconnaissant un territoire précis.

Mais dès cette signature, des colons, de plus en plus nombreux, empiétaient sur le territoire indien, entraînant des conflits de plus en plus fréquents.

Lorsque ceux-ci se transformaient en guerre, l'armée intervenait. Elle gagnait et les Indiens en position de faiblesse devaient signer un nouveau traité qui entérinait la prise de possession des colons et l'amputation de leur territoire.

Le processus pouvait alors recommencer.

Au final, les premiers habitants de la majeure partie des états du continent américain se sont trouvés tellement marginalisés qu'ils ne comptent plus du tout et que les pays d'où ils sont issus se sont construits sans eux.

C'est vrai des USA, mais également du Canada, du Brésil, de l'Argentine, de l'Uruguay, du Chili, et d'autres encore, où la population indienne est désormais quantité négligeable.

Il se passa la même chose sur d'autres continents, par exemple en Australie, où les aborigènes furent submergés et pendant longtemps comptèrent si peu qu'on ne les recensait même pas.

Tout cela ne fut possible qu'à cause de l'énorme pression démographique exercée par l'Europe, d'où des flux permanents d'habitants miséreux partaient tenter leur chance ailleurs.

Il est frappant de voir que la colonisation a été irréversible seulement dans les endroits où les nouveaux arrivants avaient réussi à dominer numériquement les autochtones de façon significative.

Tous les conquérants l’avaient compris et la démographie était constamment à l'esprit de leurs dirigeants, conscients que l'avenir d'une colonie dépendait étroitement du rapport de population entre colons et colonisés.

Ainsi, l'un des objectifs majeurs de la France, lorsqu'elle prit définitivement le parti de rattacher l'Algérie à la métropole fut d'y créer une classe de paysans colons enracinés, de façon à quadriller le pays et à le souder au territoire national.

Gardant l’œil rivé sur la fécondité indigène, qui explosa littéralement après la chute initiale consécutive à la conquête, Paris tenta tout pour transplanter des Français sur la rive sud de la Méditerranée: villages de colonisation, implantations de chômeurs, déportations, naturalisations d'étrangers, etc.

En vain. Même le libéral Camus parlait de la marée arabe, et le rapport de 1 à 10 constaté en 1962 est l'une des explications du départ de la France.

La bombe D toujours stratégique aujourd'hui

On aurait tort de penser que ces pratiques soient réservées aux Européens ou qu'elles aient pris fin avec la décolonisation.

Au contraire, ces méthodes éprouvées continuent d'être reprises sous des horizons divers.

Il y a Israël bien sur, qui lutte en permanence pour importer le maximum de Juifs de la diaspora afin de garder son avance numérique sur les Palestiniens, mais ses "cousins" sont innombrables.

Le Bahrein naturalise pour sunnitiser sa population, l'Indonésie tente de submerger ses Papous, la Chine encercle les autochtones du Tibet et du Xingchuang avec des populations han.

Plus près de nous, la Turquie a installé plus de 120.000 colons dans la partie de Chypre qu'elle a annexée en 1974, à tel point que les Turcs d'importation y sont désormais plus nombreux que les descendants des Turcs chypriotes.

Et dans les îles du nord du Japon, c'est le peuple des Aïnous qui fut dominé jusqu'à son extinction.

Il est donc clair que la Bombe D a été et qu'elle est toujours l'une des armes cruciales lorsqu'il s'agit de coloniser.

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