mercredi 15 juin 2016

Auteurs (8): Jonathan Coe

J'aime beaucoup l'Angleterre.

L'anglais est la première langue étrangère que j'ai apprise, et je me souviens m'être passionné pour ce que racontait la prof old school de mon collège de campagne.

L'amateur d'histoire que je suis a ensuite croisé ce pays tellement de fois que mon intérêt pour cet éternel ennemi devenu un allié/rival n'a fait que croître avec le temps.

Le fait qu'ils nous aient toujours vaincus lors de batailles essentielles (Azincourt, Trafalgar, Aboukir, Waterloo), qu'ils nous aient imposé leurs vues et lois aux colonies (Canada, Antilles, Seychelles, Mascareignes, Fachoda), qu'ils aient su noyauter puis retourner une UE dont ils ne voulaient pas provoque à la fois l'irritation et une certaine admiration.

Du coup, comme beaucoup de Français, j'éprouve pour la perfide Albion un mélange d'agacement, de frustration et de fascination.

Ce pays est également le premier où je suis allé, dès que j'ai eu mon premier salaire, pour visiter un de mes amis dans le pays geordie.

J'ai adoré ce voyage dans cette région du Royaume-Uni anti touristique au possible.

J'ai ensuite visité Londres, que je n'ai pas plus aimé que Paris, et le Yorkshire, qu'a contrario j'ai beaucoup apprécié.

Au cours de ces voyages, j'ai fait un tas de rencontre intéressantes, qui ont fini de me convaincre que malgré le poids de l'histoire nous étions aujourd'hui peu ou prou dans le même bateau, puissances déclassées et vieillissantes confrontées à une mondialisation déstabilisante et à un passé trop grand à assumer, l'Angleterre devant en plus gérer des rapports complexes et ambiguës avec la première puissance mondiale.

Des Anglais, j'aime l'humour, le nationalisme farouche -rappelons-nous la seconde guerre mondiale- l'allergie aux grandes idées (ils ont eu Hobbes, nous avons eu Rousseau) et le pragmatisme bien souvent cynique.

La théorie dite des trois cercles, théorisée par Winston Churchill, est un bel exemple de cet égoïsme intelligent qui caractérise leur positionnement international.

Pour lui le Royaume-Uni appartenait à trois cercles: l’Europe, les pays de langue anglaise - en l’occurrence les États-Unis et les dominions "blancs" - et le Commonwealth.

Son idée était qu'aucun ne devait primer sur l'autre, et que l'indépendance britannique dépendait du maintien de cette équidistance.

C'est cette notion d'équilibre essentiel qui a poussé Londres à lutter au cours des siècles contre toute tentative d'hégémonie sur le continent, qu'elle vienne de l'Espagne, de la France (sans doute la plus longue opposition), puis de l'Allemagne, de la Russie et de l'URSS.

Pour cette dernière, rappelons d'ailleurs que Churchill était partisan de faire avancer les forces alliées le plus loin possible vers l'est. Il était bien plus lucide que Roosevelt sur la nature du régime soviétique.

Cette petite introduction me permet d'en arriver à l'auteur d'aujourd'hui, Jonathan Coe.

Ses livres dressent en effet un portrait très fouillé de l'Angleterre, peignant son évolution depuis les années 70, et décrivant la marque profonde laissée par les deux dirigeants emblématiques que furent Margaret Thatcher et Tony Blair.

J'ai découvert Coe en lisant son diptyque Bienvenue au club / Le cercle fermé. Il y racontait l'itinéraire d'un groupe de jeunes Anglais à vingt ans de distance, le premier ouvrage se terminant par l'élection de Thatcher.

Les parcours croisés de cette bande, les destins différents sont très fouillés et réalistes et j'ai beaucoup aimé.

J'ai ensuite lu l'excellentissime Testament à l'anglaise, qui raconte d'un ton corrosif l'histoire des années Thatcher à travers l'ascension d'une famille cupide et sans scrupules. Avec un humour ravageur, Coe montre la violence des réformes engagées par la dame de fer, et l'on sent bien de quel côté il est.

Enfin j'ai plus récemment lu La vie très privée de Mr Sim, portrait d'un quinqua à qui rien ne réussit et qui par le biais d'un voyage initiatique va finir par se découvrir et faire la paix avec lui-même.

J'ai trouvé plusieurs points communs à toutes ces oeuvres.

La première c'est que le héros y est généralement un loser qui subit les événements plutôt qu'il ne les vit, prisonnier d'un destin qui le dépasse.

Ses antihéros ont tous un sens de l'humour bien particulier, une sorte d''auto dérision un peu masochiste qui peut parfois les rapprocher de Houellebecq, même s'ils sont sans doute un peu moins asociaux et désespérés.

Et il y a donc le portrait de l'Angleterre, de l'impressionnante transformation de ce monde britannique depuis cinquante ans.

On croise toujours d'anciens ouvriers ou syndicalistes, des rescapés de cette culture si forte de la working class aujourd'hui laminée et remplacée par la City.

Des flashbacks montrent le temps d'avant, des monopoles d'état, des identités fortes, des rendez-vous collectifs, des gens moins individualistes et méfiants.

On est en Angleterre, mais il est facile de faire le parallèle avec la France et ce qu'il dit me parle, même s'il est plus vieux que moi d'une quinzaine d'années.

Dans un livre, il fait dire à son héros que ses parents font partie de la dernière génération de gens qui parlaient facilement à un inconnu et lui faisaient confiance a priori.

Çà m'a frappé parce que j'avais justement pris conscience de ça en Roumanie, où les personnes de l'âge de mes parents ont le même mode de pensée alors que celui-ci n'existe pas ou plus en France.

J'ai quand même trouvé qu'il était difficile de rentrer dans les histoires de Coe, qui paraissent brouillonnes au début, mais dont on comprend peu à peu la logique et les ramifications.

Il y a aussi parfois un côté "gadget" qui peut être énervant, mais c'est quelque chose qu'on trouve pas mal aujourd'hui, avec des auteurs qui utilisent des effets de police et jouent sur la mise en page.

Mais c'est tout de même toujours avec plaisir que je retrouve les univers de Jonathan Coe et son Angleterre.


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