mercredi 24 septembre 2014

Livres (8): Via Mala

Je ne sais plus où j'ai entendu pour la première fois le titre Via Mala mais ce nom fait partie de ceux qui m'ont accroché un jour l'oreille, comme Knokke-le-Zoute, Arcole ou la Terre Promise, Palavas les flots, Torremolinos, Fabien de la Drôme, etc.

Longtemps je n'ai pas su s'il s'agissait d'un lieu, d'un livre, d'un film ou d'autre chose. Puis mon beau-père m'en a parlé, voici quelques années, et je suis ensuite tombé sur un vieux livre de poche un peu moisi qui portait ce titre. Je me suis alors décidé à le lire, sans savoir de quoi il parlait.

J'ai eu du mal à rentrer dedans et à le finir, mais au final c'était une lecture marquante.

L'histoire est celle d'une famille catholique suisse qui vit dans les Grisons, un canton de montagne à majorité protestante, près d'une vallée montagneuse appelée Via Mala.

Ils habitent dans la scierie qu'ils exploitent, isolés près d'une cascade qui fournit l'énergie et dont l'humidité et le bruit assourdissants pénètrent maison et gens. Mais surtout, ils vivent sous la coupe d'un homme épouvantable qui leur fait vivre un véritable enfer.

Alcoolique, il dilapide en boisson le peu d'argent qu'il gagne en faisant trimer un vieil ouvrier infirme qu'il ne paye pas et ses propres enfants.

D'une violence aveugle, il a rendu deux de ces derniers estropiés en les battant et on suggère qu'il en a volontairement laissé deux autres mourir de froid lorsqu'ils étaient bébés.

Il a par ailleurs des pulsions incestueuses et trompe sa femme avec tout ce qu'il peut, y compris l'épouse de son ouvrier, faisant des enfants à droite et à gauche.

L'auteur, John Knittel, dépeint d'une manière cruellement réaliste la terreur dans laquelle vit la famille, les caractères des uns et des autres, le mélange de mépris et de crainte des habitants du village.

Le portrait est d'autant plus terrible que ses enfants, surtout deux d'entre eux, ne cessent d'espérer un changement, de rêver que cela prendra fin, de fantasmer. En vain, le monstre faisant souffler le chaud et froid selon ses envies sans jamais changer.

On ne peut que haïr violemment cet homme et la litanie de toutes ces atrocités rend la première partie du livre extrêmement pénible.

Dans la famille, il y a une jeune fille, Sylvelie, qui, en plus d'être belle, est la douceur même, tient tête au tyran en voulant toujours défendre les autres plutôt qu'elle-même et se démène pour trouver une solution à tout, faisant des kilomètres à pied pour aller travailler au village voisin.

Là-bas elle se lie d'amitié avec un vieux peintre fortuné qui savoure sa présence comme un dernier cadeau de la vie et l'engage comme femme à tout faire dans son chalet de vacances. Elle trouve en sa compagnie une ouverture sur le monde qu'elle ne soupçonnait pas et un rayon de soleil dans sa pénible existence.

Mais un jour le vieillard meurt et Sylvelie découvre avec stupeur qu'il lui lègue une véritable petite fortune en héritage.

Fortune que, vu qu'elle est mineure, le père s'empresse d'accaparer en allant la retirer auprès de la banque. Sylvelie tente de récupérer son bien tandis que pour le reste de la famille, c'est l'indignité de trop.

S'attaquer à la plus méritante et gentille d'entre eux est la goutte qui fait déborder le vase. Révoltés, ils décident alors de commettre l'irréparable.

Sous la direction du fils et de l'ouvrier infirme, ils mettent au point un guet-apens et lorsque le père rentre, ils le tuent, dans une scène atroce.

Ils le font sciemment en l'absence de Sylvelie, parce qu'ils savent qu'elle aurait empêché l'acte. Lorsque cette dernière rentre, elle ne peut que constater le fait et s'effondrer, clôturant la première partie du livre.

L'histoire reprend par la description de la vie d'Andreas, un fils gâté de l'aristocratie suisse, esprit frondeur et jouisseur devenu juge, plein de principes et de fougue et qui mène sa vie comme il l'entend.

Un jour il rencontre Sylvelie, qui a quitté la Via Mala pour devenir servante en ville. Ils tombent fous amoureux l'un de l'autre, se marient et ont un enfant, voyagent en montagne et connaissent un bonheur parfait, à l'exception de crises dépressives de la jeune mariée.

Le conte de fée continue jusqu'à ce que le mari découvre un jour sur son bureau (il est responsable de la justice dans la région) le dossier juridique portant sur la disparition de son beau-père et commence à douter.

A la fois par déformation professionnelle et par fidélité à ses principes, il enquête et finit par découvrir le lourd secret de sa belle-famille, à qui il fait avouer ce qui s'est passé. Il se retrouve alors face à un cas de conscience insoluble.

Ce livre m'a intéressé pour plusieurs raisons.

La première est qu'il dresse un portrait de la Suisse, pays que l'on connait finalement assez peu une fois sortis des clichés sur les banques, la neutralité, les coucous ou la fondue.

Y sont dessinées ses diverses communautés, religieuses et linguistiques, ses équilibres, le fonctionnement de ses institutions, les mondes ruraux et urbains, le capitalisme naissant...

L'autre point est qu'il pose des questions d'ordre moral.

Jusqu'à quel point doit-on suivre un système législatif, par définition imparfait?

Tout le monde n'a pas les mêmes conditions et opportunités au départ, comment intégrer cet aspect dans la prise en compte et le jugement de chacun par la collectivité?

Est-ce qu'il n'y a pas des cas où des actes répréhensibles doivent être vus avec clémence, voire comme de la légitime défense?

Par ailleurs, n'y a-t-il pas des questions qui dépassent le jugement humain?

Ces questions, Knittel nous les pose à travers le personnage du juge Andreas, un esprit fort chez un homme comblé depuis le berceau, qui dirige sa vie selon des principes bien arrêtés et sans avoir l'occasion de douter.

La confrontation de ces principes avec la réalité sordide de sa belle-famille ébranle ses convictions, lui montrant que la vie n'est pas si simple que ce qu'il imagine, qu'elle est tout en nuance et injustices.

Ces questions gardent toute leur actualité, et c'est sans doute pour ça que ce livre est puissant et finalement marquant.

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