vendredi 26 juin 2015

Il est interdit d'interdire

Mai 1968 est une date qui ne laisse personne indifférent en France: c'est un peu la date officielle d'un véritable changement d'époque.

Cette période mythifiée est chargée de symboles, qu'ils soient repoussoirs ou emblèmes, qu'on s'y réfère comme la catastrophe ou comme la victoire, qu'on veuille la liquider, comme certains de nos politiques, ou achever l'entreprise qu'elle a commencée comme d'autres.

Je ne vais pas refaire dans ce post un point sur l'histoire de cette période, la littérature sur le sujet est plus qu'abondante et les "anciens combattants" de 68 suffisamment omniprésents dans les médias pour qu'on ne risque pas d'oublier.

En revanche, je voudrais revenir sur le vent de liberté que le mai 68 intellectuel avait provoqué, sur l'extraordinaire effervescence de ce moment-là.

En 68, on voulut en effet tout remettre en cause, tout changer et transformer, faire un Reset à l'échelle de la société.

Cette volonté de chamboulement intégral se retrouve dans les slogans de l'époque, dont certains firent date: l'affligeant "CRS SS", "Soyons réaliste, exigeons l'impossible" et "Il est interdit d'interdire".

L'habile et percutant jeu de mots que constitue ce dernier est très représentatif de ce désir de liberté totale, de la volonté de l'époque de s'affranchir des carcans de la société et de toutes les contraintes, de ce monde ancien perçu comme aliénant, perverti et à mettre à bas dans sa totalité.

La mise en pratique de cette devise ouvrit une fenêtre de liberté incroyable, et des expérimentations inenvisageables à d'autres époques furent accomplies.

Pour le meilleur et pour le pire.

En effet, la liberté comme seule doctrine est explosive, et certaines de ces expériences nous paraissent aujourd'hui inouïes ou choquantes.

Je vais donner quelques exemples de dérives ici.

L'affaire Charles Manson

Charles Manson était un gourou à la tête d'une communauté hippie, La Famille, comme il y en avait tant à cette époque de recherche frénétique de spiritualité alternative et de moyens de planer.

Comme pour les autres gourous d'alors, ses doctrines et le mode de vie de ses fidèles provoquaient un vague sourire ou affligeaient, mais on ne prenait pas tout ça très au sérieux.

Sauf que l'envers était assez sordide. Vols, trafics de drogue, théories racistes étranges (l’avènement d'une domination des noirs qu'il dirigerait), domination sexuelle...et au final l'horreur.

Manson s'avéra en effet être un véritable fou dangereux aux tendances homicides: lorsque avec ses fidèles il assassina dans des circonstances affreuses Sharon Tate, la compagne enceinte du cinéaste Roman Polanski, le masque tomba.

Après un retentissant procès, il fut condamné à la prison à perpétuité. Il vit encore aujourd'hui et semble toujours aussi cinglé (il a notamment une croix gammée tatouée sur le visage).

Dans la culture populaire, il est devenu l'archétype du monstre sadique et un symbole particulièrement glauque de la dérive sectaire d'une partie des mouvements hippies qui n'ont pas su gérer la fin de partie.

(Pour l'anecdote le chanteur Marylin Manson a choisi son pseudonyme en mariant deux icônes américaines: celles du sex symbol et du serial killer).

Les avatars sordides de la révolution sexuelle

L'autre exemple, le plus emblématique de ces années-là plonge ses racines dans la révolution sexuelle.

Cette dite révolution reposait sur l'idée que le couple, la fidélité, les sentiments amoureux étaient des valeurs bourgeoises dépassées.

Le sexe était une fin en soi, il fallait laisser libre cours à ses désirs, changer de partenaire, "jouir sans entraves". Certains intégraient même cet élan à la politique et au marxisme, faisant de l'orgasme un acte révolutionnaire et engagé...

Aujourd'hui beaucoup dénoncent finalement la révolution sexuelle comme une supercherie, soulignant le remplacement du sexe réprimé par l'orgasme obligatoire et le fait que le choix des partenaires était toujours là et toujours aussi injuste (en gros, les beaux baisaient plus et avec qui ils voulaient).

Quoi qu'il en soit, cette atmosphère donnait une liberté de ton assez inimaginable aujourd'hui, dans laquelle s'engouffrèrent tout un tas d'adeptes plus extrêmes, notamment pour deux pratiques aujourd'hui condamnées mais qui ont pu alors être tolérées voire bien vues: la zoophilie et la pédophilie.

En Allemagne les relations sexuelles avec des animaux furent légalement autorisées jusqu'à une date récente, et ses adeptes se sont organisée dans la très sérieuse ZETA (Zoophiles Engagement für Toleranz und Aufklärung), dont le responsable vit en couple avec une chienne berger allemand et milite contre la pénalisation qui s'annonce.

J'ai découvert cette stupéfiante info en tombant sur cet article.

Notons qu'il y eut aussi une actrice porno, la danoise Bodil Joensen, qui connut son heure de gloire avec des films dans lesquels elle batifolait avec toute sorte d'animaux. Elle eut même sa propre ferme où on pouvait la visiter et rencontrer ses "amants"...

Quant à la pédophilie, avant de devenir une pathologie répréhensible puis le Mal incarné, cette tendance était souvent vue avec bienveillance/indulgence (les Anciens ne l'étaient-ils pas?).

Comme l'homosexualité, la pédophilie pouvait même être vue comme une forme de révolte anti-bourgeoise, comme le dit Cohn-Bendit à propos de son livre, le grand bazar, dans lequel il parlait des attouchements des enfants qu'il gardait simplement pour choquer.

Et ses amateurs s'organisèrent à l'époque de la même façon que les militants de la cause gay, tentant d'ailleurs d'associer leurs deux combats.

Il y eut des journaux les défendant, des pétitions, des porte-paroles emblématiques, dont des auteurs connus et intervenant à visage découvert comme Tony Duvert ou Gabriel Mazneff.

Des débats eurent lieu, des personnalités prirent des positions dont ils ont aujourd'hui honte et une revue pédophile, Le petit gredin, parut même quelques années le plus normalement du monde, aussi incroyable que cela paraisse aujourd'hui.

Dans le même domaine, la photographe Irina Ionesco réalisa une série très connue de clichés érotisés de sa petite fille, maquillée et déshabillée de façon très sexuelle. L'enfant a maintenant grandi, intenté un procès à sa mère et fait un film de cette expérience forcément très marquante.

Aujourd'hui mai 68 et cette étrange vague euphorique s'éloignent de plus en plus. Nous sommes néanmoins tous les héritiers de cette période de bouleversements sociaux importants.

Il ne s'agit pas de rejeter en bloc tout cet héritage, mais il est important de montrer par ces exemples que les limites imposées par les sociétés ne sont pas toutes des aliénations.

Au contraire, ce sont parfois des protections.

Et les vieilles rengaines de la liberté qui s'arrête où commence celle des autres, la nécessité de la politesse, de l'effort, d'une justice formalisée, tous ces concepts qu'on avait un peu vite jetés aux orties en fantasmant sur la remise à zéro s'avèrent finalement des éléments indispensables pour une société qui fonctionne de manière civilisée.

Dommage que pour s'en convaincre certains aient du payer les pots cassés.

Lire:
- Sur la révolution sexuelle ICI.

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