mercredi 10 février 2016

Alcool

En France, l'alcool est globalement vu comme une tradition, un héritage, presque un produit culturel. On considère largement qu'il est une part de notre patrimoine, à commencer par le vin.

Mais c'est également un objet festif, un ingrédient nécessaire à la fête, le petit plus qui fait la différence.

Je me souviens lors de mon adolescence à quel point celui qui ne picolait pas était moqué, considéré comme peu viril, peut-être encore plus que celui qui ne fumait pas.

A l'armée aussi l'alcool était incontournable, et dans les "pots" au travail, malgré la législation, il coule bien souvent.

Cette omniprésence est vue avec une indulgence un peu surprenante pour notre époque si prompte à traquer la malbouffe, les écarts alimentaires de tout type et à combattre cannabis et tabac.

Pourtant si l'on compare tous ces types de consommation, force est de constater que l'alcool est impliqué dans un très grand nombre de maladies, de faits divers et de morts, que ce soit des accidents de la route ou des disputes qui dégénèrent vers le sordide. On estime même qu'il est la deuxième cause de mortalité évitable dans le pays.

Je ne sais pas à partir de quand on a commencé à consommer de l'alcool, mais on en a longtemps bu quotidiennement, du moins en Europe.

Il y avait sans doute des raisons sanitaires à cela puisque l'eau non traitée était souvent vecteur de maladies, bien plus que le vin. Mais il y avait aussi l'idée qu'on était fortifié par un spiritueux, que ça faisait du bien.

Mon père m'a raconté comment la suppression du vin dans les cantines scolaires, qu'il avait vécue, avait suscité l'indignation de beaucoup de gens.

Pour ma part, je suis un buveur occasionnel et je pense que le danger de cet aliment réside dans le bien-être qu'il peut procurer.

L'ivresse parvient à libérer des angoisses, de la douleur, des inhibitions, elle tient chaud.

Du coup, beaucoup de gens prennent l'habitude de boire ponctuellement pour aller mieux et gagner en assurance, puis finalement ne savent plus s'arrêter.

Il parait qu'il y aurait en France 5.000.000 de personnes ayant un problème avec l'alcool, dont 2.000.000 d'alcooliques proprement dits.

Le chiffre peut sembler énorme, mais si l'on réfléchit bien, pas tant que ça. Il suffit de regarder.

Déjà chacun des nombreux SDF que l'on peut croiser dans toutes les villes du pays est imbibé du matin au soir.

A la campagne également, les alcooliques sont nombreux. Certains y viennent parce qu'ils aiment trop la fête et se laissent déborder, d'autres par atavisme et culture familiale, certains enfin par ennui. Dans mon village d'origine, plusieurs personnes se sont mises à boire à la retraite.

En réfléchissant un peu, on a tous croisé des drames liés à l'alcool. J'ai ainsi personnellement connu un garçon dont le père avait été écrasé par un chauffard alcoolisé, un autre resté trois jours en coma éthylique et au moins deux personnes mortes jeunes (la cinquantaine) de ce genre d'excès.

L'une d'entre elles était une collègue qui arrivait au bureau saoule un jour sur deux et qui a fini par y mourir brutalement, un vendredi matin. On l'a retrouvée sur son bureau, inerte et morte.

Dans presque toutes les familles il est facile de trouver deux ou trois personnes que cette funeste passion a abîmées ou brouillées avec les autres membres. Les parents d'un ami de mon fils se sont d'ailleurs séparés à cause de ça.

Enfin, on ne compte pas les artistes que cette addiction a démoli temporairement ou définitivement, comme Renaud, qui décrit bien dans ses chansons ses rapports avec le démon de la bouteille.

Malgré tous ces aspects finalement tragiques, le goût pour l'alcool et ses excès restent vus chez nous comme un péché véniel.

L'alcoolique est comique, comme le Capitaine Haddock de Tintin par exemple.

Ou bien c'est un être torturé et romantique: pensons à tous ces héros marqués par la vie qui tutoient souvent le goulot, des personnages incarnés par Bogart jusqu'à l'héroïne de BD Jessica Blandy.

La réalité est beaucoup moins drôle: l'alcoolique est un drogué qui se détruit à petit feu et empoisonne la vie de ses proches en plus de démolir la sienne.

Depuis les années 60, la consommation globale marque le pas en France, et elle change de nature. Pour la plupart des gens, elle n'est plus quotidienne.

En revanche, la pratique du "binge drinking", venue d'Europe du nord et des pays anglo-saxons, connait un franc succès, chez les jeunes mais pas seulement. Et l'on note aussi que, comme pour la cigarette, les pratiques féminines s'alignent de plus en plus sur celles des hommes.

Je ne suis pas anti-alcool, il y en a que j'apprécie beaucoup.

Mais c'est vrai qu'on a l'impression qu'en se focalisant sur le cannabis, on passe un peu à côté de ce qui reste un des grands fléaux de notre société, qui mériterait peut-être un peu plus d'attention de la part des pouvoirs publics.

Rappelons en effet qu'en France comment en Europe, l'alcool reste bel et bien la première addiction, avec un coût social très élevé, et ce même si la consommation globale baisse.

Terminons en indiquant que pour compenser cette désaffection, les alcooliers se sont tournés vers les pays en développement, y pratiquant une publicité agressive et contestée, comme en Afrique où ce marché connait un boom.

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