mardi 9 février 2016

Sous la Bible et le Coran

Dans bon nombre de revues sont régulièrement publiées des cartes qui donnent la répartition des religions dans le monde.

Deux d'entre elles se taillent la part du lion: le christianisme et l'islam, dont les fidèles cumulés représentent plus de la moitié de la population du globe.

Sur ces cartes on voit pour chacune d'entre elles de larges zones bien délimitées, ce qui peut donner l'illusion d'une unité de croyance sur des kilomètres carrés, mais c'est bien souvent un leurre.

En effet, si ces grandes religions monothéistes, exclusives et prosélytes se sont diffusées massivement sur le Globe, leur présence n'est ni similaire, ni uniforme.

Elles varient énormément selon l'endroit, que ce soit dans leurs rites, leurs pratiques ou leur application. Il y a plusieurs explications à cela.

Déjà, leur diffusion fut bien souvent le fruit de l'épée.

Le christianisme s'est tout d'abord établi après la conversion d'un empereur romain, qui imposa ses vues à ses sujets, avant d'être exporté lors des vagues d'expansion coloniale européennes.

L'islam, quant à lui, s'est diffusé dans le sillage des armées arabes qui suivaient Mahomet, puis dans celui des conquérants turcs (Seldjoukides, Ottomans, Timourides...) et le long des routes commerciales qui rayonnaient à travers le Golfe et l'Afrique.

Pour l'une comme pour l'autre, les conversions n'étaient donc pas forcément dues à un appel intérieur, une vocation ou un choix des populations, mais pouvaient relever d'un intérêt bien compris ou être tout simplement imposées.

Dans ce dernier cas, il y eut des résistances plus ou moins fortes.

Celles-ci pouvaient être le fait de cultes pré existants: religions autochtones aztèques et incas ou mythologies nordiques pour le christianisme, hindouisme, bouddhisme, zoroastrisme ou christianisme pour l'islam par exemple.

Plus subtilement, elles pouvaient aussi relever de croyances moins organisées mais plus enracinées, de ces rites animistes ancestraux présents dans toutes les campagnes.

Dans les deux cas, si en surface la religion conquérante domine, on peut trouver encore aujourd'hui des traces de ces anciennes croyances.

Ce sont soit le fait de minorités n'ayant pas renoncé et ayant fini par trouver une place, précaire ou non (que l'on songe aux communautés juives, ou encore aux derniers zoroastriens d'Iran), soit des recyclages, des syncrétismes qui ne disent pas leur nom mais reprennent de vieux rites en les adaptant ou les renommant.

Parmi les cas les plus célèbres de religions camouflées il y a le vaudou antillais.

Ce culte venu de l'Afrique de l'ouest fut importé et conservé par les esclaves christianisés de force qui renommèrent leurs divinités du nom de saints catholiques pour donner le change.

Il y eut aussi les marranes, ces Juifs qui pratiquaient en cachette tout en se disant catholiques dans l'Espagne du XVIème siècle.

Mais au-delà de cela, il y a aussi des pérennités plus souterraines, des héritages non dits qui contribuent à nationaliser ou à régionaliser les religions, dont les populations converties font une version locale en se l'appropriant.

Cet aspect fascinant concerne notamment les pèlerinages et les fêtes.

Je vais donner quelques exemples intéressants.

Dans le monde chrétien, la Vierge Marie a souvent réincarné des déesses antérieures, comme la précolombienne Pachamama en Amérique latine.

Les rituels de fertilité de la Saint-Jean européenne remontent eux aussi à des temps très largement pré chrétiens.

Toujours en lien avec le feu, l'Iran, qui est une stricte république islamique, ne continue pas moins à célébrer la zoroastrienne fête du feu.

En Égypte, la mosquée Aboul-Hagag a été construite sur une église copte, elle-même construite sur un temple pharaon.

Dans ce lieu, des femmes viennent depuis l'Antiquité se frotter le ventre pour devenir fécondes, perpétuant une tradition hors d'âge.

Autre tradition réinventée en Égypte, pour le Mouled (nativité) des saints, beaucoup de rituels pharaoniques sont également recyclés, comme la barque du soleil.

Enfin, on ne compte pas les lieux ou les divinités pré monothéistes perpétués sous un autre habillage. 

Du Maroc à la Bretagne et de Bogota à Islamabad, les pèlerinages locaux ont été ainsi conservés au cours des siècles, ainsi que les saints ou les marabouts dont la vie et les pouvoirs reprennent des croyances d'avant Jésus ou Mahomet.

Quand on cherche un peu, on trouve donc beaucoup de choses sous la Bible et le Coran, et il y a bien souvent plus de points communs entre des compatriotes chrétien et musulman qu'entre des gens de même confession mais de pays différents.

Et du coup les grandes tâches colorées de nos cartes, tout comme les rêves de chrétienté universelle ou d'Oumma unie sont donc à relativiser...et j'ai envie de dire tant mieux.

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