lundi 17 juillet 2017

Etat providence et solidarité

Cet été, à chacune de mes correspondances, je marche presque sur des groupes de femmes, brunes, vêtues de noir, portant le voile et accompagnées de gamins.

Elles tendent la main et psalmodient sans fin des Salam Aleikum et d'autres suppliques en arabe, le regard vide...parfois des hommes les accompagnent, souvent mis avec soin et l'air si honteux que ça fait mal.

Il y en a trop pour que ce soit tous de ces roms déguisés pour profiter de la zakat pendant le Ramadan et qui agacent tellement nos Maghrébins (*). Il est clair qu'ils viennent d'Orient.

En parallèle, ma ville a récupéré une demi-douzaine de SDF, blancs ou noirs mais parlant français sans accent, qui zonent devant la gare, sur les bancs de l'église ou près des supermarchés.

L'affaire de la Chapelle a fait remonter dans les média ce chiffre, déjà connu, de plus de cent arrivées de réfugiés par jour en IDF.

Ces nouveaux venus mettent une pression continue sur les organismes d'accueil et attisent les rivalités entre communautés: SDF de souche vs SDF immigrés vs réfugiés, tout ce monde se découpant/regroupant aussi selon le pays d'origine, la religion, la région, le gang de passeurs, etc.

Beaucoup d'associations, à Paris comme en province (je me souviens du témoignage d'un pasteur chti) rapportent cette augmentation et toutes ces tensions qui deviennent rapidement ingérables, ainsi que le sentiment d'impuissance que leurs militants ressentent devant une tâche sans cesse plus ardue.

Calais aussi s'est également regarni après le démantèlement de la jungle (c'était évidemment hautement prévisible), et les actions y sont de plus en plus musclées, qu'il s'agisse de celles des habitants exaspérés (comme le Calaisien au fusil) ou de celles de  migrants de plus en plus agressifs et déterminés (cf. le routier polonais mort dans un barrage ou les attaques cagoulées filmées par la BBC).

Les pays source de ces flux migratoires sont connus (le dernier en date étant le tout jeune Soudan du sud qui a sombré dans la guerre civile), tout comme les zones de passage et ceux qui les contrôlent.

On constate par ailleurs que la distance ne signifie plus grand-chose, il n'y a qu'à voir le nombre d'Afghans qui arrivent à Paris par exemple.

Et rien n'indique une amélioration à court terme.

Je n'ai pourtant pas l'impression que ce sujet ait été au cœur de la dernière campagne présidentielle (assez lamentable pour ce que j'en ai vu d'ailleurs).

Je suis peut-être à côté de la plaque, mais la question de ces gens me semble pourtant essentielle.

Il y a évidemment l'aspect humanitaire, le côté choquant de voir des gens dans une telle misère et un tel dénuement, condamnés à la survie. Mais ce n'est pas sous cet angle émotionnel que j'évoquerai ce sujet.

En fait je voudrais plutôt parler de l’impact qu'ont ces arrivées sur le pays, à mon avis aussi structurantes pour lui qu'ont pu l'être l'ouverture des marchés ou le passage à l'euro.

A chaque fois que j'achète chez IKEA, Leroy-Merlin ou tout autre magasin de bricolage de banlieue, une nuée de types me tombe dessus, luttant pour essayer de me vendre un remplissage de coffre, un montage d'armoire ou n'importe quel autre travail qui leur permettra de gagner leur journée.

Devant ces gens, très majoritairement étrangers ou immigrés, et leur situation, je me dis que les questions de contrat de travail ou d'apprentissage sont bien dérisoires: quel sens ont-elles quand on a sous la main un tel sous-prolétariat, digne de ces tâcherons crève-la-faim décrits dans la littérature du 19ième siècle?

D'ailleurs une bonne partie de mes connaissances en fait bosser -au noir bien sûr- et un tas de boîtes ne tournent que grâce à eux.

Un Roumain de ma connaissance m'a même proposé de m'envoyer quatre ou cinq compatriotes refaire mon appartement, prêts à vivre sur le chantier le temps qu'il faudrait et payés -bien moins cher que des Français déclarés- en liquide.

Depuis mon ancien logement j'ai aussi vu trois ou quatre fois pousser des campements de grévistes africains: c'était les sous-sous-traitants sans papier de l'entreprise voisine (qu'on laissait même conduire des camions avec la raison sociale de la boîte) qui réclamaient leur régularisation.

Et chez mon employeur actuel, ce sont les sous-traitants de la boite qui assure la sécurité qui faisaient une grève (symbolique puisqu'ils étaient présents) pour être payés.

Bref, toute cette main d’œuvre précaire et déracinée est bénie pour les réducteurs de coûts et autres réformateurs à sens unique du marché de l'emploi.

Cette situation est scandaleuse. Et pas seulement à cause de la vie que mènent ces gens.

En fait, j'ai le sentiment que cette pression porte en elle la dislocation non pas de la Nation une-indivisible-et-aux-racines-blanches-catholiques-et-immuables qui n'existe pas, mais celle du système dans lequel on a grandi.

Ce système est basé sur des équilibres finalement pas si solides que ça, car s'appuyant sur des rapports de force État-employeurs-employés et aussi et peut-être surtout sur une adhésion individuelle de la majorité des gens.

La Sécurité sociale, les bourses, la CAF, les retraites, l’Éducation Nationale, Pole Emploi, etc. reposent sur la solidarité tacite qui se trouve à la base de toute redistribution.

Et cette adhésion repose sur l'idée de citoyenneté, de pays, sur cette espèce de tronc commun basé sur un mélange d'héritage et de contrat qui oppose ceux du dedans et ceux du dehors (et dont j'ai parlé dans un très ancien post).

Or, aujourd'hui les dehors et dedans sont de plus en plus flous. Le nombre de candidats et d'entrants -légaux ou non- explose, et leur vision du dedans est bien différente.

Fort logiquement elle est pour beaucoup à l’image des pays qu’ils fuient et qui ne sont souvent que des assemblages faibles et hétéroclites de groupes qui se tirent dans les pattes et cherchent à ramener la couverture à eux. C’était le cas en Syrie, en Libye ou en Irak justement, où, faute d'autre chose qu'un grand méchant loup impitoyable pour tout verrouiller, il y a eu implosion.

Toutes ces personnes amènent ces réflexes avec eux. C'est logique mais dangereux et délétère, surtout quand les autorités ne font rien d'autre que bouger un peu les gens lorsque les riverains gueulent trop ou qu'ils veulent se faire mousser. Et c'est aussi contagieux.

Lentement mais surement, quelque chose se délite, qui profite à quelques-uns au détriment et de ces gens, et du reste de la population. La généralisation du "eux et nous" casse le "nous" et finira peut-être par enterrer l'idée de solidarité nationale en une sorte de retour à la tribu.

C'est en tout cas l'avis de Christophe Guilluy, qui rejoint tous ceux qui disent que le multiculturalisme est une facette du libéralisme économique et qu'il fait que l’État providence pourrait bien être finalement détruit par ceux-là même qui en auraient le plus besoin.

Il y a bien un problème migratoire à adresser, un problème de court et de long terme, un dilemme quasi existentiel où il n'est pas question que d'humanité et qu'on pourrait tenter de résumer ainsi:
- Impossible et/ou immoral de faire comme si cela ne nous concernait pas ou de dire tout le monde dehors.
- Suicidaire de clamer qu'on doit faire rentrer tout le monde et que tout ira bien tout de suite et dès que la frontière est franchie.
- Et cynique et irresponsable de laisser faire comme actuellement, cette situation ne profitant qu'aux marchands de viande salariale, aux professionnels de l'indignation et de la bonne conscience pas chère, aux trafiquants et aux fachos verts et bruns qui récupèrent les victimes.

Maintenant que faire? Je n'en sais hélas rien, mais je sais que la solution ne peut être seulement franco-française mais internationale.


(*) Quelques articles sur ce sujet ICI, ICI et ICI

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