Mon père est enfant unique, issu d'une mère qui l'était aussi et d'un père qui n'avait qu'une sœur, partie de la région à son mariage.
J'ai grandi dans son village natal, et donc au sein d'une famille nucléaire assez réduite.
Ma famille maternelle, en revanche, est plutôt grande. Mon grand-père avait deux frères et ma grand-mère trois. Ces sept personnes ont eu une bonne vingtaine d'enfants, lesquels en ont eu rarement moins de trois ou quatre.
Du coup ma génération comporte treize cousins germains, nés sur une grosse décennie, ainsi qu'un nombre plus que respectable de petits-cousins.
Les membres de cette famille vivaient tous loin de ma campagne, à l'exception de ma grand-mère maternelle qui habitait tout près de chez moi.
Cette dernière était l'une de ces matriarches à l'ancienne qui faisait le lien entre tous et n'aimait rien tant que d'inviter les gens dans sa grande maison, de s'enquérir des uns et des autres, de présider de grands repas, etc.
Du coup, grâce à elle, j'ai croisé durant mon enfance des gens de toute sorte: ils étaient grands bourgeois ou marginaux, ébéniste, artisan, pasteur, médecin, imprimeur, éducateur social, cadre chez Air France, directeur de maisons de retraite, concierge/homme à tout faire, compagnon menuisier, maître d'hôtel, j'en passe et des meilleurs.
Eux-mêmes ou leurs conjoints étaient suisse, égyptien, marocain, tunisien, versaillais, nîmois, lillois, pied-noir, périgourdin...ils avaient des accents et des trognes variées, des vies très différentes, mais partageaient tous un point commun: ils étaient de ma famille.
J'aimais beaucoup ces rencontres, les grandes tablées sous la tonnelle, les parties de pétanque, les jeux avec les enfants dans le jardin ou autour d'une table, les histoires qu'on me racontait.
Pendant ces années j'ai aussi vu quantité de bébés, je me suis frotté à des enfants plus petits ou plus grands que moi, des ados, des vieillards. Je me suis disputé, amusé, j'ai eu des béguins, des cadeaux, j'ai été triste, etc.
Cette introduction assez personnelle me permet de revenir sur mon sujet, la famille, et tout ce vécu qui m'est revenu en lisant un article de The Atlantic, intitulé The great cousin decline.
Son auteure insistait sur un aspect peu souvent évoqué quand on parle des changements démographiques et de la baisse de fécondité, à savoir la disparition des cousins.
On peut effectivement dire que le modèle de famille nombreuse et élargie que j'ai connu, largement répandue pendant longtemps, est devenu beaucoup plus rare, surtout chez les Français de souche.
Aujourd'hui on a peu d'enfants, quand on en a, et on les a plus tard et pas forcément avec la même personne.
La majorité de ma génération n'a qu'un frère ou qu'une soeur, et il est fréquent que l'un des deux seulement ait des enfants.
Du coup mécaniquement, le nombre de cousins est lui aussi en chute libre.
Si je continue avec mon exemple, mes trois frères ont eu cinq enfants et mon beau-frère deux: on est passés d'une génération de treize cousins germains à une de neuf, soit une baisse de vingt-cinq pour cent.
C'est néanmoins un assez beau score, si je compare avec beaucoup d'enfants de l'âge des miens, qui eux n'ont qu'un ou deux cousins, voire aucun.
L'auteure soulignait aussi le rôle que pouvaient avoir ces parents d'un type particulier puisqu'à la fois proches, car liés par le sang et les réunions de famille, et lointains, parce que leurs vies divergent.
En fait, être cousins force des gens qui sont de milieux, de villes ou mêmes de pays très différents à se croiser et à interagir, à rebours de la tendance naturelle de la vie qui amène la plupart des gens à restreindre leur horizon sur leur quartier, leur CSP ou leur communauté.
Mon cas illustrait très bien cela: je me suis rétrospectivement rendu compte que mon expérience familiale avait été pour moi une vraie fenêtre sur le monde et qu'elle m'en a montré assez tôt la diversité, ce qui n'allait pas de soi dans mon coin de cambrousse isolé.
Je me suis d'ailleurs demandé quelle image pouvaient avoir tous ceux qui m'avaient croisé et si j'étais leur seule rencontre de fils de paysan.
Une autre façon de vivre le cousinage, c'est quand les membres d'une même famille restent physiquement proches les uns des autres, comme souvent dans les milieux plus modestes où l'on bouge moins.
On grandit alors avec le cousin qui se situe quelque part entre le frère et le pote, qui est un obligé qui va vous aider et qu'on devra aider quels que soient ses sentiments.
Ce lien peut d'ailleurs être une force, que ce soit pour la solidarité dans une entreprise familiale (ou criminelle), pour se donner des coups de main ponctuels, pour soutenir un parent en mauvais état ou tout simplement pour se faire respecter physiquement dans la rue ou au collège.
Dans beaucoup de sociétés, notamment musulmanes, les cousins sont également le vivier dans lequel on puise pour trouver les conjoints de ses propres enfants.
Au final, cette disparition des cousins est un signe de plus de l'atomisation de nos sociétés, où chacun est plus seul dans une famille plus verticale qu'horizontale, avec des ascendants et d'éventuels descendants mais peu de gens de la même génération.
Et ce phénomène augmente sans doute aussi la tendance très contemporaine à se regrouper exclusivement entre pairs, sans contact avec d'autres milieux.
Début: Réflexions sur la démographie (1): Introduction
Précédent: Réflexions sur la démographie (7): Évolutions de la famille (3): non désir d'enfant
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