lundi 9 juin 2025

Cinéma(29) : La fièvre du samedi soir

Voici pas mal d'années, j'ai regardé La fièvre du samedi soir.

Du fait du caractère hyper kitsch de la culture disco et de son côté iconique, je m'attendais à une comédie musicale ridicule et sucrée. J'en ai été pour mes frais: cela n'avait absolument rien à voir avec ça.

Bien sûr, le disco, dont le film a été un accélérateur de diffusion, est très présent, avec cette bande son entrée dans la légende, avec les incroyables fringues associées à ce mouvement et avec ces scènes culte où Travolta gagna ses galons de star mondiale de la danse.

Mais Saturday night fever ne se résume pas du tout à ça.

En fait, le réalisateur brosse le portrait d'un petit groupe de prolos new yorkais issus de la communauté italienne qui vivotent dans le coin, entre balades en bagnole et sorties le samedi soir au 2001, la discothèque où Toni, le personnage incarné par Travolta, est le roi de la piste.

Frimeurs, bagarreurs, plutôt racistes et homophobes, pourvus de parents globalement bigots et machos, on ne peut pas dire que ces jeunes soient particulièrement sympathiques.

Ils correspondent à un modèle NYC 78 de nos racailles de banlieue d'aujourd'hui.

Leurs virées ont un côté sordide, entre picole, moqueries des homosexuels ou supposés tels, insultes des noirs et latinos et baise express à tour de rôle sur la banquette arrière de la voiture du souffre-douleur de la bande, un jeune plus timoré, dont on se demande s'il n'est pas là que parce qu'il est justement motorisé.

On se rend vite compte que Toni, plus ou moins consciemment, étouffe dans cette vie.

Ses parents le prennent pour un bon à rien, ils le tiennent pour responsable de l'abandon de la prêtrise par son frère aîné jusque-là juché sur un piédestal, ils raillent ses tenues et l'augmentation minable que lui accorde son boss, etc.

En fait il aspire à autre chose, d'abord dans la danse, pour laquelle il a une véritable passion, mais pas que.

Cette envie de changement va se préciser lorsqu'il rencontre Stéphanie, une danseuse issue du même milieu que lui mais plus ambitieuse.

Cette dernière, même si elle accepte de participer avec lui au concours de danse du 2001, le prend tout d'abord de très haut, en lui balançant maladroitement des morceaux de "Culture" prédigérée, avant qu'il ne se rende compte qu'elle n'est pas ce qu'elle dit : elle fait semblant, elle s’invente une vie pour être admirée.

Ce démasquage et la succession de plusieurs événements un peu cruels vont pousser Toni à prendre conscience de la petitesse et des limites de son monde. 

Il y a le jour où la Marie-couche-toi-là de la bande s’effondre, laissant voir sa fragilité et à quel point elle est piégée dans ce rôle.

Il y a la descente violente et dangereuse que fait sa bande chez de jeunes latinos suite à l’agression d’un des leurs, avant que celui-ci ne leur avoue qu’il n’était même pas sûr qu’il s’agissait d’eux et qu’il ne les a désignés que par un raccourci raciste.

Il y a l'accident fatal du timide de la bande, qui après avoir tenté en vain d’attirer l’attention de Toni sur le drame qu’il est en train de vivre (il a mis enceinte une fille qu’il n’aime pas mais devra épouser), meurt en voulant faire le mariole sur un pont, comme ses amis.

Il y a enfin le fameux concours de danse, remporté par Toni face à un couple meilleur que lui mais qui a le malheur d’être composé de "métèques".

Toni pousse alors un coup de gueule contre ces faux-semblants et l'hypocrisie de ce concours truqué, et quitte la boîte furieux.

Après cette scène le film se termine de façon ouverte. On comprend que son héros a déménagé et qu'il démarre une nouvelle vie, pas forcément meilleure mais qui sera la sienne.

Au final, Saturday night fever c’est l’histoire d’un ado parti d’un milieu pas facile et qui grandit, au prix d’un inévitable reniement et de la mise de côté de ses pairs moins chanceux ou plus limités.

Ce message est universel est intemporel, bien au-delà des strass, des néons et de la musique des Bee Gees, et c’est sans doute le secret de son succès, plus que mérité.


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mercredi 4 juin 2025

Cinéma (28) : Le train sifflera trois fois

Si je fais partie des générations que le Far West a fasciné (Playmobils, BD, etc) je n'aime généralement pas du tout les westerns américains dits classiques.

On sait que les mythes associés à la conquête de l'Ouest ont été largement inventés par les migrants qui ont fait Hollywood et que la réalité était loin de la carte postale.

La Bible et le fusil, la sainte constitution, les hommes libres, les héros à la mâchoire serrée et à la chemise impeccable partis civiliser des terres sauvages en y massacrant les indigènes tous fourbes et cruels, l'esprit de la frontière et la destinée manifeste, tout ceci m'insupporte.

Je suis revenu de ma longue passion pour le monde amérindien, commencée avec les mystérieuses cités d'or, j'ai remis les gens, indigènes compris, à leur juste place dans un monde qui n'est pas noir et blanc, mais je continue à détester le colonialisme bien pensant qui est la toile de fond des vieux westerns.

Pourtant, le film dont je vais parler aujourd'hui est un western classique: il s'agit de High Noon, connu sous nos cieux sous le nom de Le train sifflera trois fois (joies de la traduction...).

Il a été tourné en noir et blanc en 1952 par l'émigré juif autrichien Fred Zinnemann, dont je ne connais pas grand-chose, et l'histoire qu'il raconte est aussi simple que forte.

Le héros est un shérif vieillissant incarné par Gary Cooper, qui vient de se marier avec une jeune quaker jouée par Grace Kelly.

Au début du film, il a prévu de rendre son étoile et de commencer une nouvelle vie, mais la nouvelle lui parvient qu'un homme qu'il a condamné par le passé a prévu de revenir en ville pour se venger, en s'accompagnant d'autres truands (parmi lesquels on compte le tout jeune Lee Van Cleef)

Par sens du devoir et malgré les supplications de sa femme, il décide de décaler sa démission et de faire face à cette situation.

Pendant toute la première partie on le voit tenter de recruter des aides parmi les hommes de la ville pour l'épauler, et ceux-ci la lui refuser à tour de rôle et pour diverses raisons.
 
Au final, c'est seul qu'il va affronter quatre hommes dans un combat où ses chances sont minces.

Il ne les vaincra que grâce à l'intervention inattendue de sa femme, qui met en pause ses convictions religieuses pour le sauver en abattant le dernier de ses adversaires.

Le film se termine par le départ du couple de la ville et la démission effective du shérif, qui part plein de mépris et de rancœur pour la lâcheté des habitants.

Les acteurs jouent remarquablement bien et la tension croissante est d'autant mieux rendue que le film est tourné en temps réel.

Le spectateur ressent ainsi l'angoisse de Gary Cooper tandis qu'approche l'heure où le train arrivera en gare pour le rendez-vous fatal et qu'il prend conscience du tragique de sa situation.

On dit que Le train sifflera trois fois fut tellement détesté par John Wayne, qui le qualifia de "non américain" et qui représente tout ce que je déteste dans le western classique, que celui-ci lui répondit avec le film Rio Bravo.

Personnellement je crois pourtant le premier bien plus réaliste que toutes les chevauchées héroïques auxquelles le duke a prêté sa silhouette.

Les humains sont généralement lâches, le sens du devoir est rare et plus encore le sont les gens prêts à mettre volontairement leur peau en jeu pour la justice, pour des principes ou simplement pour aider.

Et comme toutes les colonies ou les zones frontières l'Ouest étasunien était souvent un univers sans foi ni loi où tous les coups étaient permis et où seul le plus fort comptait.

L'autre message très fort du film est le reniement de la mariée quaker, quand influencée par l'ex-maitresse mexicaine du shérif, elle utilise à son tour une arme.

Ce passage est un moment bouleversant d'humanité car cette action qui va contre ses convictions est une preuve d'amour autant que de bon sens, une sorte d'antidote à cet héroïsme stupide autant exalté qu'il n'existe que rarement.

Le train sifflera trois fois fut un succès qui marqua beaucoup de gens (tout le monde n'est pas John Wayne) et l'expression to be high noon, qui signifie être seul face à une merde grave, viendrait de lui.

Il aurait aussi inspiré le film de SF qui m'a donné envie de le voir, Outland, où l'action est transposée dans une station minière dans l'espace et le shériff joué par Sean Connery.


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mardi 3 juin 2025

Chanson (29): Didi

Le style de musique algérien qu'on appelle raï est né dans la région d'Oran.
 
Chanté généralement en arabe dialectal, ses racines sont issues de la culture musicale du pays, auxquelles sont incorporées des influences extérieures, que ce soit en utilisant de nouveaux instruments comme les synthétiseurs ou en s'inspirant d'autres styles comme le funk, le disco ou le RnB, voire la variété française.
 
Dans les années 90, le raï est sorti de son pays pour partir à la conquête du monde. C’est via l’importante diaspora algérienne en France que cette musique s’internationalisa.
 
A cette époque il y eut en effet une sorte de moment raï dans notre pays, avec de nombreux titres qui passaient à la radio ou à la télé, des stars médiatisées, etc.
 
Ce tremplin hexagonal s’explique également pour une raison plus tragique. Ces années sont en effet aussi celles de la guerre civile qui déchira l’Algérie, dans la période qu’on connait désormais sous le nom de décennie noire. 
 
Elle démarra par l’annulation du premier scrutin démocratique depuis l’indépendance, le gouvernement FLN s’opposant à la victoire du FIS, l’alternative islamiste qui avait raflé la mise. 
 
A partir de ce moment-là, des groupes armés prirent le maquis et semèrent la terreur. Le pays sombra dans le chaos et le sang : tout ce qui était ou semblait lié à l’Occident était la cible de ces mouvements, mais également ce qui était considéré comme impie et non islamique. 
 
Parmi la très longue liste de choses et gens vérifiant ce critère, il y avait les chanteurs de raï, dont bon nombre traversèrent alors la Méditerranée pour ne pas finir égorgés.
 
De ce fait, la scène raï française s’enrichit, se structura et devint plus importante, avant de quitter sa niche pour un temps devenir mainstream. Et parmi les nombreux artistes qui percèrent à ce moment-là, il y avait Cheb Khaled, l'auteur du monumental titre Didi que je vais évoquer aujourd'hui.
 
Je n’étais pas du tout fan de raï à l’époque, aujourd’hui non plus d’ailleurs, mais c’est pour d’autres raisons que je voulais parler de ce tube, qu’avec le temps je me suis mis à aimer.
 
Khaled est un chanteur très expressif, à la voix puissante et selon ses pairs (notamment Jean-Jacques Goldman qui lui écrivit un de ses hits) un très bon musicien.
 
Dans Didi il chante avec passion ce qui semble une supplique amoureuse, accompagné par un orchestre qui souligne ses refrains avec éclat, mêlant instruments traditionnels et modernes dans un rythme balancé et très entraînant.
 
Dans le clip il est entouré de jeunes des deux sexes qui dansent : ces gens nous ressemblent et cette vidéo, plutôt banale en soi, respire l’hédonisme, la fête et la joie de vivre.
 
C’est cet aspect sur lequel je reviens, parce qu’avec le recul, on se rend compte que ce clip illustre une période disparue, celle où les peuples du Maghreb étaient plus proches de l’Occident, où l’islam était une religion plus qu’un mode de vie et où finalement un Algérien ressemblait simplement à un Italien ou un Corse qui ne mangerait pas de porc et ne boirait pas d’alcool.
 
La deuxième guerre d’Algérie s’est terminée par la défaite des maquis islamistes, dont les survivants furent invités à se rendre en échange d’une amnistie.
 
Ce fut une défaite militaire, mais une victoire idéologique, puisque beaucoup de choses changèrent durablement, dans la mesure où l’on assista à un virage très net dans l’idéologie et les modes de vie.
 
Le réveil islamique a fait que l’endogamie est devenue plus stricte, l’habillement, surtout féminin, plus halal, l’alcool plus clandestin, le sécularisme plus fragile avec une répression accrue des voix non musulmanes.
 
Et à partir de là, en écho avec leurs sociétés d’origine, les diasporas maghrébines ont changé à leur tour.
 
Ses membres ne sont désormais plus seulement les successeurs des Portugais, des Italiens ou des Polonais, mais également autre chose.
 
Ils sont l’enjeu d’une bataille entre deux modèles de société au pire incompatibles, au mieux franchement disjoints et dont les frictions sont quotidiennes dans tous les lieux où l’on cohabite, de l’école à l’hôpital en passant par la rue, les administrations ou le travail.
 
Quoi qu’il sorte de cette angoissante confrontation et des bouleversements que continuent de vivre les pays du Maghreb, rien n’est fatal ni écrit, et Didi en est un beau témoignage.

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