lundi 22 septembre 2025

Réflexions: le peuple et le dictateur

Comme tous les Français nés dans les années 70 j'ai été éduqué dans le culte de la république et dans le rejet des dictateurs.

Cet enseignement était bien hémiplégique, impitoyable avec les versions brunes et plein d'indulgence avec les rouges, mais j'ai néanmoins appris les valeurs démocratiques, l'importance des droits de l'homme, de la séparation des pouvoirs, des libertés individuelles, etc, et intégré l'idée que ces principes allaient de soi et que leurs opposés étaient condamnables.

Aussi j'ai été surpris lorsque j'ai rencontré des gens ayant vécu sous des dictatures et constaté que leurs opinions étaient souvent beaucoup plus nuancées.

Je crois que la première d'entre eux était la mère espagnole d'une amie, qui disait notamment que sous Franco les Espagnols pouvaient circuler comme ils voulaient à l'étranger, relativisant l'image d'une société bloquée et terrorisée.

A la même époque j'ai également discuté avec une collègue haïtienne issue de la bourgeoisie de l'île.

Un peu plus jeune que moi, elle exprimait une certaine nostalgie pour l'ère des Duvallier, dont les Tontons macoutes faisaient les grandes heures des JT de mon enfance par leurs sanglantes exactions.

Cette fille disait entre autres qu'à l'époque de Bébé doc, l'ordre régnait et les gens mangeaient à leur faim.

Après cela lors d'un voyage en Sicile je réalisai que beaucoup de gens y considéraient l'époque fasciste comme un temps où "l'on pouvait dormir la porte ouverte" (citations de grands-parents de l'Italienne qui m'y avait invité), ce qui expliquait que les bustes du Duce se vendent comme souvenirs sans que cela choque personne.

Voir l'homme qui avait fondé le mouvement dont le nom est devenu une insulte diabolisante en France devenir un objet marketing m'avait stupéfait.

Après cela il y eut plusieurs Algériennes qui voyaient positivement les années Boumediene, un personnage dont le sens démocratique n'était pas exactement hypertrophié...

Et enfin, en causant avec quantité de Roumains un peu âgés je constatai que beaucoup regrettaient le temps de Ceausescu pour son ordre, son patriotisme ombrageux et ses certitudes.

A mon dernier voyage outre Carpates j'ai même noté qu'on commençait à vendre des coussins à son effigie.

Et puis il y eut aussi ces sondages déroutants, d'où il sortit que la majorité des Portugais considéraient Salazar comme le plus grand homme de leur pays au 20e siècle, et que pour les Russes c'était Staline.

Tout ceci est troublant.

C'est comme si les dictateurs savent créer un lien avec le peuple qu'ils dominent, qu'en quelque sorte celui-ci sinon les élisent, du moins les adoubent.

On s'aperçoit en effet que nombre d'entre eux ont une sorte de charisme, une connivence avec les masses, souvent inintelligible pour l'extérieur.

Ceausescu a ainsi su conquérir les Roumains par delà le communisme.

Ceux-ci ont réellement et massivement communié derrière lui lorsqu'il feignit de s'opposer au printemps de Prague, flattant leur patriotisme ombrageux (même si l'on sait aujourd'hui que ce n'était pas du tout une opposition frontale).

L'ogre Staline eut aussi recours à cette ficelle en ressortant les épaulettes tsaristes pendant la Seconde guerre mondiale et en chassant le Juif après celle-ci.

Salazar ne jouait pas le jeu du culte de la personnalité, mais son charisme inversé venait de son mode de vie religieux et quasi spartiate, dédié au sérieux de sa tâche.

L'actuel président à vie de la Tunisie, Kaïs Saïed, semble avoir lui aussi séduit par ce côté universitaire pieux et ascétique.

Une autre source de légitimité peut être d'avoir renversé un prédécesseur honni.

Castro obtint l'adhésion des Cubains en mettant fin au régime colonial installé par les Etats-Unis après leur conquête de l'île sur l'Espagne.

La dictature militaire qui n'en finit pas de diriger l'Algérie s'est enracinée lorsque le FLN, auréolé de sa victoire sur la France, était au sommet de sa popularité.

L'épouvantail du Shah a permis aux mollahs de justifier leur prise de pouvoir en Iran.

L'arrivée de Poutine à la tête de la Russie était vue comme le moyen de restaurer une puissance injustement renversée et de lui redonner son rang.

Etc.

Ainsi tout se passe comme si nombre de dictatures commencent par une lune de miel qui permet au régime de s'installer, une vague d'enthousiasme pour un changement vu comme juste ou libérateur.

Le processus qui suit est pourtant toujours le même: réduction des libertés et des voix dissidentes, adhésion obligatoire, fermeture et confiscation de tous les pouvoirs par le(s) dirigeant(s).

Le régime finit le plus souvent par être honni et par tomber, parfois aidé par l'extérieur.

Mais on sait aussi que quelques temps après la chute, devant un nouveau régime qui sera forcément limité et inégal car le régime parfait n'existe pas, viendra la nostalgie, l'idéalisation fatale d'un bon vieux temps où l'ordre régnait, etc.

Lorsque le bloc de l'Est fut dissous, les attentes de ses citoyens étaient immenses.

Le choc du retour dans le monde dit libre a été tout aussi énorme et violent, et beaucoup n'en ont pas profité, ignorant les nouvelles règles, pas toujours aidés et sans doute un peu trop idéalistes.

Devant ce constat, beaucoup en sont venus à se demander si le choix était le bon. Les livres de Svetlana Alexievitch sont sur ce point très éclairants.

Je pense que sur toute la planète une partie des humains, et peut-être une partie de chacun d'entre nous, souhaite suivre un chef qui serve ses intérêts et ceux de son groupe, qui soit admiré et craint, à qui l'on puisse s'identifier et dont on soit fier.

Un homme qui sait répondre à ces aspirations dans un pays pourra emporter celui-ci. C'est vrai s'il est élu, et c'est vrai s'il prend le pouvoir par la force.

Est-ce à dire que les dictatures sont fatales, voire souhaitables, et pas si différentes d'une élection?

Je ne le pense pas pour plusieurs raisons.

D'abord parce qu'un pouvoir absolu est toujours nocif. Sans contre pouvoir il y aura toujours des abus, des profiteurs et de l'injustice. Toutes les dictatures ont écrasé des gens dont la seule faute était de ne pas penser comme c'était imposé.

La deuxième raison, et peut-être la plus essentielle, c'est qu'une dictature finit toujours par se bloquer, par être en décalage avec les générations suivantes, un frein à l'évolution, et donc par être à côté de la plaque.

C'est pour cela qu'une alternance doit être pensée et organisée, pour que tout règne ait une fin programmée, non violente et légitimée, de manière à permettre qu'une autre page de l'histoire commence à s'écrire légalement.

Il est difficile de créer un régime qui fasse cela correctement.

A l'échelle de la France, il nous a fallu plusieurs brouillons pour que la république s'enracine.

La première était empirique et menacée et a vite débouché sur l'Empire, où l'archétype du dictateur moderne, Napoléon Ier, est apparu.

Malgré son bilan humain, son aura était telle que 33 ans plus tard, quand la deuxième république choisit d'élire son président au suffrage universel c'est son neveu, Louis-Napoléon, qui emporta l'élection haut la main, simplement grâce au prestige de son nom.

Trois ans plus tard, il commettait le putsch qui fit de lui Napoléon III, créant un précédent qui fit que les troisième et quatrième républiques se méfièrent du suffrage universel pour le président.

C'est le général De Gaulle qui rétablit ce système, créant la république dans laquelle nous vivons, qui fut un système assez efficace avant de se déliter pour arriver à la sorte d'impasse où nous nous trouvons actuellement.

Celle-ci fait que de plus en plus de Français rêvent à nouveau d'un homme fort, qui les fasse vibrer et qu'ils aient envie de suivre.

Si celui-ci se présente, espérons qu'il sera plus un De Gaulle qu'un Pétain, et qu'on ait la sagesse de ne pas jeter aux orties la démocratie, le pire des régimes à l'exclusion de tous les autres, comme le disait Winston Churchill.

L'arabité de la France

Il y quelques temps, j'avais vu une interview de la journaliste Florence Aubenas où elle proclamait que la France devait reconnaitre son arabité, tout comme les Américains sont censés reconnaitre leur hispanité.

Elle ajoutait que l’arabe était la deuxième langue du pays, qu'on devrait la reconnaitre et la promouvoir, et proposait pour cela que l'on mette entre autres le paquet sur son enseignement, et elle se désolait du peu de cours et d'élèves dans cet idiome.

Ça me semble un raccourci facile et teinté d'idéologie. Je vais expliquer pourquoi.

1- Des liens anciens et réels entre la France et le monde arabe

Dire que la France et le monde arabe ont des liens forts depuis très longtemps, c'est vrai.

Il y eut d'abord la grande invasion arabe, avec des conquérants qui montèrent jusqu'à Poitiers, comme le dit la tradition, et occupèrent durant un siècle une partie de notre sud.

Pendant l'apogée de cette civilisation qui fut un trait d'union entre Afrique, Europe et Asie, la langue arabe devint un vecteur de science et de culture qui rayonna sur notre continent et notre pays, de nombreux termes étant introduits à ce moment-là dans le français.

Ensuite il y eut les croisades, longue période au cours de laquelle les chevaliers européens envahirent la Palestine et le Liban après que les pouvoirs musulmans en place y aient interdit les pèlerinages chrétiens. La France fut très présente dans ce mouvement.

Après cela, il y eut la campagne napoléonienne d'Égypte, durant laquelle les troupes françaises renversèrent les Mamelouks et firent de ce pays un ami/obligé de l'Hexagone.

A partir de cette date naquit une passion française jamais démentie pour le pays des Pyramides, les ingénieurs hexagonaux y dirigeant la mise en place du canal de Suez et tentant de s'y implanter avant de se faire devancer par le Royaume-Uni.

Il y a également les liens séculaires tissés avec les chrétiens d'Orient, clients traditionnels de la France du temps de l'empire ottoman, suivi, lorsque ce dernier fut démantelé, par les mandats sur la Syrie et le Liban.

Il y eut enfin la constitution d'un Maghreb français, commencé en 1830 par la conquête de l'Algérie et terminé en 1962 par l'indépendance de ce même pays.

Porté par cette histoire, il y eut enfin et surtout les flux migratoires associés, qui sont aussi anciens que conséquents et qui continuent encore aujourd'hui.

Pieds-noirs s'installant en Algérie puis expulsés 130 ans après, migrants maghrébins coloniaux, puis de travail, puis de regroupement familial venus en France, Libanais venus faire du business ou fuir la guerre civile, depuis peu retraités s'installant au Maroc ou stars y achetant un pied-à-terre, etc...

Les liens sont donc indéniables, les échanges anciens et profonds, et d'un point de vue linguistique, les termes arabes passés dans le français sont légion (le contraire est aussi vrai), sans qu'on en soit forcément conscients, et le Maghreb reste notre premier fournisseur de migrants, avec des diasporas présentes sur tout le territoire.

2- Quelle langue arabe?

Pour autant, la langue arabe est-elle la deuxième langue de France? Il serait intéressant de savoir tout d'abord de quel arabe on parle.

En effet l'arabe est plus un groupe de langues qu'une langue, et dans la plupart des pays de cette aire linguistique, il y a au minimum deux arabes, celui qu'on écrit et celui que l'on parle.

Le second est en général compris et parlé par la majorité mais ni codifié ni écrit, et le premier est la langue savante unifiée, dont la maitrise est le fait d'un nombre plus ou moins grand d'habitants, sachant que chaque pays le prononce par ailleurs à sa façon.

Si l'on ajoute que dans beaucoup de ces pays il existe d'autres langues, comme les langues berbères maghrébines (on sait que la part des kabyles dans l'immigration algérienne en  France est majeure), antérieures à l'arabe, ou le français que le départ des colons n'a pas éradiqué, on voit que le tableau est loin d'être simple. 

D'ailleurs aujourd'hui encore et surtout au Maghreb, qui est quand même la zone d'origine de 90% de ceux que Madame Aubenas désigne, on se débat dans des questions identitaires où la langue n'est pas le moindre souci.

Pour donner une idée de la complexité du problème, un ami marocain me disait que la distance entre le marocain de la rue et l'arabe littéraire unifié est la même que celle qu'il y a entre le latin et le français, et un collègue tunisien vivant en France qu'il était impossible d'apprendre sa langue à sa fille de manière formelle, d'autant moins que sa femme étant marocaine, l'arabe des deux parents n'était donc pas le même.

En fait, ces arabes dialectaux ne sont ni codifiés ni appris dans aucun des pays où on les parle.

Actuellement, la plupart des pays dits arabes tentent d'imposer l'arabe littéraire à l'ensemble de leur population, parfois à côté d'autres langues, coloniales, autochtones ou de business, parfois de manière unique mais dans l'idée, issue du panarabisme jadis flamboyant, d'arriver à recréer par la langue l'unité fantasmée des premiers califats.

Mais en parallèle il y a certains militants qui déclarent vouloir faire connaitre à l'arabe le destin des langues latines, à savoir l'abandon de la langue mère pour la remplacer par les langues parlées au quotidien.

En gros, comme le latin a généré notamment le français, le portugais, l'espagnol, l'italien et le roumain, ils voudraient que de l'arabe sortent une langue algérienne, marocaine, tunisienne, égyptienne, etc.

Ce mouvement est aujourd'hui anecdotique, mais qui sait dans quel sens soufflera le vent demain? Il semblerait qu’on constate par ailleurs un désintérêt relatif de l’arabe unifié au profit des dialectaux, mais aussi…de l’anglais comme partout ailleurs.

Du coup l'idée de faire apprendre l'arabe en France est techniquement compliquée, puisqu’à l'inverse des enfants de Chinois, d'Iraniens ou de Polonais, la langue enseignée aux Français issus du monde arabe ne sera pas celle de leurs parents, mais une langue construite, surtout utilisée à l'écrit et que généralement ils ne parleront pas.

L'histoire prouve qu'il est très difficile de faire adopter une langue recrée ou oubliée: je ne connais que le cas de l'hébreu israélien qui ait réussi (le gaélique n'a jamais vraiment repris en Irlande, par exemple).

Cette petite digression sur la langue est le premier point, à savoir comment mettre techniquement en oeuvre l'enseignement d'une langue diglossique et savante qui ne parlera à pas grand-monde.

3- L'arabité de la France

Quant à l'arabité de la France, de quoi parle-t-on exactement?

Doit-on également parler de la part ibérique de la France, puisqu'on a reçu des immigrations portugaise et espagnole? Ou de sa part slave, puisqu'on a reçu également beaucoup de Polonais et de Russes?

Et à quoi rattacher sa part italienne, si importante dans le temps?

Et où met-on la vague subsaharienne actuellement en expansion? 

Les "Arabes" de France sont-ils des Français distincts des autres, différents et voués à le rester ou bien une souche parmi toutes celles qui ont fait et font notre pays?

Les promoteurs du multiculturalisme sont d’avis de figer chaque communauté pour l’éternité, eux qui semblent considérer que tout un chacun doit rester dans sa case d'origine à tout jamais (oubliant au passage que cette case est elle-même le résultats de mouvements historiques et de mélanges).

Mais outre que cette idée est à l'opposé de toute l'histoire de notre pays, l’appliquer risquerait de compliquer encore plus le fonctionnement de nos sociétés déjà bien fragmentées. 

D'ailleurs si l'on valorise et reconnaît l'arabité, quid des autres identités autochtones et de leurs langues associées ? Doit-on relancer l’enseignement du breton, de l'occitan, des créoles, du corse, de l'alsacien, du chti, j'en passe et des meilleurs?

4- Conclusion 

Je pense comprendre ce qu'a voulu dire Florence Aubenas.

Les origines arabes sont globalement mal vues en France, pour différentes raisons.

Il y a d'abord tout un refoulé colonial qui touche les deux côtés des Français et dont on n'arrive pas à se dépêtrer.

Il y a la sur représentation du Maghreb parmi nos criminels et délinquants, comme jadis ont pu l'être les Italiens, ce qui amène à des raccourcis faciles et fait oublier tous ceux qui font tourner le pays dans la discrétion à côté des autres Français.

Il y a le jeu pervers joué par nos ex-colonies, Algérie en tête, qui utilisent sans vergogne la culpabilité occidentale pour mener leur barque et mobiliser leurs populations.

Il y a la confiscation de cette aire culturelle par des mouvements islamistes et identitaires qui veulent plaquer leur vision monolithique, fermée et rigoriste sur cette culture, pourtant aussi riche et diverse que toutes les autres.

Mais en réalité, les cultures francarabes existent depuis des lustres.

Elles sont nées des échanges, des confrontations et des influences mutuelles.

Elles ont créé des lieux de vie, des musiques, des modes, des plats, des habitudes.

Elles ont donné des films, des magazines, des labels de musique, des cafés.

Des artistes comme Lili Bonniche, Khaled, Enrico Macias, Zebda, Rachi Taha et tous ceux que je ne connais pas ont un pied plus ou moins important dans cette culture, et leurs successeurs plus jeunes sont encore plus nombreux.

Que cette part de France ait droit de cité, qu'on en valorise la richesse et les côtés positifs, qu'on en montre les nuances pour sortir du cliché arabe = racaille/trafiquant/terroriste me semble en effet important.

Mais pour toutes les raisons citées plus haut que pour cela on mette le paquet sur la langue arabe me semble une mauvaise idée.

Sans compter deux derniers arguments plus pragmatiques.

Le premier c'est de savoir comment on financera cette nouvelle option, qui concernera malgré tout une minorité d’élèves: à l’heure des vaches maigres cela pose question.

Le deuxième c'est l’effondrement du niveau en français, qui devrait être la priorité de ce pays.

lundi 15 septembre 2025

Chanson(31): Que je t'aime

La chanson Que je t'aime est peut-être le plus célèbre des hits de Johnny Hallyday, artiste qui n'en fut pourtant pas avare.

Elle est sortie une première fois en 1969, puis dans une nouvelle version en 1982 et une troisième fois en 1988, année où je la découvris.

Je me souviens avoir immédiatement été marqué par ce morceau (et pas seulement par le strip tease de la jolie fille en arrière plan du clip qui ne laissait pas de bois le préado que j'étais).

Comme je le disais dans le post que je lui ai consacré, si le roi du rock français m'impressionnait, je n'en ai jamais été particulièrement fan, mais Que je t'aime a pour moi une place particulière.

En effet je trouve que ce titre exprime exactement la magie que l'on peut éprouver lorsqu'on fait l'amour avec quelqu'un dont on est amoureux, ce tumulte d'émotions et de sensations, et ce bonheur intense qui déborde.

Les paroles, souvent raillées et parodiées, sont pour moi très belles, d'une poésie simple qui me va droit au coeur, Les images se succèdent, on voit les amants se chercher, se trouver, se relancer, alterner le lead, se retenir puis oser et succomber. 

Chaque mouvement est ponctué par les impérieux Que je t'aime, à la fois cris d'adoration et supplications d'un homme qui est littéralement submergé par l'amour.

Ce texte est porté par une mélodie parfait, douce et entêtante lors des couplets, éclatante lors du refrain avec leur explosion de cuivres. 

Ce morceau nous emporte, et lorsque Johnny crie "Que je t'aime" avec son fantastique talent, on a l'impression qu'il vit ce moment et qu'on le vit aussi, et je comprends que son interprétation ait suscité de véritables scènes d'hystérie et des malaises chez ses fans.

Lorsque le taulier nous a quitté, me rendant à ma grande surprise un peu triste, j'ai eu ce morceau dans la tête plusieurs jours d'affilée, et je me suis rendu compte qu'il allait rester dans la liste des chansons françaises qui me sont chères.

Petit bonus: Mariah Carey, de passage en France, a rendu à l'époque un hommage surprenant à ce chanteur qu'elle ne devait pas connaître. J'avais trouvé ça touchant.


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lundi 1 septembre 2025

Pays disparu

Il y a pas mal d'années je me suis retrouvé à dîner dans un restaurant libanais de la banlieue parisienne, et en discutant avec le patron, celui-ci me dit que son pays avait disparu.

Il faisait référence à la bascule de population qui avait transformé sa ville d'origine, la faisant passer selon ses dires d'une cité multi religieuse, jouisseuse et sécularisée à un bastion du chiisme aux femmes voilées.

Il devait avoir la cinquantaine, était très factuel et aussi simple que sans concession dans sa description. Ce dialogue m’avait marqué.

Aujourd'hui j'ai moi aussi la cinquantaine et cette conversation me revient insidieusement.

Nous ne sommes pas le Liban mais il faut être aveugle pour ne pas constater la communautarisation en cours.

A la séparation par l'argent, qui a toujours existé mais s'est amplifiée avec l'explosion des prix de l'immobilier des dernières décennies, s'est ajoutée une autre séparation, par l'origine et par la religion, et il est de plus en plus évident que celle-ci est un choix globalement assumé, et pas seulement par le côté qu'on croit.

J'ai ainsi été frappé de constater dans la maternelle de mon aîné la mise en place spontanée de deux groupes de parents pendant les événements type fêtes ou réunions: les mères voilées d'un côté, celles qui ne l'étaient pas de l'autre.

Parmi les familles de cette banlieue, maghrébines, chinoises, africaines, portugaises, moldaves, roumaines ou françaises "de souche", c'est là qu'était la frontière principale.

Je notais aussi parmi les mères voilées, surtout les jeunes, un évitement évident envers moi, avec des regards fuyants et une prise de distance automatique, probablement parce que je suis un homme.

Mon fils devenu grand m'a dit avoir constaté à l'IUT la poursuite de cette séparation, les filles voilées et les garçons ne se mélangeant pas dans les amphis.

Pas de franche hostilité ceci dit, plutôt une volonté affirmée de se préserver du mélange et une priorité accrue donnée aux lois et coutumes d'origine.

J'ai aussi remarqué cela dans les VVF, où des mères musulmanes, ignorant totalement les instructions affichées partout, venaient surveiller leurs enfants à la piscine complètement habillées, chaussées et voilées.

Le communautarisme est globalement la norme dans l'Europe du nord et dans le monde anglo-saxon, ce qui a sans doute encouragé notre gauche, toujours avide de contre-modèles, à l'adopter, et notre société jadis assimilatrice à y adhérer.

Les tendances de notre démographie, avec une hausse constante du poids de l'immigration dans les naissances (Nicolas Fourquet nous indique que 25% de nos bébés sont issus de deux parents étrangers et que 20% d'entre eux ont des prénoms musulmans) favorisent évidemment cette option.

On n'est pas dans le mythique grand remplacement, mais le changement est bien réel, profond et documenté, n'en déplaise aux démographes politisés qui transforment les Pieds-Noirs en Maghrébins (ces magouilles étant une preuve en soi du phénomène).

Je parle de l'islam et de son importance à cause du restaurateur qui m'a inspiré ce post et à cause de son poids dans notre immigration, mais ma réflexion va au-delà de ça.

Un exemple frappant de l'impact de ces mouvements de population pour le quinquagénaire que je suis est la prononciation de mon nom.

Il n'a posé de problème à personne pendant mes trente premières années d'existence mais aujourd'hui il est écorché dans 90% des cas.

Ce n'est ni intentionnel ni malveillant, c'est juste que mes interlocuteurs immigrés (car les immigrés restent surreprésentés dans les jobs d'accueil et/ou à faible valeur ajoutée) ne connaissent tout simplement pas la prononciation correcte parce qu'ils ont un autre bagage.

Je ne veux toutefois pas tomber pas dans le piège facile d'expliquer tous les changements de la société française par l'immigration de masse: il ne faut pas oublier que depuis toujours, chaque génération opère des ruptures avec les précédentes.

Par exemple un retour de Dieu et un souhait d'ordre après la vague soixante-huitarde n'ont rien de surprenant.

Il est aussi logique que l'avènement des smartphones, de l'hyper connectivité et des réseaux sociaux changent les modes de vie et les comportements: on le voit dans absolument tous les pays du globe, immigration ou pas.

L'accroissement du poids de l'UE est également puissamment structurant: la norme vient désormais autant sinon plus de Bruxelles que de Paris, et là-bas c'est le plus petit dénominateur commun entre membres qui prime, c'est-à-dire bien souvent l'influence étasunienne.

Enfin nos sociétés européennes et française n'ont jamais été aussi vieilles, et l'on sait que l'âge a un impact sur la perception des nouveautés, de la mentalité, du risque et des modes de vie.

A cinquante ans, on a déjà fait un bout de chemin et le monde de sa jeunesse n'existe plus. Du coup, peut-être bien que chaque génération finit par vivre dans un pays disparu, que c'est la norme, un sentiment naturel.

Et du coup pour en revenir à mon point de départ et à mon restaurateur libanais, qui sait si sans chiites il n'aurait pas fini par ressentir cette impression sous une forme ou une autre?

Bien évidemment, le changement qu'il décrivait est objectif, tout autant que celui qui se passe chez nous, mais je pense qu'il est toujours difficile de faire la part des choses et tentant de tout expliquer par une cause unique et de de penser que c'était mieux avant.

Ce piège m'est apparu très clairement en lisant L'identité malheureuse d'Alain Finkielkraut, où l'auteur décrivait des situations et des problèmes bien réels mais dont les phrases et les questions étaient aussi celles d'un vieil homme qui comprenait moins son époque.

Mon pays disparaît ou change plus vite que moi.