jeudi 3 décembre 2015

Cinéma (8): Spring Breakers

En Amérique du nord, on appelle Spring Break la semaine de vacances du mois de mars.

A cette occasion, beaucoup d'étudiants partent pour des destinations chaudes, Cancun par exemple, pour y passer des vacances festives.

Dans l'imagerie populaire le Spring break est associé à la débauche, à l'alcool et au sexe débridé, même si on ne sait plus trop si ce sont les nombreux excès rapportés pendant cette période ou les vidéos racoleuses qui circulent sur le web (notamment les célèbres Girls gone wild) qui sont à l'origine de cette réputation.

Le film d'Harmony Korine dont je vais parler aujourd'hui, Spring Breakers, a pour cadre cette fête.

Un énorme tapage médiatique avait accompagné sa sortie en 2013, notamment parce que deux de ses actrices, Selena Gomez et Vanessa Hudgens, étaient des créatures des studios Disney, et que ces rôles allaient à contre-courant de leur image (ce qui semble presque une règle dans le parcours de ce genre de star, et pas que pour Miley Cyrus).

Ce casting et le titre laissaient imaginer que ce film serait une sorte de teen movie sexy et racoleur, et a bien vite suscité un énorme buzz.

Toutefois, quiconque connaissait la filmographie d'Harmony Korine (il a notamment travaillé sur le film Kids de Larry Clark) réalisait qu'il y avait sans doute maldonne, celui-ci ayant commis précédemment des oeuvres underground plutôt dérangeantes.

C'est ce décalage, ainsi qu'une certaine fascination pour les rites étudiants et l'adolescence, qui m'a poussé à aller voir ce film.

Coté scénario, l'histoire est assez simple.

Quatre étudiantes médiocres s'ennuient dans leur petite ville. Elles veulent à tout prix connaitre la "vraie vie" en partant au soleil pour le Spring Break mais n'ont pas le budget nécessaire.

Refusant de renoncer à ce rêve, les plus hardies d'entre elles finissent par organiser un casse dans le snack du coin, avec l'argent duquel elles se payent enfin leur voyage. Pour les conséquences, elles verront plus tard.

Une fois arrivées sur place, elles se donnent à fond, plongeant dans la fête géante et s'adonnant à tous les excès, mais elles finissent par se retrouver embarquées au commissariat pour une histoire de drogue.

Après une nuit au poste, on leur annonce que leur caution a été payée et qu'elles sont relâchées. Elles découvrent alors leur bienfaiteur: une racaille locale qui veut les convaincre de le suivre sans qu'on sache trop vers quoi.

A partir de ce moment-là commence une véritable dérive, avec sexe, sang et armes, et une confusion sur qui est dangereux, cool, moral ou pas, jusqu'au clash final.

Ce film a été beaucoup critiqué à sa sortie, pour sa facilité, son coté incohérent et irréaliste, trash et voyeur, et il est globalement considéré comme assez moyen.

Personnellement, s'il m'a moi aussi agacé, je l'ai trouvé marquant et il m'a finalement plu, pour différentes raisons.

Tout d'abord la façon de filmer est sciemment désagréable, "sale", surtout pendant la première partie.

La bande ressemble à un vieux Super 8, les voix sont confuses, les couleurs saturées, avec un côté très vidéo clip sans budget des années 80.

Cela fait naître dès le début une espèce de malaise qui ne va qu'en s'accentuant, on a l'impression qu'on est en train de mater des choses un peu sordides qu'on ne devrait pas voir.

D'autre part, ces filles sont pathétiques et creuses. Leur frustration et cette obsession d'aller "s'éclater" à n'importe quel prix provoquent à la fois la pitié et l'agacement.

Le casse du départ conforte ce côté cheap et minable, et les images du Spring break qui suivent, bouclant ad libitum et au ralenti sur l'alcool et les bikinis provoquent assez rapidement l'écœurement.

Du coup l'arrivée de la police, qui casse cette ambiance, devient presque un soulagement.

La scène de la sortie de taule des filles et de la rencontre avec le personnage incarné par James Franco est très forte.

Les quatre héroïnes, encore un peu défoncées et vêtues des bikinis dans lesquels elles ont été arrêtées la veille, titubent dans la lumière du jour.

Elles avancent prudemment, vaguement gênées d'être exposées, et s'approchent sans trop savoir quoi faire de la voiture où les attend leur sauveur.

Celui-ci, en chemise hawaïenne, tatoué, lunettes de soleil, dents en or sculptées et courtes tresses, est l'incarnation parfaite du petit voyou débile et dangereux qu'on préfère éviter.

A ceci près que c'est un blanc, qui a assimilé les codes des gangsters noirs jusqu'à la caricature. Quand il parle c'est encore pire, mais la sauce finit par prendre entre eux et l'histoire redémarre.

Le monde décrit par Korine dans Spring Breakers est plein de clinquant, d'argent, d'armes et de sexe, mais il est indéniablement faux, insatisfaisant et il y a un prix pour y accéder, d'autant plus élevé que l'on veut aller haut.

Malgré une fin assez débile, on comprend que le film tourne autour de ce prix, et aussi autour de la difficulté d'être soi-même, particulièrement à cet âge transitoire.

Le côté borderline et autodestructeur, le mélange de provocation, d'appétit et de crainte qu'est l'adolescence est en effet très bien rendu.

Je ne sais plus quelle critique employait le mot "ingrat", mais il colle parfaitement au moment de la vie de ces jeunes, et au film en général.

J'en suis sorti un peu comme d'un mauvais trip, à la fois agacé par des rebondissements absurdes, marqué par la tristesse de tout ça, et avec la sensation d'avoir vu un long clip hypnotique et voyeur.

Cette sensation et les réflexions inspirées par ce visionnage m'ont donné envie de revoir l'oeuvre de Clark et de tester les autres films de Korine.

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