samedi 12 décembre 2015

Cinéma (9): Léon Morin, prêtre et la fin de la France catholique

Léon Morin, prêtre est le contre-exemple que l'on donne toujours à ceux qui estiment que Jean-Paul Belmondo n'est qu'un piètre acteur, cabotineur et cantonné aux films d'action.

Aimant beaucoup Melville et le sujet m'attirant par ailleurs, j'ai fini par regarder ce film.

L'histoire se déroule pendant l'Occupation allemande. L'héroïne est la veuve d'un juif communiste qui cache leur fille des Allemands, et qui par révolte va un jour provoquer un prêtre au confessionnal, en lui jetant son athéisme au visage.

Mais celui-ci ne réagit pas comme elle l'attendait et la suit sur son terrain, répondant avec à propos et aplomb à ses provocations et finissant par lui demander de continuer à venir le voir.

Un peu désorientée par cette réaction, elle va néanmoins relever le gant et aller chez lui un soir.

S'ensuivront de longues soirées de débat philosophique et théologique entre notre héroïne et Léon Morin, le curé, avec échanges de livres, coups de pouce et argumentations.

Peu à peu et s'en rendre compte, elle va succomber au charme involontaire et à la force de conviction de son interlocuteur, joué très finement par Jean-Paul Belmondo.

Elle finira par comprendre qu'elle en est tombée amoureuse et tenter de lui faire partager cette passion impossible.

Ce très beau film, austère et prenant, se termine par les adieux de Léon Morin, qui quitte la paroisse pour officier dans une montagne isolée.

En disant au revoir à son interlocutrice, il souligne que la France est désormais devenue une terre de mission pour l'église catholique.

Ce film a plus de cinquante ans, et l'on y parle déjà de déchristianisation.

A l'heure où islam et hindouisme semblent connaitre le mouvement inverse, j'ai voulu réfléchir à cette fin de la France chrétienne.

On n'en a plus vraiment conscience aujourd'hui, mais notre pays -et notre continent d'ailleurs- a été structuré, construit, développé autour du christianisme.

Avant les idées révolutionnaires et jusqu'à une date finalement récente, l'ensemble de la société civile s'organisait autour de l'église.

Hôpitaux, enseignement, suivi des naissances, mariages et décès, aide aux pauvres et nécessiteux, organisation professionnelle, découpage territorial, tout en France était le fait de l'église catholique.

Ne pas en être c'était la précarité, l'inexistence, l'hostilité, la mise au ban, voire l'élimination physique.

Les hérésies subirent ce rejet sous sa forme la plus brutale, certaines disparaissant dans le sang (les cathares), d'autres par l'exil et la dissimulation (huguenots).

Le judaïsme, seule autre religion tolérée, faisait l'objet de fréquentes flambées de haine.

Les comédiens, les suicidés subissaient l'opprobre de la communauté, l'excommunication était alors la pire des punitions.

Pour résumer, l'église catholique était au cœur de l'état, le pouvoir papal ayant pris le relais de l'empire romain comme force rassembleuse de l'Europe.

La sortie de cette époque fut le résultat d'une lutte longue et âpre entre cette puissance et les forces étatiques.

Ce combat commença lorsque les rois voulurent contrôler les structures et les hommes de l'église, ainsi que le pouvoir qui leur était associé.

Cette tentative prit des formes différentes selon le lieu et l'époque.

Le roi d'Angleterre créa sa propre église, placée sous son autorité jusqu'à aujourd'hui.

Le roi de France se déclara de droit divin et entreprit de désigner les évêques, fondant la doctrine dite du gallicanisme.

L'étape suivante fut l'édit de Nantes, par lequel Henri IV toléra officiellement l'existence du culte protestant en France (tolérance au premier sens du terme, plus semblable à la dhimma musulmane qu'à l'égalité des droits).

Mais la vraie rupture fut la Révolution et le début de la séparation de l’Église et de l'État, ce dernier devenant le seul interlocuteur légal de l'individu, quelle que soit sa religion.

L'état civil reprit alors les registres paroissiaux, et une version civile des sacrements principaux fut mise en place: mariages, enterrements et aussi baptêmes, dont la version civile semble connaitre un regain de popularité.

Parallèlement, les gouvernements prirent le contrôle des écoles et des programmes, inventant une morale civile, ainsi que celui de l'hôpital. Au début, l'uniforme des infirmières était d'ailleurs calqué sur celui des nonnes qui en avaient précédemment la charge.

Toutefois, si elle ne primait plus sur l'État, l'église catholique était quand même reconnue comme la religion de la majorité des Français, pour reprendre le mot de Napoléon.

A ce titre, elle faisait l'objet d'accords entre le Vatican et les gouvernements (les régimes concordataires) et restait très présente sur la place publique, où elle fut pleinement réintégrée quand elle reconnut la république et que la Papauté n'appela plus les catholiques à s'y opposer.

Elle fut aussi utilisée par l'État dans le cadre du projet colonial (échange de bons procédés puisque ces facilités lui procuraient un accès à de nouvelles masses à évangéliser).

La dernière étape qui acheva la séparation légale des deux pouvoirs fut la fameuse loi de 1905, qui est aujourd'hui devenue une icône en France .

Toutefois, malgré cet éloignement officiel de plus en plus marqué, la société française resta longtemps profondément catholique, et si la mairie devint incontournable, l'église demeurait elle aussi au cœur de la vie et n'en sortit que très lentement.

Dans tous les villages l'école privée, confessionnelle, était en rivalité avec l'école publique d'état, le curé faisait partie des notables, et les croyants prenaient l'avis des autorités religieuses pour de nombreux sujets (par exemple la liste des films regardables par les croyants qui était placardée dans les églises jusqu'aux années 60).

Mais aujourd'hui, on peut dire que la rupture est consommée.

En effet, si en France une grande partie des gens continue à se faire enterrer selon le rite romain et souhaite un mariage à l'église, bien peu suivent sérieusement les règles catholiques.

La crémation se développe, le Carême a quasiment disparu, la majorité des enfants naissent hors mariage, l'inculture biblique s'est généralisée et l'on estime qu'il y a dans l'ex-fille ainée de l'église moins de catholiques pratiquants que de musulmans pratiquants.

Les églises, désertées, sont de plus en plus nombreuses à être recyclées en tout autre chose ou en voie de démolition, au point d'alarmer des bénévoles (telle l'association 40.000 clochers).

La moyenne d'âge du personnel religieux est extrêmement élevée et les candidats à la prêtrise si rares qu'on doit de plus en plus faire appel à des curés étrangers.

Enfin, l'installation en France de communautés immigrées non chrétiennes à la religiosité plus vivante, islam en tête (encore que les musulmans français subissent eux aussi une crise des vocations à l'imamat dont on parle peu) a encore plus changé la donne et transformé ce pays longtemps homogène en une mosaïque où le christianisme n'est plus qu'une des variantes.

Qu'on se réjouisse de cette déchristianisation, comme nos élites culturelles, intellectuelles et politiques l'ont fait pendant les dernières décennies, qu'on le regrette ou s'en inquiète, la France n'est plus un pays catholique ni même chrétien.

La religion et la spiritualité n'ont pas disparu mais elles ont changé, sont moins formelles et plus individualistes, l'athéisme a progressé, les autres confessions aussi, et l'église catholique n'est définitivement plus l'ossature de notre société.

Toutefois, il me semble qu'on ne devrait pas faire comme si tout cela n'avait pas existé.

L'héritage de ces 1407 années (1) de prédominance catholique reste important. Cette empreinte a façonné notre pays de mille et une façons.

La géographie des communes organisées autour de la mairie recoupe l'ancien découpage en paroisses organisées autour de l'église.

Notre droit, avec un accusé qui doit se défendre face à un ministère public (au contraire d'autres traditions comme l'anglo-saxonne) est un héritage du catholicisme.

Notre vision centralisatrice et universelle a sans doute quelque chose à voir avec l'organisation de l'église catholique.

Notre calendrier reste celui de l'église catholique, à commencer par les fêtes religieuses.

Quant à notre langue, elle est truffée de références bibliques: qu'on me jette la première pierre, il a pris son chemin de Damas, je m'en lave les mains, adieu, etc, etc.

Il me parait malhonnête de le nier, et à ce titre les arguments quasi négationnistes de la France pour refuser d'approuver le préambule de la constitution européenne sur les racines chrétiennes me semblent un peu stupides (même si ce préambule n'est pas forcément nécessaire).

Savoir d'où l'on vient n'implique pas qu'on veuille y rester ni qu'on refuse ce qui vient d'ailleurs.

Et si la France ne se définit plus comme un pays catholique, il est clair que cette religion est l'un de ses héritages et de ses fondements les plus importants.




(1): si l'on prend la date -fantaisiste- de 498 qu'on donne comme celle du baptême catholique de Clovis pour début et la loi de séparation de 1905 pour fin.

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