vendredi 24 février 2017

J'avais un camarade

Comme je l'évoquais il y a déjà pas mal de temps, mon expérience de conscrit m'a fait réfléchir sur cette très ancienne institution qu'est l'armée, intéressante à étudier comme toutes les institutions.

Aujourd'hui c'est par la musique que je vais y revenir.

Ce post m'a en effet été inspiré par la chanson qui a bercé (enfin, façon de parler..) mes classes: le célèbre J'avais un camarade.

On y parle, en termes simples, de solidarité, de sacrifice, d'esprit de corps, de nostalgie, de salut...tous les ingrédient du titre patriotique sont là.

Contrairement à d'autres chants militaires que j'ai dû chanter pendant mon service ou que j’ai pu entendre ailleurs, je trouve celui-ci plutôt beau. Quand il est bien chanté par un groupe d'hommes, il est même puissant et émouvant, parfait pour galvaniser les troupes françaises.

Françaises? Et bien pas seulement. En effet, j'ai découvert qu'il s'agissait de l'adaptation d'un chant militaire allemand ancien et très célèbre outre-Rhin: Der gute Kamerad, qu'on peut entendre ICI (et que personnellement je trouve plus fort en VO qu'en VF).

En fait nous l'avons récupéré puis adapté à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, lorsque, comme je l'ai rappelé dans mon article sur la guerre d'Indochine, notre Légion Étrangère a recyclé quantité de soldats de la Wehrmacht, épisode dont on ne s'est guère vantés pour des raisons assez évidentes.

Ces soldats ont amené dans l'armée française leur expérience, mais aussi leurs traditions et leurs chants, dont une partie a été adoptée. Parmi ceux-ci se trouvait J'avais un camarade.

Cette histoire m’amuse car je trouve assez fort qu'un chant utilisé par nos militaires, qui représentent la patrie et tout ce qui va avec, provienne du pays qui fut son pire ennemi pendant plus d'un siècle.

Dans le même genre paradoxal, j'ai entendu plusieurs fois des soldats reprendre la célèbre Blanche hermine de l'artiste breton Gilles Servat (écouter ICI).

C’est peut-être même pire que J'avais un camarade, aux paroles assez universelles, puisque ce titre, très fort et très beau là aussi, est un appel des Bretons à la résistance armée contre les Francs, c'est-à-dire la France: que l’armée de cette dernière reprennent de tels vers est donc encore plus curieux...(un exemple de reprise ICI).

Mon dernier exemple de chanson itinérante, le plus frappant selon moi, m'a été fourni par la réalisatrice bulgare Adela Peeva, dans son documentaire A qui est cette chanson?, que j'ai vu il y a pas mal d'années un soir sur Arte.

Il commence par une soirée qu’elle partage avec des gens de différents pays balkaniques et qui est animée par un orchestre.

A un moment, ce dernier se met à jouer une chanson qui attire l’attention de tous les convives. En discutant entre eux, ils se rendent compte qu’ils la connaissent tous, et qu’ils sont aussi tous persuadés que ce titre vient du folklore de leur pays respectif.

Intriguée par ce constat, Adela Peeva décide de tenter de trouver la vérité sur cette chanson.

Elle va donc se rendre en Turquie, en Serbie, en Bulgarie, etc. pour essayer de voir si quelqu’un sait qui l’a écrite et quelle est son histoire.

Partout où elle passe, elle rencontre des gens persuadés que la version locale du titre est l’original et qu'elle a été ensuite usurpée par les voisins (certaines des personnes interrogées font même preuve d’une franche hostilité vis-à-vis des autres pays).

A la fin de ce voyage, la réalisatrice en arrive à la conclusion que personne ne sait d’où vient réellement cette chanson. Et aussi que le nationalisme reste très fort dans les Balkans, où il se couple souvent à une ignorance des nombreux points et héritages communs qu’ont tous les peuples de cette aire géographique.

J’ai pu le constater en Roumanie, où beaucoup de gens n’en savent a priori pas plus que moi sur la Bulgarie ou l’Ukraine pourtant tous proches. A contrario, ils sont bien plus intéressés et au courant de l'actualité et de la culture des pays occidentaux.

Toutes ces histoires m’ont paru très intéressantes parce qu’elles montrent qu’un titre galvanisant un peuple pourra galvaniser à l'identique son ennemi: une simple traduction suffira à le faire sien et l'en rendre fier et prêt à mourir au combat en l'écoutant.

Ce qui fait évidemment réfléchir aux prétendus caractères nationaux uniques et immémoriaux dont on hérite.

Au final nous sommes bien plus proches les uns des autres qu’on ne le pense, surtout entre voisins.

Nous sommes également bien plus plastiques et changeants qu’on ne l’imagine. A l’échelle de l’Histoire les attachements sont relatifs et mouvants. Comme le disait Salman Rushdee, « un homme n’a pas de racines, il a des pieds » et tout peut changer en quelques générations.

A notre époque de repli identitaire profond, il est bon d’y repenser parfois.

Cela ne délégitime en rien l’attachement qu’on peut éprouver pour sa grande ou petite patrie, ni la nécessité de parfois se battre pour des valeurs ou un pays, mais ça permet de relativiser certaines choses, de se rendre compte de l'interdépendance et de la similitude du genre humain, et du fait que rien n'est éternel en ce bas monde.

Plus légèrement, j’ajouterai que c’est une preuve de plus que l'art se moque bien des frontières.

- Paroles de J'avais un camarade telles que je les ai apprises:

J'avais un camarade,
De meilleur il n'en est pas.
Dans la paix et dans la guerre
Nous allions comme des frères
Marchant d'un même pas. (bis)

Mais une balle siffle.
Qui de nous sera frappé ?
Le voilà qui tombe à terre,
Il est là dans la poussière,
Mon cœur est déchiré (bis)

La main, il veut me tendre
Mais je charge mon fusil;
Adieu donc, adieu mon frère
Dans le ciel et sur la terre
Restons toujours unis (bis)

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