mardi 28 avril 2015

Suis-je Charlie?

Il y a peu, j'évoquai Mohamed Merah et le terrorisme islamiste qui se développe en Europe.

Depuis, la France a connu une vague supplémentaire d'actes terroristes spectaculaires fin 2014-début 2015, culminant avec la boucherie de Charlie Hebdo dont on n'a fait que parler un mois durant.

Tout le monde semble choqué et surpris en France, mais doit-on vraiment l'être? Peut-on vraiment l'être?

On semble l'oublier, mais c'est depuis 1995 que la France vit sous le régime de Vigipirate, et l'islamisme n'est pas tombé de nulle part: ce n'est pas la première fois qu'il frappe.

Petit récapitulatif.

Avant le fameux 11 septembre 2001, il y avait eu la fatwa sur Salman Rushdie en 1989, le sanglant assassinat de Théo Van Gogh en 2004 -déjà pour une raison de blasphème-, l'affaire des caricatures danoises de Mahomet en 2005, sans oublier les massacres plus spécifiquement anti juifs de Merah et Nemmouche...

Dans tous ces cas, des gens ont tué ou tenté de tuer des gens dont ils considéraient qu'ils avaient attaqué l'islam, blasphémé, que cette attaque soit réelle ou fantasmée.

Et dans tous ces cas, les tueurs ou agresseurs étaient nés et avaient vécu dans les sociétés d'accueil où ils sévirent, dans des pays divers tant dans leurs politiques migratoires que dans leur gestion de la question religieuse.

A l'occasion du massacre de la rédaction de Charlie hebdo, la parole semble se libérer sur le sujet brûlant de l'islamisme au quotidien.

On ose s'avouer qu'il se présente un peu partout et chacun y va de ses anecdotes sur le sujet, car chacun semble en avoir une, jadis enfouie ou minimisée par la fameuse crainte de l'amalgame.

Dans mes proches, cela va du refus d'élèves d'effectuer le salut au judo car on ne se prosterne que devant Dieu à la violente mise à l'écart d'une nounou tunisienne non voilée par ses collègues en passant par l'agression par des musulmanes de filles de 13 ans forcées à crier Allah u akbar.

Tous les Français au contact des masses immigrées musulmanes, c'est-à-dire les populations urbaines prolétaires ou des classes moyennes, les fonctionnaires ou les médecins, savent tout cela, sont confrontés à cela, même si ce n'est pas, fort heureusement, leur lot quotidien et qu'il s'agit de cas extrêmes.

Cet état de fait est au mieux instrumentalisé, au pire complètement nié par une classe politique très très loin de tout ça, sauf les démagos qui se frottent les mains en attendant de tirer les marrons du feu.

A côté de cela, on sait que l'immigration, du moins en France, vient essentiellement de pays musulmans.

L'Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Turquie fournissent les trois quarts des entrants légaux dans notre pays, les nombreux clandestins ainsi que les ressortissants de Schengen (comme ceux d'Espagne par exemple) n'étant pas comptabilisés.

L'OCDE nous indique par ailleurs que la majorité des immigrants viennent en France pour se marier. Les enfants suivent donc logiquement.

Pour le vérifier, les statistiques ethniques étant interdites en France, il suffit de regarder les prénoms des bulletins de naissance ainsi que leur classement de popularité: Mohamed est le premier prénom masculin donné à Marseille ou en Seine-Saint-Denis (comme à Bruxelles ou Londres d'ailleurs).

Enfin, on peut aussi constater que le nombre de djihadistes (en valeur absolue) partant en Syrie est parfaitement proportionnel à la taille de la communauté musulmane dans le pays source. La France est donc fort logiquement en tête.

Tous ces faits sont vécus, sus, rapportés, discutés entre les gens, qui ont tous un proche dans les grandes métropoles, même au fond de nos campagnes.

Cela entraine la propagation d'une angoisse diffuse, le sentiment qu'une communauté quasi étrangère au sein du pays, vivant en vase clos, est en train de grossir, de s'installer, de prendre de la force en attendant de s'organiser.

Le scandale du livre de Houellebecq imaginant un parti musulman financé par les états du Golfe et prenant le pouvoir en France est peut-être justement un scandale parce que pour beaucoup il préfigure trop un futur pas si lointain, lorsqu'on aura atteint ce fameux "point de bascule" théorisé par l'extrême droite.

Est-ce un fantasme ridicule? Est-ce une éventualité à prendre au sérieux?

Une chose est sure, c'est que nous sommes bel et bien devenus une société multiculturelle, malgré l'idée d'un modèle français encore bien présente dans la tête des gens.

Qu'entend-on par multiculturalisme, cette doctrine encensée jusqu'à une date récente par tous les progressistes en France et appliquée par les pays d'Europe et d'Amérique du nord?

En fait, c'est la juxtaposition de communautés reconnues et égales entre elles, les groupes issus de pays et cultures différentes reconstruisant un bout de leur pays d'origine dans la société d'accueil.

Selon ses promoteurs, cela enrichit ladite société d'accueil en l'ouvrant sur le monde, cela dynamise le pays, tout en aidant à l'intégration, et non à l'assimilation, des populations migrantes, qui sont par ailleurs ainsi respectées dans leurs croyances et modes de vie.

Le postulat non précisé de ce modèle est que la communauté embrasse les valeurs supérieures du pays d'accueil et qu'elle-même s'ouvre sur les autres. On dit qu'ils sont alors intégrés.

Le modèle revendiqué par la France est quant à lui assimilateur. C'est-à-dire qu'il demande à chacun de laisser son ancienne peau, ses anciens mode de vie et culture pour devenir un citoyen égal aux autres, avec les mêmes droits, les mêmes possibilités en tant qu'individu que le reste de la population.

Il peut bien évidemment conserver croyances et habitudes, mais doit les garder pour la sphère privée.

Ce modèle est beaucoup critiqué pour sa violence morale, son côté normalisateur et jacobin, on le met même parfois en parallèle avec le communisme ou colonialisme, bien qu'il ait également été appliqué aux provinces et aux patois de l'Hexagone.

Mais qu'on en soit partisan ou non, il y a longtemps qu'il est devenu une théorie un peu creuse, il n'y a qu'à se promener dans n'importe quelle banlieue aujourd'hui pour voir à quel point c'est bien terminé.

Le multiculturalisme est donc un fait en France comme dans les autres pays occidentaux, faire semblant n'y change rien.

Néanmoins, depuis quelques années, ses effets pervers commencent à être pointés du doigt, y compris désormais par les élites des pays concernés.

Dans ce modèle (que je ne cherche pas à condamner en bloc parce qu'il a des aspects très bénéfiques), chacun est comme on l'a dit encouragé à garder sa culture propre, l'idée étant que ça permette son intégration harmonieuse au pays d'accueil.

Cela pose un certain nombre de questions.

La première est liée à la taille des communautés.

Quand il s'agit de petits groupes face à une majorité clairement définie, le pays n'est pas vraiment altéré.

Mais si cette communauté croît, et c'est ce qui se passe avec l'ensemble des communautés non européennes un peu partout sur le continent, elle va occuper de plus en plus d'espace, être de plus en plus visible, voire devenir majoritaire.

Et si elle devient majoritaire, cela veut dire que l'ancienne majorité devient à son tour minoritaire.

Ce qui pose automatiquement un problème de référence, quelles que soient les communautés nouvelle et ancienne. La norme n'est plus évidente, elle n'est plus la même.

Et là apparait le deuxième problème. Si la nouvelle communauté a des valeurs qui sont opposées à celles de l'ancienne majorité et qu'on ne lui demande pas de changer, que se passera-t-il? Comment éviter les conflits d'intérêt ou les conflits tout court?

La variante fermée de l'islam qui est en vogue ces dernières années en est l'exemple le plus évident.

Les communautés musulmanes ont une forte tendance à l'endogamie, à faire passer l'allégeance religieuse et/ou tribale avant le reste, et à créer en de nombreux endroits une sorte de contre-société.

Cette tendance est encouragée par la crise économique. En effet, comme toujours, celle-ci touche de plein fouet les immigrés et les empêche de se mêler à la société d'accueil.

Or comme elle sévit également dans les pays source, la pression migratoire ne baisse pas et amène de manière constante des gens "à intégrer", gardant vivantes traditions et mentalités d'origine.

Et l'on arrive à un moment où ces nouveaux arrivants ne voient plus le besoin et l'intérêt de se franciser, de s'adapter aux valeurs et croyances des habitants plus anciens. A cela s'ajoute parfois un désir de revanche, notamment quand il y a eu un passé colonial.

Je pense aux fameuses interviews de Houria Bouteldja, la pasionaria des Indigènes de la république qui indique que le pays et ses autochtones "sous-chiens" doivent s'adapter aux musulmans car ces derniers seront bientôt majoritaires.

Et forcément cela touche une corde sensible, car personne, dans aucune culture, aucun pays, aucune religion, ne veut être minoritaire dans son pays.

Le succès de l'extrême droite sur tout le continent s'explique en très grande partie par ce sentiment de dépossession, d'urgence, de libanisation des sociétés.

Et la réaction viscérale à l'assassinat de la rédaction de Charlie hebdo par des Français d'origine algérienne, ces gigantesques rassemblements, ce cri de "Je suis Charlie", furent un peu une imprécation, un moyen de se rassurer, quelque part même de se compter, de s'assurer qu'on est une majorité.

La quasi absence des musulmans banlieusards dans ces manifs (alors qu'ils prouvent régulièrement lors des actions pro-Palestine leur capacité à se mobiliser) et tous les faits divers rapportés à ce moment-là montrent bien à quel point la fracture est importante entre eux et le reste de la population: sans aller jusqu'à l'apologie du meurtre, il est évident qu'ils n'ont pas la même vision de l'événement et de la liberté d'expression.

Pour autant est-ce que prendre le nom d'un journal satirique d'Extrême Gauche était la meilleure chose à faire pour rassembler?

Après tout, parmi les gens que je connais, y compris chez des non musulmans, il y a un grand nombre de personnes qui n'aiment pas Charlie Hebdo, son humour au ras du caleçon et ses diatribes antireligieuses. Du coup défiler au nom de "Je suis Charlie" peut leur poser problème.

Et puis surtout en quoi défiler va-t-il changer la situation? La masse conservatrice et fermée qui pose problème va-t-elle miraculeusement changer d'opinion et décider de s'engouffrer dans le creuset français? Est-ce qu'on les a convaincus de devenir Charlie et est-ce que ça va changer? Qui peut croire ça...

Alors non, le 7 janvier n'est pas un coup de tonnerre, une nouveauté, un événement inouï et inimaginable, un coup de poignard ou Dieu sait quoi.

Il n'est qu'un énième signe de l'affrontement qui a lieu sur le continent entre une vieille société européenne sécularisée, tolérante et individualiste et une partie de sa frange immigrée, jeune et en connexion avec des sociétés d'origine travaillées par l'intégrisme religieux et des fractures profondes, à laquelle s'agglomèrent un certain nombre de convertis.

L'enjeu est l'avenir de nos sociétés, ni plus ni moins, et, Charlie ou pas, chacun semble enfin en avoir saisi l'importance.

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