jeudi 24 septembre 2015

La nouvelle guerre de Trente ans (3) - questions transverses

Après ce bref parcours des états en présence, je vais faire un focus sur les questions transverses qui les impactent tous et dont les racines sont souvent anciennes.


La question chiite

Le chiisme est la deuxième confession de l'islam, dont elle représente environ 10% des fidèles sur le globe.

Plus que le sunnisme, cette variante de la foi musulmane semble avoir favorisé l'émergence de mouvements hétérodoxes apparentés de près ou de loin à l'islam.

Parmi les variantes structurées de ces mouvements qui se rattachent au chiisme, il y a les alévis, les druzes et les alaouites, toutes présentes en Orient.

S'ils ne sont pas forcément vus comme chiites par les chiites "officiels" eux-même, ils en partagent le destin, à savoir qu'ils sont en butte à l'hostilité plus ou moins ouverte des pouvoirs sunnites.

Ils sont en effet partout discriminés, parfois plus que les chrétiens eux-mêmes, qui eux ont un statut bien défini dans le Coran.

Certains, comme les alévis en Turquie, sont tout simplement ignorés par le pouvoir et beaucoup de sunnites contestent leur caractère musulman (je l'ai entendu dans la bouche de plusieurs connaissances maghrébines).

Conséquence, pendant l'ère ottomane, puissance sunnite, toutes ces communautés se sont retrouvées en bas de l'échelle sociale de leurs pays respectifs.

Les cartes furent rebattues lorsque les mandats européens et les indépendances qui suivirent fragmentèrent la région, mais le changement majeur fut la prise de pouvoir par les islamistes en Iran, seul pays où le chiisme est majoritaire et au pouvoir.

Ce basculement d'une puissance régionale majeure vers un régime ouvertement chiite entraîna l'hostilité immédiate de l'Occident et des régimes arabes sunnites.

Devant cette hostilité, qui entraîna une déclaration de guerre par l'Irak baasiste, Téhéran mit tout en œuvre pour se créer une profondeur stratégique et contrer son isolement.

Pour ce faire, ils commencèrent à financer et à prendre le contrôle du Hezbollah libanais, devenu un acteur majeur au pays du cèdre et le véritable maître de sa communauté chiite.

Ce mouvement devint ainsi le bras armé de Téhéran face à Israël, passé du statut d'allié du régime du Shah à celui de croquemitaine, sans qu'on sache dans quelle mesure ce revirement était pour l'Iran une tactique pour se concilier la rue arabe.

Ensuite, des liens furent noués avec les autres chiites, ceux du Bahrein et ceux du Yémen.

Enfin, afin de garantir la liaison entre l'Iran et le Hezbollah, une alliance solide fut également conclue avec les maîtres alaouites de la Syrie.

Cette toile patiemment tissée se trouva encore renforcée lorsqu'en 2003 Saddam Hussein fut renversé par les Américains.

La majorité chiite prit alors le pouvoir en Irak, et l'Iran y investit massivement, que ce soit d'un point de vue politique, culturel ou économique.

A ce moment-là, le régime de Téhéran connut l'apogée de sa puissance, et apparut, grâce à l'intransigeant Ahmadinejad, comme le véritable champion de la lutte contre l'Occident et le sionisme.

Bien sur, ce moment chiite entraîna une réaction de la part des puissances sunnites, avec à leur tête le régime saoudien.

Et cette rivalité et les tensions qui existent depuis toujours entre ces deux branches de l'islam se transformèrent en conflits armés, véritable guerres de religion à l'instar de celles opposant jadis catholiques et protestants.

On le voit dans le conflit de Syrie, mais aussi au Yémen, où Ryad réprime dans le sang les révoltes houthistes soutenues par Téhéran, ou en Égypte, où le million de chiites est mal toléré, certains membres faisant récemment l'objet de lynchage.


La question kurde

Les Kurdes, qu'on estime à 40.000.000 de personnes, sont un peuple apparenté aux Iraniens et dont l'habitat chevauche la Turquie et l'Irak, où ils représentent 20% de la population, ainsi que l'Iran et la Syrie, sans compter une très importante diaspora dans les grandes villes turques et dans le reste du monde, notamment en Europe.

Grands oubliés des partages post ottomans, ils ont vu leur territoire morcelé et leurs revendications d'autonomie ou d'indépendance farouchement combattus par les jeunes états soucieux de préserver leurs frontières.

Néanmoins, leur rêve tenace d'un Kurdistan a persisté, des révoltes et des combats rappellent périodiquement leur existence au monde, et des mouvements plus ou moins autorisés et plus ou moins pacifiques sont régulièrement créés.

Parmi eux, l'emblématique PKK, d'orientation socialiste, combattit Ankara quasiment depuis la naissance de la Turquie moderne.

La première guerre du Golfe permit aux Kurdes de se créer une région très autonome en Irak, au grand dam de la Turquie qui y mène régulièrement des incursions militaires, et l'explosion de la Syrie leur a donné l'occasion d'avancer de nouveau leurs pions et de prendre le contrôle de nouvelles zones.

Le trouble jeu qu'Erdogan mène avec IS tient au fait que la création d'un Kurdistan à cheval sur la Syrie et l'Irak est vu comme un danger mortel par Ankara, qui craint la naissance d'une base arrière inexpugnable pour son propre irrédentisme.

Les Kurdes sont dans leur très grande majorité des musulmans sunnites.


La question palestinienne

Le peuple palestinien est véritable né à la création de l'état d'Israël, dont ils constituent les habitants pré sionistes.

Schématiquement on peut les diviser en deux grands ensembles.

Le premier groupe est constitué par ceux qui vivent encore sur leur territoire historique.

Parmi eux il y a les Arabes israéliens, qui ont pu prendre la nationalité de l'état hébreu lors de sa création et dont ils représentent 20% de la population, et les habitants des territoires occupés: Cisjordanie, Jérusalem Est et bande de Gaza.

Le statut de ces derniers, même s'il varie selon leur implantation géographique, est celui d'un peuple colonisé et leur vie rappelle celles des habitants des bantoustans sud-africains du temps de l'apartheid.

Le deuxième groupe est celui formé par les descendants des Arabes ayant quitté la Palestine pendant la guerre d'indépendance israélienne de 1948, événement qu'ils appellent la Nakba, la catastrophe.

Ceux-ci forment aujourd'hui des diasporas dans le monde entier, mais surtout dans les états voisins de la Palestine.

Il y en a beaucoup en Jordanie, où ils sont même majoritaires, et au Liban, où ils représentent un cinquième des résidents.

Dans ces pays ils vivent souvent dans des camps, qui se transforment parfois en quartiers avec le temps, et ils n'ont pas la nationalité et les droits afférents, même après quatre ou cinq générations.

La justification donnée par ces états au refus de naturaliser est que leur donner la citoyenneté reviendrait à accepter l'existence d'Israël et donc à renoncer à toute chance de retour.

Depuis bientôt 70 ans, les Palestiniens sont encadrés par une agence spécifique de l'ONU, l'UNWRA.

Leur histoire et leur combat en font une communauté à part, utilisée par les pouvoirs arabes et musulmans pour leur propres intérêts, jamais vraiment aidés, toujours entre deux.


Les trois identités fortes que j'ai décrites ici marquent profondément la région, même si elles n'ont pas d'assise territoriale, et le statut de ces gens constitue un de ses défis majeurs.

Et bien sur leurs combats sont instrumentalisés par les puissances, ainsi que je vais le montrer dans les post suivants.


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