vendredi 18 septembre 2015

Le "polar"

Un roman policier est défini par un certain nombre de règles.

A la base, il y a un crime ou un délit -vol, meurtre, chantage, etc- avec une victime et un coupable qu'un policier ou un détective s'efforce de confondre et d'arrêter.

L'auteur assaisonne cette intrigue avec du suspense, des coups de théâtre, des digressions et/ou des intrigues secondaires, de façon à maintenir vivace l'attention du lecteur qui cherche à connaitre le fin mot de l'histoire.

Ce genre, qui se décline également en d'innombrables films et séries télé fait partie de la littérature la plus lue sur le globe.

Et c'est justement ce côté populaire qui lui a longtemps valu la déconsidération des élites culturelles, promptes à ranger ce type de roman au même rayon que les romans à l'eau de rose, la science-fiction ou la bande dessinée, c'est-à-dire au rayon facile, voire méprisable.

C'est évidemment un peu réducteur.

Le roman policier est en effet un domaine très vaste, avec une myriade d'auteurs et d'histoires, et si l'on trouve effectivement des titres racoleurs avec des histoires aux ficelles tellement énormes qu'on peut en deviner la fin rien qu'en lisant le titre, il existe également un tas d'ouvrages au contenu plus élaboré, à l'intrigue plus fine, ou porteurs de messages.

Amateur de polars depuis longtemps, je vais ici parler de ce que j'apprécie -ou pas- dans ceux que j'ai pu lire et ce que je recherche dans cette littérature. Mais tout d'abord je vais comme d'habitude tenter une petite classification de ces romans.

Deux catégories

Premièrement, je distinguerai deux grandes catégories de romans policiers.

Dans la première, les intrigues se placent dans un monde simple, voire manichéen, un peu comme dans les westerns de jadis ou les aventures de Tintin.

Le postulat est que le crime existe, il est le Mal, et des gens courageux, astucieux et moraux le combattent.

L'accent est surtout mis sur l'intrigue, sur l'enchainement des actions, sur le suspense et l'atmosphère, et si les bons ont des faiblesses ou parfois des caractères compliqués, ils sont néanmoins clairement identifiés comme les bons, et c'est la même chose pour les méchants.

Dans ce monde des polars classiques on trouve par exemple Conan Doyle et Agatha Christie.

Dans la deuxième catégorie, l'intrigue n'est pas forcément si importante. Elle est en effet également prétexte à dépeindre une sorte d'envers du décor des sociétés où ces histoires prennent place, une face plus sombre des gens.

La vision du monde est le plus souvent pessimiste et le ton parfois dénonciateur, politique. Cette veine plus réaliste a explosé avec le "hard boiled" américain, ce style marquant dont les fondateurs furent Dashiell Hammet et Raymond Chandler, qui ont légué au monde et au cinéma les immortels détectives désabusés Philip Marlowe et Sam Spade.

Si je garde mon analogie avec le western, dans ce deuxième groupe, Clint Eastwood a remplacé John Wayne, et on ne sait pas toujours qui est bon et méchant.

Personnellement, c'est cette catégorie-là que je préfère.

Ce que j'apprécie tout particulièrement dans ces romans-là, c'est qu'ils offrent un instantané d'une époque, d'un lieu, d'une situation politique donnés.

Les villes, car le polar est surtout urbain, nous sont décrites sans fard, avec leurs communautés, leurs immigrés et leurs notables, leurs connexions visibles ou cachées, leurs politiques, leurs mœurs, côté policier ou côté truand.

Cet aspect fait que j'aime beaucoup lire des polars étrangers.

Cela reste bien sûr de la fiction, mais ça permet d'avoir une idée de certains angles d'un pays qu'on ne trouvera pas dans les guides touristiques, de palper les références culturelles ou à l'espace de ses habitants, de trouver des pistes historiques lorsque l'auteur fait des flashes sur certaines époques, etc.

Quelques auteurs et séries

- Auteurs américains

Le cycle des enquêtes de Cercueil et fossoyeur, de l'Américain Chester Himes décrit le Harlem noir des années 50-60. Se basant sur son propre vécu, l'auteur offre une peinture réaliste et colorée de la misérable société afro-américaine ghettoïsée, en butte au racisme institutionnel, à une violence et à une pauvreté endémiques.

On y croise les malfrats, les combinards, les croyants de tout poil et les gourous qui les exploitent, les gens des communautés rurales du sud à la politesse surannée et à la cuisine épicée, les musiciens, la dope, les mouvements de retour en Afrique, les usuriers juifs vicieux et les flics irlandais violents qui font le lien entre le ghetto et le reste de la société...

Pour faire respecter la loi dans ce milieu - ce qui revient souvent à marquer les points et à limiter la casse - les inspecteurs Cercueil et Fossoyeur doivent être plus durs que les plus durs, et les longs pistolets nickelés de ces adeptes de la manière forte sont connus et craints par tout le monde.

Cette série qui fit de Himes une star fut découverte en France, le public américain étant encore dans les brumes ségrégationnistes lors de sa parution. Au fur et à mesure des tomes, le ton se fait plus amer, plus politique, tout en gardant cette touche d'humour qui est aussi la signature de ce grand auteur.

James Ellroy est un autre auteur américain que j'ai pas mal lu à une époque. Ces livres sont particulièrement durs, avec des meurtres sordides, des combinaisons de drogue, de sexe et de violence qui transforment leur lecture en une sorte de happening halluciné.

Aujourd'hui j'ai du mal à m'y replonger et je n'aime plus trop, mais c'est une lecture marquante.

Dans un tout autre genre, j'aime régulièrement me plonger dans les histoires de Tony Hillerman.

Cet auteur américain, né en Oklahoma au début du siècle dernier, a créé une longue saga dont l'action se déroule dans la région rurale des USA que l'on appelle "Four corners" car elle contient le point de rencontre des états de l'Arizona, du Colorado, du Nouveau-Mexique et de l'Utah.

Ses héros sont deux détectives de la police tribale navajo qu'on voit vieillir et évoluer tout au long des livres.
 
Le rythme de ces histoires est lent et l'auteur semble très bien documenté sur les moeurs et la culture des gens et des peuples qu'il décrit, tous très attachants.

Enfin, j'apprécie toujours les histoires des classiques Chandler et Hammet, le second mettant sa propre expérience de détective chez Pinkerton pour planter des histoires devenues des classiques.

- Auteurs hexagonaux

En France, la politique est reine, et les polars aux propos teintés de gauche et d'extrême-gauche ne se comptent plus.

Le marseillais Jean-Claude Izzo, mort trop jeune, a accouché d'une trilogie sur sa ville qui a fait date.

Son héros, Fabio Montale, traine ses désillusions et son désespoir dans une ville pour laquelle l'auteur transmet son amour dans chaque mot, sur fond de multiculturalisme, de montée du FN et de crime organisé. L'ambiance de ces livres est très prenante.

Didier Daeninckx, est lui aussi un auteur très politisé, spécialiste des anecdotes sordides ressorties des placards de l'histoire de France (par exemple les Canaques des zoos humains de l'exposition coloniale de l'entre-deux-guerres) et des omertas politiques. J'ai lu plusieurs de ses romans et nouvelles.

Enfin, il y a l'immense Jean-Patrick Manchette, dont les polars sombres et politisés brossent un portrait clinique et impitoyable de la France des années 60-70, ses aliénations, ses fractures et sa violence politique. La position du tireur couché et L'affaire N'Gustro font partie de mon panthéon personnel.

En plus décalé et en bande dessinée, il y a les aventures du privé rural de Bruno Heitz, dont j'ai parlé dans un précédent post.

- Auteurs européens

Poussant un peu plus loin que ces deux mondes qui sont évidents, j'ai testé d'autres auteurs du continent.

Même si j'ai dévoré la fameuse série Millenium (malgré tous ses clichés et partis pris) et testé d'autres auteurs scandinaves, je ne peux pas dire que j'ai adhéré plus que ça à la fameuse vague venue du froid.

En revanche, j'apprécie toujours de me colleter avec le Belge Georges Simenon qui, si son œuvre est bien plus large que les romans policiers, en a quand même écrit un certain nombre.

J'ai également adoré Des mecs bien, ou presque du Roumain Bogdan Teodorescu, dont j'attends la traduction d'autres œuvres avec impatience.

Ce livre raconte l'envers de la Roumanie des années 90, quand le pays tentait de se trouver un chemin dans l'anarchie post-Ceausescu, et que tout, et surtout le pire, était possible.

Il nous montre que l'ex-Securitate, la police politique de la dictature, est loin d'avoir disparu et qu'elle posait alors ses pions et se recyclait intelligemment et froidement...fascinant.

Enfin, je suis tombé amoureux des aventures des polars du Grec Petros Markaris, dont le héros, le commissaire Charitos, est un policier intelligent, plein de bon sens et d'humour qui provoque la sympathie.

Connaissant parfaitement Athènes, amoureux de son pays, ayant un rapport ambigu avec l'époque des colonels, il représente bien le Grec moyen et ses aventures passent la société de son pays au scalpel, évoquant l'immigration albanaise, les inégalités, la crise, etc.

- Auteurs du reste du monde

J'ai également tenté des auteurs extérieurs à mon aire culturelle, en me frottant essentiellement à des écrivains africains.

Le quatuor algérien de Yasmina Khadra fait partie de mes polars de prédilection.

L'auteur, à travers les enquêtes du commissaire Llob, nous dépeint l'Algérie au moment où celle-ci s'enfonce dans la décennie noire et la guerre civile des années 90.

Le portrait qu'il fait de son pays est féroce, avec son héros pauvre et digne qui vivote loin des cercles d'un pouvoir qu'on devine tout-puissant, confisqué par des pontes du FLN dont certains ont acheté leurs certificats de moudjahidin.

L'Histoire et bien sur la France sont convoquées, rien ni personne n'est épargné, mais on sent l'amour de son pays chevillée au corps de Llob, et à travers lui celui de Khadra.

Plus récemment j'ai lu deux romans du Gabonais Janis Otsieni. Connaissant peu de choses de ce pays, pilier de la Françafrique dirigé par la dynastie Bongo, sa description m'a captivé.

Très critique vis-à-vis du pouvoir, Otsieni décrit le cosmopolitisme de Libreville (le riche Gabon étant un pays d'immigration attirant des gens de tout le voisinage), ses magouilles, ses espoirs.

A travers une équipe de flics et une autre de gendarmes (aussi corrompues et expéditives l'une que l'autre), il nous emmène dans des enquêtes sur des sujets comme les assassinats politiques ou les meurtres rituels d'enfant, nous faisant partager la riche version locale de la langue française.

D'autres histoires très dépaysantes sont celles du policier Mario Conde, héros de l'auteur cubain Leonardo Padura qui enquête dans la dictature castriste tellement appréciée des progressistes de l'Hexagone.

Ses pérégrinations nous font remonter au temps des Russes, à celui des camps de rééducation pour les homosexuels, et nous montrent la vie ordinaire de gens occupés à se battre au quotidien contre les pénuries et un pouvoir fossilisé.

Enfin, la trilogie Max Mingus, de l'auteur britannico-haïtien Nick Stone, fut ma dernière belle surprise. Les aventures de son héros, ex-flic devenu détective, sont prétexte à montrer les mondes caraïbes, Haïti et Cuba, ainsi que l'envers de la cité de Miami.

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