vendredi 25 septembre 2015

Cinéma (7): Gangs story

Le phénomène des bandes violentes de jeunes défraie régulièrement la chronique en France.

Périodiquement, les média laissent entendre que la violence explose, que le chaos et le désordre sont aux portes de la ville, etc.

Il peut être intéressant de prendre un peu de recul et de regarder le phénomène dans la durée.

C'est ce qu'a essayé de faire le photojournaliste Yann Morvan, qui a étudié les bandes d'Île-de-France sur de très longues années.

Ce travail passionnant et dangereux (il a failli mourir de la main du tueur en série Guy Georges) lui a inspiré un premier livre, Gang, où il exposait des photos de membres des différentes bandes qu'il avait croisés au cours du temps.

Il a ensuite été approché par Kizo, cinéaste autodidacte au parcours étonnant, puisqu'il a été champion du monde de tractions (si, ça existe!) et lui-même longtemps membre d'un gang de Grigny, la mafia Z.

De leur collaboration est né le livre Gangs story, malheureusement retiré de la vente à cause de la plainte d'un ex-membre, ainsi qu'un passionnant documentaire du même nom.

Celui-ci est découpé en deux volets, correspondant à deux époques.


Les années rock

Le premier, les années rock, commence par une étude de l'immédiat après-guerre.

La France connait alors un rajeunissement, doublé d'une urbanisation tous azimuts et des débuts de l'américanisation du pays, notamment avec l'arrivée du rock'n roll.

C'est à ce moment-là qu'apparaissent les premières bandes.

Elles sont formées par des jeunes issus des classes populaires, habitant dans les portes de Paris ou dans ses quartiers pauvres. Ils se déplacent en masse, fanfaronnent, se battent et s'adonnent à une petite délinquance qui déjà à l'époque fait peur tant à leur voisinage qu'aux pouvoirs publics.

On leur donne le nom générique de "blousons noirs", du fait de leur goûts pour les perfectos et autres cuirs, et la presse rapporte leurs bagarres entre bandes rivales, à grands coups de couteaux, de chaînes de vélos ou encore de serpettes.

Pas de politique là-dedans, mais de la testostérone à revendre, une espèce de rite de passage qui se termine généralement de lui-même, la plupart de ces jeunes finissant par se ranger, travailler, se marier, etc.

A partir des années 70, du fait de l'immigration extra européenne et du regroupement familial, la composition des milieux populaires commence à changer.

Les immigrés sont de plus en plus nombreux et désormais visibles. Ils ne diffèrent pas seulement par la langue et quelques coutumes comme jadis les Italiens ou les Polonais, mais par le physique, les modes de vie, la religion, et un virage raciste commence à se faire sentir chez certains des jeunes blancs.

Apparaissent à ce moment-là les Rebels, groupe de bikers ouvertement racistes qui s'en prennent régulièrement aux immigrés noirs et arabes, et dont l'un des emblèmes est le drapeau sudiste américain. Ils seront suivis un peu plus tard par la version d'extrême-droite des skinheads.

Face à ces groupes racistes naissent également des mouvements concurrents, d'abord dans les milieux punks vaguement coco-anar, comme les Red warriors, puis de plus en plus chez les immigrés eux-mêmes, qui finissent par fonder leurs propres bandes, comme les emblématiques Black dragons, selon des critères de plus en plus ethniques.

Ces gangs se structurent et se revendiquent tous plus ou moins "chasseurs de rebels" puis "chasseurs de skins", donnant une orientation politique à ce vieux phénomène.

Qu'on ne se figure quand même pas qu'il s'agissait de petits groupes vertueux et idéalistes, les uns comme les autres restaient des bandes.

Ainsi le chef historique des chasseurs les ducky boys, un Portugais rentré au pays et devenu agriculteur depuis, raconte qu'ils allaient aussi dépouiller les bourgeois du 16e quand ils avaient besoin de fric.

Cet affrontement entre racistes et non racistes, que j'évoque dans mon post gangs 80-90, dura quelques années et se solda par la victoire des chasseurs et la disparition des rues des gangs ouvertement racistes.

Ce reflux était notamment dû au tournant démographique qui touchait les banlieues, de moins en moins blanches.

Les années 90 et la fin de la pseudo-guerre politique marquèrent un changement d'époque et commencèrent par un espèce de passage à vide, que tous les anciens leaders interviewés dans cette partie décrivent comme très désagréable.

La recherche des ennemis racistes qui justifiait l'existence première de leurs groupes dégénéra.

D'abord ce furent de tristes faits divers, comme le passage à tabac de malheureux soldats du contingent pris pour des skins, puis les bandes commencèrent à s'affronter entre elles, pour des questions d'honneur, de préséance, de territoires...ou de racisme.

Beaucoup de ces gangs, désormais à majorité immigrée, se mirent en effet à suivre les traces de leurs anciens adversaires en se regroupant par origine.

Par ailleurs, leur culture de référence n'était plus la même, c'était maintenant le monde du hip-hop qui prenait le relais du rock. Les années rap avaient commencé.


Les années rap

Au final, la couleur des protagonistes avait changé, la culture modèle (même si toujours américaine) avait changé, mais on retournait à la case départ, c'est-à-dire à des bandes de jeunes des classes populaires qui se bastonnaient.

Mais il y eut tout de même quelques évolutions marquantes.

La première, qui n'est pas sans être inquiétante, c'est que ces bandes sont très souvent devenues des gangs, passant de la petite délinquance à la criminalité.

L'explosion du trafic de drogue, où ils interviennent massivement, et la circulation d'argent ont changé la face du phénomène. La plupart des habitants de leurs quartiers qui ont la cinquantaine racontent avoir senti ce virage.

Cette criminalisation s'est accompagné d'un changement dans les moyens. A la chaîne de vélo et au couteau des années 60 ont succédé le flingue et la kalachnikov, rendant la tâche des pouvoirs publics plus dure et les risques pour les jeunes bien plus importants.

Le phénomène est d'autant plus profond que la crise économique a ravagé en profondeur les quartiers populaires. Et s'il était facile pour un blouson noir désireux de se ranger d'aller pointer à l'usine et de se construire une vie, c'est devenu beaucoup plus dur pour un caïd d'aujourd'hui.

Le taux de chômage de la France actuelle flirte en effet avec les deux chiffres et il est désespérément élevé pour les jeunes, encore plus pour les jeunes sans diplôme ni réseau, et encore plus pour les jeunes immigrés sans diplôme ni réseau.

L'absence d'une alternative crédible les pousse donc plus souvent vers le crime, aggravant la dégradation de l'image des jeunes immigrés, et renforçant par là même le cercle vicieux.

Les blousons noirs n'avaient pas ce problème, leurs noms et couleurs étant ceux du reste de la société.

La deuxième nouveauté c'est aussi la réaction de la société d'aujourd'hui, beaucoup moins tolérante en ce qui concerne la violence juvénile (j'avais déjà évoqué le sujet dans un post sur Lebrac, trois mois de prison, un livre où Patrick Rothé transposait le célèbre La guerre des boutons dans le monde d'aujourd'hui).


Conclusions: pareils et différents

La conclusion de ces reportages est à la fois inquiétante et rassurante.

Inquiétante parce que force est de constater que la rupture entre ces bandes et le reste de la société semble aujourd'hui plus marquée qu'hier.

D'abord parce que la société n'offre guère d'avenir à ses pauvres et sans diplôme, bien plus condamnés au chômage et à la précarité que les jeunes d'avant les années 80.

Ensuite parce qu'à l'exclusion sociale s'ajoute un problème racial, et religieux avec l'essor d'une variante de l'islam belliqueuse et fermée qui recrute largement dans le vivier de nos banlieues déshéritées.

Enfin parce que les trafics, drogue en tête, et la criminalité ont complètement gangrené le tissu social où vivent ces gens, fermant encore un peu plus la liste des possibles pour eux.

Mais elle est rassurante parce que d'un autre côté c'est toujours la même eau qui coule.

En effet, lorsque les membres de ces gangs parlent, qu'il s'agisse de reportages d'époque, d'interviews de vétérans ou de jeunes d'aujourd'hui, c'est la même chose. A part les quelques rares politisés, comme Serge Ayoub ou Julien Terzics, la plupart de ces gens se ressemblent terriblement.

Au final, qu'ils soient blancs, noirs, qu'ils aient le crâne rasé, la banane, une casquette ou un bonnet, il s'agit de petits machos qui parlent de fierté, d'honneur, de place à défendre (à les entendre, c'est toujours les autres qui viennent troubler leur tranquillité et les provoquer).

Tous méprisent les bourgeois et détestent les flics et les balances, les gars du quartier d'à côté aussi, etc.

Au fond, aujourd'hui comme hier, la bande est le lieu de sociabilisation, celui où l'on se soutient, où l'on rigole, où l'on picole (ou fume). C'est avec ses membres qu'on traîne, qu'on écoute la musique, qu'on fait les mauvais coups, qu'on drague, etc.

La bande est aussi une sorte d'échappatoire au milieu rude d'où l'on vient, à la promiscuité, à la pauvreté, à l'horizon matériellement réduit.

C'est au final une étape dans la vie, une forme de "l'âge bête" un peu plus spécifique à la jeunesse populaire.

Cet aspect-là est bien démontré dans le documentaire, et beaucoup de ses protagonistes un peu âgés en sont conscients, surtout chez les noirs, qui représentent le gros des interviewés et se situent d'eux-mêmes dans la continuité des blousons noirs.

Beaucoup d'entre eux oscillent entre la nostalgie de leur jeunesse, le sentiment de s'être faits avoir, de n'avoir pas su transformer un combat pour se faire accepter dans une société discriminante en quelque chose de constructif et la tristesse de voir leurs enfants dans une impasse et refaire les mêmes bêtises.

Et c'est ce genre de réflexion qui donne le plus confiance, parce que ça montre que bon nombre de ces terreurs sont finalement devenues adultes après ces quelques années (trois en moyenne) dans une bande.

Voir:


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