jeudi 3 septembre 2015

Cinéma (12) / Livre (16): Quartier lointain et Un jour sans fin - Repartir à zéro

Presque toujours, avec l'âge vient la nostalgie. Rares sont ceux qui en sont exemptés. Et plus rares encore ceux qui n'ont ni remords ni regrets de leur vie passée.

Qui n'a jamais refait l'histoire dans sa tête? Qui ne s'est jamais dit si j'avais fait ça, alors il se serait passé ci, ou il ne se serait pas passé ça?

Si j'avais été plus raisonnable l'accident n'aurait pas eu lieu, si je m'étais occupé de moi quand il était encore temps, je n'aurais pas tel ou tel souci de santé maintenant, s'il avait été consulter plus tôt, le cancer ne l'aurait pas emporté, si on était partis tant qu'il était encore temps, on n'aurait pas tout perdu...

Ces exemples sont graves, mais c'est valable aussi pour des choses plus terre-à-terre, des occasions où l'on a perdu la face, des petites lâchetés qui vous rongent a posteriori, des mots blessants qui sont partis un peu vite, une occasion que l'on n'a pas saisie.

Même si c'est stérile, on s'imagine ce qu'on ferait si une deuxième chance nous était donnée, si on repassait par les mêmes moments mais avec la maturité et l'expérience, en connaissant déjà la suite.

C'est ce que raconte Jirō Taniguchi dans le manga Quartier lointain.

Son héros est un père de famille japonais, un quinquagénaire un peu aigri qui s'est éloigné des siens, dévoré par le travail et qui a tendance à picoler un peu trop.

Un soir de beuverie, il se trompe de train et sans savoir comment, atterrit dans le village de son enfance, se rend dans son cimetière et s'y écroule.

Quand il se réveille, à sa grande stupeur il se retrouve dans la peau de ses quatorze ans. Et aussi dans le monde de cette époque-là.

Sans comprendre ce qui lui arrive, il va alors pouvoir revivre cette période de sa jeunesse avec son œil d'adulte.

Il s'émerveille des capacités d'un corps encore plein de vigueur et de promesses, il est heureux des possibilités d'apprentissage que lui offre l'école, du temps qu'il a, de la présence de sa famille, bref de toutes ses choses dont son "lui" de cinquante ans a conscience de la finitude et du caractère éphémère, à l'opposé de l'ado à l'insouciance éparpillée de sa vraie jeunesse.

Il va aussi essayer de comprendre et d'arrêter ce qui fut le drame de sa vie: la fuite inexpliquée de son père.

Ce livre très beau et très touchant met le doigt là où il faut, et on se prend à rêver de vivre la même chose.

Dans le film Un jour sans fin, le cinéaste Harold Ramis imagine quant à lui un temps qui s'arrête et boucle à l'infini sur la même journée.

Le héros, un journaliste prétentieux et aigri, est envoyé par sa chaîne de télé dans une petite ville qu'il méprise pour y faire un reportage sur le jour de la marmotte, tradition nord-américaine du 2 février qui coïncide avec notre Chandeleur.

Après une nuit à l’hôtel, il expédie cette tâche de mauvaise grâce, horripilant ses deux collègues et ne pensant qu'à repartir. Mais manque de chance pour lui, un blizzard se lève et l'oblige à rester sur place pour au moins une nuit supplémentaire.

Lorsqu'il se lève le lendemain, il réalise avec incrédulité et effarement que c'est encore le 2 février, qu'il doit encore faire son reportage et que personne à part lui ne se rend compte de rien.

Le surlendemain c'est pareil. Le jour d'après aussi, et ainsi de suite.

Tous les jours, le réveil sonne à la même heure, tous les jours un homme jovial à lunettes lui pose la même question dans l'escalier, tous les jours il tombe sur un ami qu'il a perdu depuis vingt ans, tous les jours il va couvrir la fête de la marmotte...

Devant la persistance de cet inexplicable bug temporel, il va passer par plusieurs phases.

Dans un premier temps il décide d'en profiter pour faire ce dont il a envie sans souci des conséquences, se comportant de façon odieuse, conduisant n'importe comment, etc.

Il va aussi essayer de séduire sa collègue en la faisant se dévoiler un peu plus chaque jour et en utilisant ce qu'il aura appris le lendemain puisque pour elle c'est chaque jour la première fois.

Au bout d'un certain temps, cependant, il craque, ne supporte plus la situation et tente de se suicider de diverses façons.

En vain: quelle qu'ait été sa mort, tous les matins à 6h, le même titre de Sonny and Cher lui confirme que tout va recommencer.

Dans un troisième temps, il va décider de changer d'attitude en étant positif, essayant d'aider les gens dont il sait qu'ils auront des problèmes, commençant chaque jour le piano jusqu'à devenir un vrai musicien, apprenant le Français, etc, etc.

Il finira ainsi par fignoler cet éternel 2 février jusqu'à arriver à une journée parfaite.

Suite à quoi il se réveillera le 3 février, enfin libéré du sort (sans qu'on ait une explication sur le blocage d'ailleurs).

Comme celle de Taniguchi, cette histoire, qui est aussi une classique comédie de rédemption, parle de cette fantasmatique deuxième chance, de l'envie de reprendre une partie de sa vie en étant le seul à s'en rendre compte, ce rêve qu'on ressent tous plus ou moins un jour.

Malheureusement (ou pas) dans le monde réel, le temps passé l'est irrémédiablement et le redémarrage à zéro est impossible.

On peut avoir l'illusion de recommencer, mais on n'est jamais le même, et ce ne sont jamais les mêmes circonstances que la première fois.

No reset.

Lien:
- un article sur des œuvres artistiques inspirées par le passage du temps


Précédents:
- Cinéma (11): Lacombe Lucien
- Livres (15): Le marché aux illusions

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