vendredi 25 mars 2016

Cinéma (13) / Musique (12) : Control et Joy Division - Rock, idoles et martyres

Je viens de voir le film Control, qui raconte l'histoire de Ian Curtis, chanteur de l'éphémère mais marquant groupe britannique Joy Division.

Le film, adapté du livre écrit par sa propre veuve, montre le lent cheminement de cet homme torturé vers son suicide final.

L'action commence dans l'une des nombreuses cités ouvrières du nord de l'Angleterre, qui à l'époque étaient comme les nôtres peuplées d'autochtones.

C'est dans ce milieu populaire et traditionnel en train de basculer dans une crise profonde que Curtis grandit.

Dans ce coin d'Angleterre, il zone, écrit, rencontre une fille qu'il épouse très jeune (encore aujourd'hui les Britanniques restent les champions européens de la nuptialité et de la maternité précoces) et avec qui il s'installe, tout en travaillant dans l'équivalent local de l'ANPE.

Au même moment, il entre dans un groupe, nommé Warsaw puis Joy Division (du nom des bordels dans les camps de concentration nazis).

Il en devient le chanteur, apportant ses textes complexes, sensibles et torturés (un ami anglais à qui je l'avais fait découvrir me disait que c'était particulièrement déprimant) et sa voix étrange, grave et râpeuse, un peu robotique.

Bien vite, le succès est au rendez-vous, et alors qu'il vient juste d'avoir un enfant et que les finances ont du mal à suivre, il se retrouve à donner de plus en plus de concerts loin de chez lui.

Au cours de ses déplacements, qui le font culpabiliser, il rencontre une jeune journaliste belge, avec qui il entame une idylle, son cœur oscillant entre cette femme et son foyer anglais.

Incapable de choisir, happé par un succès qui le met sous pression, déprimé par la découverte de son épilepsie et ravagé par les médicaments que cette maladie l'oblige à prendre, il s'enfonce peu à peu dans une grave dépression.

C'est par la pendaison qu'il parviendra à y échapper, interrompant une carrière prometteuse à l'âge de vingt-trois ans seulement.

Les survivants fondèrent le groupe New Order et connurent un honnête succès, mais c'est par Joy Division et sa carrière météorique qu'ils rentrèrent dans la légende.

Leur musique, au son dur et froid, parfois difficile, l'ambiance qu'elle irradie et son côté novateur en firent en effet rapidement une référence pour nombre de groupes, dont certains reprirent leurs hits.

Toutefois, s'il est vrai que leurs titres possèdent une étrange magie (et une parenté avec les premières œuvres de Cure), je me demande si le mythe associé à ce groupe n'est pas une fois de plus lié au tragique et prématuré décès de son leader.

La musique, et le rock en particulier, aiment en effet les martyres.

C'est sans doute dû au fait que le public est surtout adolescent, et qu'à cette période si spéciale on est particulièrement réceptif à l'absolu, à la pureté, on se cherche des modèles hors de son cercle d'origine.

A notre époque moderne et connectée, ce sont les stars qui remplissent souvent ce rôle.

Les jeunes aiment à se projeter sur elles, à fantasmer leur perfection, à s'en sentir proches, à penser qu'elles et elles seules expriment ce qu'ils ressentent, à se trouver une parenté avec elles.

Je ne suis pas sûr que cela ait existé avant, quand la vie était plus dure et collective, qu'on se contentait de Dieu comme absolu lorsqu'on en avait besoin.

Mais aujourd'hui c'est tel ou tel artiste qu'on va suivre avec fascination et empathie, quand cela ne tourne pas à l'obsession, au fanatisme (le mot "fan" vient de la même racine) ou à l’idolâtrie.

Et l'idole devient plus séduisante encore si elle meurt au sommet, la tragédie la propulsant directement sur l'Olympe.

Cette mort permet en effet à l'artiste d'échapper aux inévitables mesquineries et compromissions que l'âge entraîne, car tous on se fane et on se répète.

Elle constitue une mise en application de ce désir de ne pas vieillir, car vieillir c'est se corrompre et être déçu, comme le chante chaque nouvelle génération (pensons au "Hope I die before I get old" des Who ou au "No future" des Sex Pistols, aujourd'hui vieux, primés et repus).

Les décès de tous ces artistes, souhaités ou accidentels, en font donc des martyres du rock, des saints, des icônes qu'on peut admirer sans arrière-pensée. Ils partent encore purs, et l'on peut continuer à projeter sur eux tous nos rêves d'absolu.

Ian Curtis a donc fait partie de ces icônes, aux côtés de Jim Morrison, Jimi Hendrix ou encore plus de Kurt Cobain, dont l'histoire ressemble beaucoup à la sienne, et dont le coup de fusil mit fin à la contradiction insupportable entre son statut de star et ses idées.

Du coup est-ce que finalement on aime ces gens pour leur oeuvre ou pour leur histoire personnelle? Ne les aime-t-on pas parfois juste parce qu'on veut les aimer, parce que le mythe est plus fort que les chansons?

Pour en revenir à Control, c'est un film très touchant, même si la fin aurait gagné à être raccourcie, et c'est aussi un intéressant flashback sur l'Angleterre avant qu'elle ne bascule dans l'ère Thatcher.

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