mardi 9 mars 2010

Le paysan dans l'imaginaire

En cherchant des vidéos de banjo sur dailymotion, je suis tombé l'autre jour sur une scène mythique du film Deliverance, où l'un des héros fait un duel banjo/guitare avec un gamin des fins fonds de la campagne américaine.

Cette scène était assez marquante pour plusieurs raisons.

Bien sûr il y avait la virtuosité du gamin qui reprenait à l'oreille sur son banjo ce que le héros du film jouait sur sa guitare, et le côté sympa de la rencontre. Mais à bien y regarder, il régnait dès le début un climat assez inquiétant sur la place de ce village, climat inspiré par l'aspect des habitants.

Ceux-ci, habillés de façon très fruste, voire avec une certaine vulgarité, le regard fixe et dur, l'air presque débile, représentaient l'image du "redneck", de l'inquiétant plouc borné de la campagne profonde. La suite du film (je ne l'ai pas encore vu), qui dégénère en un horrible affrontement entre ces villageois et les héros, viendra confirmer de manière cruelle cette impression.

Cela m'a donné l'idée de faire un post sur l'image du paysan que l'on a en Occident et en France, des valeurs qu'il représente dans l'inconscient collectif, au niveau politique, artistique et à travers le temps, ce sujet me touchant tout particulièrement puisque j'ai moi-même grandi en milieu rural.

1. Les paysans, racines d'un peuple

Un peuple voit tout d'abord les paysans comme ses racines. S'ils remontent leur généalogie, la plupart des gens tombent en effet assez rapidement sur des paysans, sur des dynasties de paysans restés dans une même région depuis des temps qu'on imagine immémoriaux.

Un peu au même titre qu'une faune, une flore ou des monuments, les paysans et leurs productions sont vues comme l'âme même d'une région, âme à laquelle les gens restent très attachés.

Le salon de l'agriculture, où se bousculent chaque année des milliers de visiteurs, est un bel exemple de cet attachement aux terroirs, de cette vision des racines rurales, vision idéalisée bien sûr, le monde paysan étant évidemment aussi complexe et traversé de mouvements que le reste de la population.

Ces racines sont de plus supposées contenir une certaine "vérité", une forme de pureté par opposition à la corruption des villes et du monde moderne.

Cette rhétorique est d'ailleurs partagée par des gens a priori très différents, voire opposés. Ainsi, on la retrouve chez les mouvements alternatifs gauchisants, tels les hippies retournant à la terre et tentant fiévreusement de sauvegarder un folklore authentique et précieux, comme chez l'extrême droite conservatrice. On se souvient du mot de Pétain "La terre, elle, ne ment pas".

Cette idée de racines paysannes a été également toujours intégrée aux projets de colonisation, l'idée étant que pour s'approprier durablement un pays, s'y rendre légitime, il fallait y faire naitre une paysannerie transplantée.

Ainsi chaque étape de la conquête de l'Ouest américaine se soldait par de nouvelles terres confisquées aux Indiens puis découpées en lots attribuées à des colons censés s'y enraciner.

Ainsi le sionisme a-t-il commencé par les kibboutz, unités agricoles autosuffisantes d'où devait sortir le nouvel homme israélien, ce paysan hébraophone aux mains calleuses qui connaitrait chaque pierre de son nouveau pays et renverrait le Juif cosmopolite aux oubliettes de l'histoire. Qu'on se souvienne de Ben Gourion, de son ranch et de son mépris pour la colonisation urbaine.

2. Les paysans, des conservateurs

L'autre valeur accolée à la paysannerie, c'est le conservatisme. Le paysan est vu comme naturellement favorable à l'ordre établi, à la religion, aux notables. On le dépeint comme forcément de droite ou dépolitisé, ce qui peut d'ailleurs être vu de manière positive ou négative selon la lecture qu'on en fait.

Il a été dit que les victoires de Napoléon étaient dues aux pieds de ses soldats, paysans endurcis, et que c'est le souvenir qu'il leur a laissé qui a permis à son neveu d'être élu président de la République (avant de s'instaurer empereur). Pétain, encore lui, comptait également sur les vertus de la terre éternelle pour régénérer le pays.

Plus près de nous et dans un autre registre, les candidats considérés comme idéaux pour donner des soldats et des policiers, quel que soit le régime, étaient des paysans, supposés moins perméables à la politique et moins remuants que les ouvriers. Pour les mêmes raisons, la main d’œuvre immigrée des Trente Glorieuses était plus volontiers recrutée en milieu rural.

A contrario, les républicains et les révolutionnaires se sont toujours méfiés de la paysannerie, quand ils ne lui ont pas été hostiles. Qu'on se souvienne de la guerre de Vendée pour la Révolution Française ou de la chasse aux koulaks de Lénine.

En fait, toute idéologie ou régime désireux de s'imposer a dû régler la "question paysanne". Il n'est pas innocent de noter que l'agriculture dans les pays communistes ait été un véritable fiasco, dévastée par une collectivisation rageuse et bien décidée à détruire l'ordre ancien, quand elle n'était pas sacrifiée par le pouvoir central.

Si l'on regarde la Chine d'aujourd'hui, par exemple, on voit que le statut de "paysan" attache une personne à un lieu bien défini. S'il décide de travailler en ville, il devient un migrant intérieur, véritable clandestin dans son propre pays et susceptible d'être renvoyé à n'importe quel moment. Il n'a pas non plus de retraite.

De manière plus "soft", un des grands défis de notre république a été de se concilier les campagnes, campagnes glorifiées dans les salons de l’Hôtel de ville parisien mais craintes et surveillées. Car le dernier point est là, c'est que longtemps la campagne a fait peur.

3. Les paysans, dangereuse masse silencieuse

En fait, les paysans sont également vus comme une force sourde qu'il faut apprivoiser, qu'il faut savoir utiliser mais qu'il faut craindre aussi. A côté de l'image des racines et du terroir existe une autre image, plus effrayante, celle de l'homme portant en lui une sorte de barbarie venue du fond des âges, un côté primitif qui explose parfois et dont il faut se défier.

C'est l'image du sauvage, du "redneck" raciste, brutal, violent, dangereux, l'homme du passé qui va tuer un ours sans remord, qui refuse le progrès, dont les moeurs restent barbares.

On trouve beaucoup d’œuvres parlant de cet aspect. Au film américain Délivrance qui m'a inspiré ce post peut correspondre le film français Canicule, qui voit un truand américain réfugié dans une ferme de la Beauce être dépassé en cruauté par ses hôtes, paysans aussi tarés que dangereux.

Le livre La Terre d'Emile Zola donne lui aussi une image dantesque de la population rurale, dépeinte comme avide, parricide, incestueuse...

On peut aussi noter que Stevenson, lorsqu'il entame son voyage dans les Cévennes, n'oublie pas d'emmener un revolver.

4. Un portrait plus nuancé

Alors, le paysan est-il ce sage folklorisé ou ce dangereux beauf primitif? Je pense qu'au-delà des fantasmes, il faut rappeler certaines réalités.

La première c'est que la vie paysanne a longtemps été extrêmement dure, tributaire de la météo, gourmande en travail. Du fait de son lien à la géographie, le paysan était de plus une proie facile pour les pillards ou pour des gouvernements divers, toujours prêts à le taxer ou à le réquisitionner.

Tous ces facteurs ont développé certains traits que malgré les bouleversements profonds des dernières générations on peut encore retrouver aujourd'hui.

Tout d'abord, il reste une certaine méfiance envers l'étranger. Que cet étranger soit de la même couleur ou non importe finalement assez peu, puisque étranger désignera celui qui n'est pas du coin.

Ensuite il y a la permanence d'un rapport plus dur à la nature, vestige du temps où elle était l'implacable ennemie, l'environnement dont la domestication était vitale pour la survie.

Ainsi un chien reste un animal, dormant dans la niche et devant obéissance.

Ainsi la distinction animaux utiles-animaux nuisibles garde son sens, et réintroduire loups, serpents, ours ou chevreuils après avoir réussi à s'en débarrasser n'a pas grand sens.

Et ainsi la préservation des paysages n'a aucun intérêt si couper les arbres permet de travailler plus efficacement.

Toujours dans cet ordre d'idée, le rapport à la matière organique, au sang, à la saleté, à la mort, est moins aseptisé que dans le reste de la société.

Il reste aussi des réflexes d'économie: on utilise les draps récupérés de la grand-mère, on recycle les vieux bidons en abreuvoirs, on retape la grange avec une porte récupérée, etc. Tout ce qui peut encore servir est conservé. On constate au passage que cette attitude, qui passait encore récemment pour de la pingrerie, connait un certain regain de respect avec la vague écolo.

Enfin, les paysans, qui sont des gens assez durs, gardent une certaine fierté, une répugnance à quémander, à se plaindre. Beaucoup de gens n'ont aucune idée de ce qu'est la misère rurale aujourd'hui. Pourtant elle existe bel et bien, avec de nombreux cas tragiques, notamment pour les personnes âgées (les retraites agricoles sont parmi les plus basses de France).

Bref, le paysan, espèce en voie de disparition/folklorisation, n'est pas grand-chose de tout ce à quoi on le réduit trop souvent.

vendredi 5 mars 2010

Le grand déracinement

Dans ce post, je vais parler d'une tendance lourde de nos sociétés. J'appelle ça le grand déracinement, ou encore le nomadisme subi.

Jadis, la grande majorité des gens sur la planète naissaient, vivaient et mourraient au même endroit, que ce soit une ville ou un village. Ils s'y mariaient, y avaient une vaste parentèle, des liens de sang avec une grande partie de leurs voisins, des sobriquets qui se transmettaient de génération en génération, des métiers qui se transmettaient également, des réputations familiales, etc.

Un fils grandissait dans un monde (technologies et régime ou gouvernement mis à part) assez peu différent de celui de son père, ou du moins en continuité avec le sien. Les seuls grands déplacements que connaissaient les gens, les hommes pour être plus précis, étant le service militaire et bien souvent la guerre. Ou alors ils étaient motivés par des catastrophes (famine, invasion, maladie) et touchaient toute la famille.

Cependant, les "temps nouveaux", l'industrialisation, la normalisation, la concurrence à l'international, les nouvelles mœurs (individualisme), la vie plus éloignée de la survie, plus facile en ville (ou crue telle, ce qui revient au même), l'extraordinaire accélération des changements technologiques, tout cela a entrainé un exode rural de plus en plus marqué et déstructurant pour les communautés rurales, puis, plus récemment, ce qu'on pourrait appeler des "exodes interurbains" et internationaux.

Même si ce post parle de l'occident, et plus spécialement de l'Europe et de la France, il faut noter que le mouvement que je décris est en fait mondial, ainsi que le souligne la statistique qui dit qu'en 2007 la population terrestre urbaine a dépassé la population terrestre rurale (en France c'était dans les années 20, en Angleterre au XIXième siècle).

Le premier exode fut donc rural. Lié à l'industrialisation et au boom démographique qui surchargeait les campagnes, il a entrainé dans un premier temps une transplantation du village dans la ville, avec reconstitution de communautés dans les quartiers, que ces communautés soient villageoises, nationales, ethniques ou religieuses.

Dans ces lieux, certes plus ouverts que le monde villageois, notamment parce qu'on y accueillait toujours de nouveaux arrivants, se sont quand même recréées des "communautés humaines" stables, avec ce que ça implique de contrôle mutuel, de solidarité, de liens de voisinage, d'amitiés d'enfance, de rivalités, etc.

Ce ré-enracinement était du à la nature du travail qu'on trouvait dans ces villes, travail presque toujours lié de manière contraignante à un lieu géographique: la mine, le port ou l'usine remplaçaient les terres agricoles ou les exploitations. Cette nouvelle configuration a commencé à craquer à son tour avec la fin du vingtième siècle.

Ce moment correspond à ce que j'appellerais la "tertiairisation" du monde du travail, qui a détaché le travail d'un lieu géographique donné pour le rendre plus nomade.

En effet, alors que des terres agricoles ne bougent pas, alors qu'un port ne peut se déplacer, qu'une usine ou une mine est construite pour une durée assez longue, une agence de publicité, un éditeur informatique ou un cabinet de comptables n'est pas tributaire d'un lieu particulier, le seul lien à la géographie étant l'emplacement de sa clientèle.

Or l'extraordinaire boom technologique du vingtième siècle a pour ainsi dire supprimé la distance en une série de révolutions.

La première révolution fut celle des transports, avec un monde qui s'est peu à peu couvert de trains, puis de routes et de lignes aériennes sans cesse plus nombreuses, plus sures et plus rapides, simplifiant considérablement les déplacements.

La deuxième révolution fut celle des moyens de communications. Elle commença par la mise en place des postes d’État, se poursuivit avec le télégraphe, puis le téléphone, et enfin les connexions internet d'aujourd'hui.

La dernière révolution, moins évidente, a commencé il y a déjà très longtemps et elle est loin d'être terminée: c'est celle de la normalisation.

En effet, s'il nous parait aujourd'hui évident d'utiliser le système métrique, un sens unique de circulation ou la langue française, il faut bien se rappeler que cet état de fait est le résultat d'une longue volonté politique de convergence. D'ailleurs, il n'y a qu'à penser à l'euro, à l'anglais, aux organismes internationaux ou aux transferts bancaires pour voir que cette dynamique est toujours d'actualité.

Ces trois révolutions technologiques et le changement de la nature du travail ont fait que désormais il est toujours possible de comparer à l'échelle mondiale pour trouver le moindre coût pour un produit ou un service, et qu'il n'y a plus de barrage réel pour inciter à la consommation "locale". Et cela implique que les différentes régions sont mises en concurrence quasiment en temps réel, et que le travail devient nomade.

Or sur tout le globe, c'est le travail qui est la première condition de l'existence humaine. Ces mouvements de l'activité impliquent donc le "nomadisme subi" dont j'ai parlé, avec des gens qui doivent partir pour pouvoir subvenir à leurs besoins, alors même que dans la plupart des cas ils ne le souhaitent pas.

Ces mouvements de déplacement en fonction du travail existent depuis longtemps (il n'y a qu'à regarder l'histoire ouvrière de France pour s'en rappeler), mais ils se limitaient jadis à un exode ponctuel entre deux lieux, fût-il international. On partait vers un endroit choisi, et on y restait, ou on alternait les séjours dans l'un et l'autre lieu.

La nouvelle donne est différente. En effet, désormais quand on vient sur un bassin d'emploi, on sait que celui-ci a toutes les chances de partir dans un délai relativement court, et donc qu'on devra peut-être le quitter.

Cette accélération des mouvements a beaucoup de conséquences sur la façon de vivre, les mentalités des gens et la société.

Le premier impact que je vois porte sur la famille.

Tout d'abord, il devient de plus en plus rare d'avoir une importante parentèle ou même simplement de la famille là où l'on vit, surtout lorsqu'on est issu d'un milieu rural ou d'une région en déclin où il est impossible de travailler. Cela entraine une édulcoration du lien entre grand-parents et enfant dont on ne mesure pas encore très bien les conséquences.

Parfois, il arrive aussi qu'un des conjoints doive travailler loin et ne rentre que le week-end, voire après des absences encore plus longues, ce qui n'est pas sans effet sur la famille. Enfin, quand il y a divorce et que l'un des conjoints suit un travail dans une autre ville, l'enfant ne connait plus vraiment le conjoint parti.

Le deuxième impact, c'est l'implication des gens dans leur quartier.

Désormais on travaille souvent loin de sa maison, on fait ses courses dans des centres de consommation dédiés, qui sont généralement éloignés de la résidence (centres commerciaux accessibles seulement en voiture), pour préserver des liens familiaux ou amicaux on part le week-end.

Tout cela fait que la résidence a tendance à se réduire à un simple dortoir, et que bien souvent on ne connait toujours pas ses voisins après des années de cohabitation.

Cela réduit également l'investissement personnel dans son environnement, qu'on le veuille ou non. Le temps de présence est réduit, mais il y a également nombre de gens qui ne vivent que dans l'attente (souvent illusoire) du "retour". C'est vrai pour les immigrés de l'intérieur comme pour les étrangers.

Le troisième impact concerne le rapport au travail lui-même.

Le lien des gens avec leur employeur a en effet changé. La période de l'emploi à vie est révolue, et de plus en plus, un emploi a désormais une durée limitée. Et je ne parle pas seulement de la multiplication des contrats courts, type CDD ou Intérim, les CDI également sont dans le lot.

Les entreprises bougent au gré des fusions et rachats, et les statuts et postes des salariés avec, et bien souvent on préfère partir de soi-même tant que l'on est "vendable" et avant d'être sorti du système. En fait, cette configuration fait de chacun un mercenaire potentiel, et entraine une baisse de l'implication que l'on peut avoir dans son travail.

Cela a pour conséquence une baisse de la culture d'entreprise, un détachement plus grand vis-à-vis des collègues, et un délaissement de l'action syndicale.

Ma conclusion est que cette nouvelle donne du travail pousse peu à peu les gens vers une forme de nomadisme subi, ce qui pose des questions importantes sur la société.

En effet, l'apparition de l'individu, sa reconnaissance et sa valorisation est un héritage essentiel de l'occident, et son avènement s'est peu à peu accompagné de la disparition des formes de vie communautaire.

Mais ce nouveau nomadisme affaiblit l'individu, obligé de sans cesse apprivoiser de nouveaux environnements, et privé des garde-fous et des aides que constituaient la communauté, la famille élargie, la paroisse, le clan. Ces garde-fous ont été un temps remplacés par l'état social, mais lui-même est en perte de vitesse. Un nouvel équilibre est donc à trouver.

Il n'est pas idiot de lier les questions médiatisées de l'insécurité et de la précarité à ce déracinement généralisé.

D'ailleurs, dans des sociétés plus traditionnelles, dont certains aspects nous horrifient (à juste titre) mais où le lien social est resté plus fort, les gens en marge de la société (que ce soit des délinquants durs ou des clochards) sont moins nombreux.

Quoi qu'il en soit, qu'on le déplore ou qu'on en ait un jugement plus nuancé, ce néo-nomadisme est devenu une réalité devant laquelle nos sociétés doivent s'adapter.

dimanche 28 février 2010

Frontières (5): Les peuples des zones frontières (5) - Europe: les cosaques

Le terme de "cosaque", qui dans l'imaginaire européen évoque immédiatement l'image de cavaliers aussi redoutables qu'expansifs, renvoie à une réalité complexe, dans une région qui ne l'était pas moins: la grande steppe qui commence à l'est de l'Europe pour courir quasiment jusqu'à l'océan pacifique.

Ce véritable couloir, aussi vaste qu'hostile, était le lieu de rencontre fluctuant de deux populations: les proto-slaves puis les slaves, et les peuples turco-mongols, dont les vagues successives déferlèrent vers l'Europe, fondant des empires plus ou moins durables. Le dernier de ces empires était le khanat de la Horde d'Or, l'un des états issus du démembrement de l'empire gengiskhanide, qui se morcela lui-même de plus en plus.

Entre les états turco-mongols (dont les habitants étaient dits "tatars") et les états européens la frontière était mouvante, poreuse et sous-peuplée. C'est dans ce contexte qu'apparurent les cosaques.

On distingue deux groupes historiques de Cosaques, les uns en Ukraine, les autres en Russie.

Pour certains historiens, les cosaques furent des turco-mongols renégats, christianisés et slavisés. Pour d'autres, ils furents des slaves au mode de vie proche de leurs voisins turco-mongols. La vérité est sans doute à situer entre ces deux définitions.

Les cosaques étaient donc des communautés paysannes, libres et militarisées, de religion orthodoxe (même s'il semble qu'on en ait croisé des musulmanes, voire des juives), au mode de vie nomade et guerrier, qui partageaient une grande partie de leurs coutumes avec celles des civilisations turco-mongoles de la steppe.

Même si l'élément slave prédominait, le côté ethnique n'était pas primordial (c'est une caractéristique que l'on retrouve d'ailleurs chez les peuples turco-mongols en général).

Ainsi, les communautés de cosaques assimilaient sans problème des éléments divers, aussi bien turco-mongols (petchenègues, coumans, tatars...) qu'européens au sens large (polonais, lituaniens, voire même des gens d'Europe occidentale), leur mode de vie tribal et libre (les chefs, les "hetmans" étaient élus) séduisant un certain nombre d'esprits aventureux fuyant le servage et la féodalité, ou encore des personnages en délicatesse avec la justice.

Les cosaques étaient d'audacieux guerriers, pillards et conquérants, combattant aussi bien dans la steppe que sur les fleuves, où ils étaient aussi redoutés que les vikings.

Les états européens utilisaient volontiers leur ardeur guerrière en les engageant comme troupes auxiliaires ou en tant que forces d'appoint pour sécuriser leurs marches orientales. Mais ils se défiaient de ces alliés indisciplinés et ont cherché à les domestiquer au fur et à mesure de leur consolidation.

Cosaques d'Ukraine

Ainsi, en Ukraine, le pouvoir chercha à les intégrer, en les recensant et en les transformant en une caste militaire nantie de privilèges particuliers. Selon qu'ils acceptèrent ou non cette intégration, les cosaques furent dits "enregistrés", ou "zaporogues".

Ce dernier mot désigne la communauté demeurée indépendante, qui vivait sur le fleuve Dniestr et dont la capitale, Sitch, se trouvait sur une île. Marins réputés (les cours d'eau étaient un moyen de communication essentiel dans la steppe), ils lançaient d'incessants raids en pays tatar, sur la mer noire et vers l'empire ottoman (certains les emmenèrent jusque dans les faubourgs de Constantinople).

Toutefois les relations entre les cosaques et le pouvoir polono-lituanien qui contrôlait alors l'Ukraine s'envenimèrent jusqu'à dégénérer en véritable guerre civile (d'où la rivalité religieuse entre un pouvoir catholique et des cosaques orthodoxe n'était pas absente). Cette guerre aboutit à la création d'un état cosaque, d'où étaient toutefois exclus les zaporogues, qui se rangea sous la suzeraineté des tsars de Russie.

Ce choix permit dans un premier temps aux cosaques de conserver leur autonomie, mais celle-ci fut peu à peu rongée par un état russe en pleine expansion, état qui finit par écraser l'état cosaque et le transformer en une province soumise à une intense russification.

La Russie conquit également le territoire des zaporogues, dont il détruisirent la capitale. Ce fut la fin de l'indépendance des cosaques d'Ukraine.

Cosaques de Russie

Le deuxième grand groupe de cosaques se situait en Russie méridionale, autour du Don, et son expansion entraîna l'apparition d'autres zones cosaques dans la région.

Comme leurs "cousins" ukrainiens, les cosaques du Don étaient des communautés guerrières à la grande autonomie, qui accueillaient volontiers dans ses rangs fuyards et paysans évadés.

A la fois jaloux de leurs indépendances et intéressés par les perspectives offertes par l'état des tsars, les cosaques eurent des relations ambiguës avec l'état russe.

D'un côté ils constituèrent des forces essentielles pour les armées tsaristes et furent le fer de lance de la colonisation russe (ce sont des cosaques qui conquirent la Sibérie avant de l'offrir au tsar).

De l'autre ils participèrent aux "temps des troubles" de la Russie, en jouant la carte de divers prétendants au trône et une de leurs révoltes faillit avoir raison de l'empire russe.

Peu à peu, les tsars finirent cependant par intégrer les cosaques à leur état, ceux-ci devenant une sorte d'ordre militaire bien identifié, redevable d'un très long service militaire en échange de privilèges et d'exemptions diverses.

L'avènement de l'URSS marqua le début de la fin pour les cosaques. Les bolcheviks les assimilèrent en effet aux classes dirigeantes et ils furent traités sans ménagement, au même titre que russes blancs et koulaks.

La seconde guerre mondiale leur accorda un sursis, puisque Staline, dans sa quête d'un élan patriotique décisif, recréa des régiments cosaques qui se distinguèrent au combat.

Toutefois, une partie d'entre eux ayant choisi de servir l'armée allemande (la Wermacht compta ainsi un corps de cavalerie cosaque), le sort des cosaques fut réglé en 1945. Les "traitres" furent exterminés, les régiments dissous et l'identité cosaque disparut officiellement, après plus de cinq siècles d'existence.

La chute du communisme entraina une sorte de renouveau cosaque. Leurs descendants, tant en Ukraine qu'en Russie, ont réclamé et parfois obtenu des droits spécifiques liés à leur histoire, leur culture est valorisée, des unités de cosaques ont été recréées dans l'armée russe...

Quelle que soit la portée réelle de cette réhabilitation, l'empreinte cosaque reste une composante essentielle de la culture et des mythes russes et ukrainiens.

Notons enfin la présence de descendants de cosaques dans certains pays d'Asie centrale (comme le Kazakhstan), qui demandent parfois à être considérés comme une minorité ethnique distincte des russes.

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Frontières (5): Les peuples des zones frontière (4) - Europe: Morisques et Marranes

Tout au long de sa tumultueuse histoire, le continent européen a connu de nombreux bouleversements, cataclysmes et mouvements de population, les derniers grands changements ayant eu lieu après la chute du communisme

Plusieurs fois au cours du temps sont ainsi apparues des zones frontière et des communautés qui leur furent liées. La série de posts à venir est un petit tour d'horizon de celles dont je connais l'existence.

Les deux premières populations que je vais évoquer sont nées en Espagne et au Portugal. 

Suite à la conquête des armées arabo-berbères, ces deux pays ont été durablement intégrés (surtout en ce qui concerne l'Espagne) à l'Oumma et à l'empire arabe.

Avec cette conquête s'installèrent en Al-Andalus, nom arabe de la région, des colons arabes et berbères musulmans mais aussi juifs.

D'importantes conversions à l'islam suivirent cette conquête, qu'elles soient motivées par une volonté de promotion sociale ou par croyance sincère.

Pour ceux qui ne se firent pas musulmans, le statut de dhimmi prévu par le Coran pour les religions cousines de l'islam (judaïsme et le christianisme), fut interprété de manière plus ou moins ouverte selon l'époque.

Ainsi, au cours de la très longue présence musulmane ibérique, alternèrent ostracisation voire persécutions et brillantes périodes de cohabitation. Ce n'était certes pas l'égalité, mais cette situation n'avait rien de comparable en Europe chrétienne, alors beaucoup plus monolithique et fermée.

1492 consacra la fin de la Reconquista, ce lent mouvement dit de reconquête de l'Espagne par des pouvoirs chrétiens. Cette année-là le dernier bastion musulman d'Espagne, l'émirat de Grenade, fut annexé, et toute la péninsule se trouva dirigée par des royaumes catholiques.

Ces rois se retrouvaient dans une situation inédite puisqu'ils héritaient de sujets juifs et musulmans. C'est le destin de ces deux communautés que je vais décrire ici.

- Les Marranes

La communauté juive d'Al-Andalus y était plutôt bien intégrée et avait offert aux pouvoirs musulmans de nombreuses personnalités brillantes dans le monde du commerce, de la culture ou des sciences (par exemple Maïmonide).

A contrario, au fur et à mesure que l'Espagne redevenait chrétienne, le sort des Juifs se dégradait: persécutions, marginalisation, lois anti-juives, pogromes, tentatives de conversion...

La pression se fit de plus en plus forte avec le développement de l'Inquisition et elle aboutit peu après la fin de la reconquête au décret de l'Alhambra qui donnait aux Juifs le choix entre la conversion ou l'exil (cet exil impliquant d'abandonner tous ses biens).

Un nombre important d'entre eux ne purent ou ne voulurent partir et se convertirent à un catholicisme de façade, tout en continuant à judaïser en cachette. C'est ces juifs faussement catholiques que l'on appelle "Marranes" (on disait également conversos, cristaos novos ou crypto-juifs).

L'église et l'état espagnols s'employèrent alors à traquer et à tuer ces faux chrétiens (le sinistre Torquemada acquérant à cette occasion ses lettres de noblesse), allant jusqu'à promulguer les fameuses lois de "pureté du sang" qui faisaient du judaïsme une tare héréditaire fermant à toute personne ayant des ancêtres non catholiques, l'accès à nombre de professions et de positions.

Forcé par l'Espagne, le Portugal, qui dans un premier temps avait accueilli un grand nombre de Juifs espagnols, adopta la même politique.

On peut noter que ces lois, ainsi que le décret d'expulsion des Juifs ne furent abrogées en Espagne qu'au 19ième siècle, et que la pleine égalité religieuse fut prononcée en 1967.

Cette politique anti-juive isola de plus en plus les Marranes du reste du monde juif, entraina un appauvrissement de leur version du judaïsme et l'apparition de pratiques nouvelles. Mais surtout, elle incita de plus en plus de Juifs à l'exil, où le destin des Marranes se confondit avec celui des Séfarades.

Les Juifs d'Espagne exilés fondèrent plusieurs communautés, gardant de fortes traces culturelles de leurs origines, comme ces dialectes judéo-espagnols qui se perpétuèrent dans le monde arabe et les Balkans jusqu'à notre époque. On peut encore en trouver quelques locuteurs, même si à l'instar du yiddish, la Shoah et l'affirmation de l'hébreu comme langue des juifs par excellence font de ces parlers des langues en voie de disparition.

La communauté la plus importante fut celle de l'empire ottoman, qui accueillit les Juifs avec bienveillance et su tirer bénéfice de leur pouvoir économique.

Ces nouveaux sujets du sultan suivirent l'expansion de l'empire et essaimèrent à nouveau. Ainsi Salonique (par ailleurs ville natale d’Atatürk) était peuplée majoritairement de Juifs jusqu'à la seconde guerre mondiale.

La seconde communauté la plus importante s'installa dans le monde arabe, plus précisément au Maghreb, Maroc en tête. Elle y perpétua, aux côtés des Morisques, la riche culture arabo-andalouse.

Enfin, la troisième grande communauté s'installa aux Pays-Bas, pays en plein essor économique et à la tolérance religieuse exemplaire (ils accueillirent aussi de nombreux huguenots français) à qui elle donna un de ses penseurs les plus illustres en la personne de Baruch Spinoza.

Marranes et Séfarades émigrèrent en moindre nombre dans de nombreux autres endroits: France, Angleterre, colonies américaines...le souvenir d'une Espagne mythifiée, de la clandestinité et des douleurs de l'expulsion constitue encore aujourd'hui une part identitaire très forte de l'identité juive séfarade.

- Les Morisques

Au fur et à mesure du long processus de ce ce qu'on appellerait "la Reconquista", le nouveau pouvoir espagnol récupérait des sujets musulmans, descendants de colons arabo-berbères ou d'Espagnols convertis qu'on appelait "Mudéjares" (qui vient d'un mot arabe signifiant "domestiqué").

Les élites mudéjares s'étant généralement exilées dans le reste du monde arabe avant la reconquête, la plupart de ces nouveaux administrés étaient des roturiers, marchands, cultivateurs, artisans. Selon la région, leur part dans la population était plus ou moins importante.

A cette diversité de situations correspondait une diversité de statuts et de traitements. Libres de pratiquer leur religion, ils vivaient généralement sous un régime qui faisait penser à une sorte de dhimma inversée.

Leurs coutumes étaient également plus ou moins proches du reste de la population selon la proportion qu'ils représentaient. Nombre d'entre eux avaient adopté la langue castillane, qu'ils écrivaient toutefois en caractères arabes (c'est l'aljamiado).

La prise de Grenade, dernier bastion musulman d'Espagne, changea la donne. Désormais toute la péninsule ibérique devenait catholique, et le nombre de Mudéjares explosa: ils étaient même majoritaires par endroit.

La disparition du "front" de la reconquête amena l'Espagne à se regarder différemment et à réfléchir à ce qu'elle souhaitait devenir. Et la présence de ces sujets musulmans posait un gros problème aux rois d'Espagne.

Indépendamment de la tache que leur existence faisait dans la nature catholique souhaitée pour le royaume, la présence de ces communautés musulmanes ravivait la crainte d'une "cinquième colonne", susceptible de déloyauté et capable de se révolter à n'importe quel moment.

Cette peur n'était d'ailleurs pas si fantasmatique, puisqu'on avait de nombreuses preuves de projets de (re)débarquements ourdis par les Maures d'Espagne exilés sur la côte nord africaine.

De plus, l'exemple des protestants, dont la révolte déchirait l'Europe rendait le scénario d'une tentative de reconquête encore plus crédible. D'ailleurs, l'Espagne allait justement perdre la moitié nord de son territoire des Pays-bas (qui regroupait alors les actuels Pays-Bas et la Belgique) suite à l'apparition d'un pouvoir protestant.

Dans un premier temps, on souhaita la simple conversion des musulmans, pour laquelle on mit en place une politique d'évangélisation pressante.

Cette politique, alliée à une pression fiscale accrue, entraina une série de révoltes des Mudejares de Grenade, qui furent violemment réprimées et aboutirent à l'obligation faite à toute la communauté de la couronne de Castille de se convertir au catholicisme ou de quitter le royaume.

En 1516, la même obligation fut faite à ceux du royaume de Navarre et à la suite d'un cycle de révoltes-répressions c'est l'ensemble des territoires espagnols qui fut concerné en 1525: tous les musulmans furent alors censés se convertir, sans désormais aucune zone où se réfugier sur la péninsule.

Les conversion entraînèrent toutefois, tout comme pour les Juifs, une suspicion persistante de la part des vieux-chrétiens (aujourd'hui on dirait chrétien de souche) vis-à-vis de ces convertis qu'on appela les "Morisques" et qu'on suspectait, souvent à juste titre, d'une fidélité cachée à l'islam.

La répression à leur égard se fit de plus en plus dure, on en vint à leur interdire leurs façons de manger, de s'habiller, de parler arabe, etc, tant et si bien qu'ils finirent par se révolter une première fois en 1568.

A la suite de cette révolte durement réprimée, la pression sur les Morisques, qu'on soupçonnait d'alliance avec les Turcs mais aussi avec les protestants du Béarn, se durcit, et se termina par un avis d'expulsion, prononcé en 1609.

Et dans les années qui suivirent l'ensemble des Morisques dut quitter l'Espagne.

Certains se réfugièrent dans le sud de la France, où ils s'assimilèrent, une partie rejoignit le Maroc (où il semble qu'on leur reprocha d'avoir renié Mahomet !) et le reste se dispersa dans le Maghreb et les territoires ottomans, où, aux côtés des Marranes, ils diffusèrent la riche culture arabo-andalouse.

Le départ des Morisques, très nombreux en Espagne, constitua un énorme manque à gagner pour le pays. En effet, ils y avaient un pouvoir économique non négligeable, ainsi que des savoir-faire (dans le domaine du cuir ou de l'horticulture par exemple) dont la disparition fut une perte cruelle pour le pays.

Certaines régions furent de plus vidées de leurs habitants, et bien des villages retournèrent au désert pour plusieurs siècles.

Les Arabo-musulmans et les Morisques ont cependant laissé sur l'Espagne une empreinte culturelle indélébile, que ce soit au niveau de la langue, de l'architecture ou encore de la musique, cette empreinte constituant une facette importante de l'identité espagnole.

Frontières (5): Les peuples des zones frontière (3) - Amériques noires

Dans ce post, j'aborde maintenant les rejetons issus de la traite négrière transatlantique.

Si ce triste épisode est plutôt bien connu, on a tendance à sous-estimer ou méconnaitre la résistance des Africains déportés à leur triste sort.

Il y eut des mutineries sur les bateaux, la prise de contrôle de l'un d'entre eux par les esclaves qui essayèrent de le rediriger vers l'Afrique est même un épisode connu.

Il y eut les mille et unes résistances passives des esclaves, qui allaient de la mauvaise volonté à travailler jusqu'à la grève du sexe, les suicides et les infanticides pour ne pas perpétuer la servitude

Il y eut enfin les révoltes et le marronnage. La plus connue de ces révoltes est celle de Toussaint Louverture, qui fit passer Haïti du statut de perle des Antilles françaises à celui de première république noire du globe, mais il y en eut beaucoup d'autres sur tout le continent, essentiellement en Amérique latine.

- les qilombos:

Là encore, il faut savoir que si l'histoire des esclaves des États-Unis reste la plus connue, ce pays fut pourtant globalement moins dur pour les esclaves que le monde caraïbe et sud-américain, véritable dévoreur de "bois d'ébène" où l'économie de plantation généralisée nécessitait l'importation constante de toujours plus d'esclaves.

Ainsi en fut-il du Brésil. Le Portugal fut historiquement le premier négrier européen (précédé depuis longtemps par les Arabes) et le dernier pays d'Europe à abolir l'esclavage, ce qui ne fut pas sans conséquence sur le peuplement de sa colonie phare.

Ainsi, le Brésil possède aujourd'hui la plus grande communauté noire hors d'Afrique, et sous l'impulsion de son président actuel, le charismatique Lula, qui est issu de la région historique du Nordeste, il commence à assumer son héritage africain, renforçant les liens avec les pays africains du monde lusophone (Angola, Guinée-Bissau, Sao Tomé et Principe, Mozambique et Cap Vert), dont il a ravi le leadership au Portugal.

Ainsi aussi pendant la période coloniale apparurent les qilombos, des zones rurales ou forestières contrôlées par les esclaves marrons, où ceux-ci recréèrent un monde semi-africain vivant en autarcie loin du pouvoir.


Certaines de ces zones spéciales existèrent pendant un siècle, et les Portugais durent leur livrer de véritables batailles rangées pour arriver à les réduire.

Aujourd'hui le Brésil, en pleine modernisation, recense les nombreuses communautés descendant de ces qilombos, qui vivent encore isolées et sur la défensive, pour tenter de les intégrer au pays au même titre que les quelques communautés indiennes du pays.

- les Saramakas, les Djukas et les Bonis:

Il existe au nord du continent sud-américain plusieurs petites régions appelées Guyanes. 


Toutes appartenaient à des puissances coloniales non ibériques venues sur le tard "prendre leur part" du continent, y contestant l'hégémonie ibérique.

Elles sont la Guyane Hollandaise, devenue à l'indépendance le Suriname, la Guyane britannique, devenue à l'indépendance le Guyana, et la Guyane française, qui est devenue un département de la métropole.

Dans ces régions au climat difficile la colonisation était plus dure qu'ailleurs: les Européens mourraient comme des mouches, et l'ex "France équinoxiale", par exemple, n'a jamais été contrôlée de façon aussi stricte que les Antilles, protégée par sa vastitude et sa forêt.

L'esclavage y était comme ailleurs de rigueur, mais là aussi le marronnage était florissant, l'immense forêt offrant même un asile bien plus sûr que les mornes limités des petites Antilles.

De nombreux marrons s'enfuirent dans la forêt et s'y organisèrent en communautés, s'adaptant tellement bien à leur milieu que certaines finirent par être considérées comme des autochtones. C'est le cas notamment des Djukas, des Bonis et des Saramakas.

Si ces trois peuples descendent essentiellement d'esclaves hollandais en fuite, les premiers vivent surtout au Suriname, les seconds en Guyane française et les troisièmes à cheval sur les deux pays, autour du fleuve Maroni.

Chacun d'entre eux a développé une culture originale, synthèse des héritages africains de leurs ancêtres adaptés à leur nouvel environnement, notamment par des emprunts aux cultures amérindiennes.


Ils ont également créé des créoles originaux, intégrant portugais, français et hollandais et ont su se faire reconnaitre par les pouvoirs en place.

Certains de ces peuples obtinrent des droits et une garantie de leur indépendance en échange d'une aide à la capture d'esclaves marrons. D'autres, comme les Bonis, fournissent aujourd'hui des guides à l'armée française de surveillance de la frontière.

- les Garifunas:

Les Garifunas ont une histoire encore plus singulière. Ce peuple est né dans les Antilles d'un mélange d'Amérindiens et d'Africains. Pour ces derniers, on parle d'esclaves marrons, mais aussi de survivants au naufrage d'un bateau négrier au large de l'île de Saint-Vincent.

Quelle que soit la véritable origine, les Garifunas sont issus d'un mélange afro-amérindien, où la part africaine est peu à peu devenue prépondérante, mais surtout d'un point de vue démographique et génétique, puisqu'ils gardèrent une culture dont la base est arawak, notamment pour leur langue.

Ces véritables "Indiens noirs" vécurent d'abord dans les îles de la Dominique et de Saint-Vincent, où ils furent longtemps laissés en paix à cause de la conformation géographique de ces îles: trop montagneuses, elles étaient en effet impropres à la mise en place des plantations esclavagistes que l'on peut rencontrer dans le reste des Antilles.

En conséquence, ils ne furent jamais réduits en esclavage et s'avérèrent, à l'instar des indiens Caraïbes, suffisamment belliqueux pour que le gouvernement anglais, lorsqu'il prit le contrôle de ces îles, décide de les déporter massivement sur la petite île de Roatan, au large du Honduras.

De là, ils essaimèrent dans différents pays d'Amérique centrale, où leurs descendants vivent encore aujourd'hui, aussi marginalisés que les autres communautés indigènes et aussi menacés dans leur identité que tous les peuples premiers peuvent l'être dans un pays pauvre.


Les prochains volets de cette étude auront trait à l'Europe, qui compte aussi ses descendants de peuples des zones frontière...

lundi 15 février 2010

Sport: l'important c'est de gagner...

Je n'ai pas un parcours sportif très brillant.

Tout d'abord, même si dans ma famille on valorisait l'effort physique, il devait être "utile", et on était assez anti-sport (de toute façon, dans mon coin de campagne, le choix d'activités n'était pas très grand).

Bref, si j'ai fait pas mal de vélo en solitaire et que j'apprécie l'exercice physique, je suis resté longtemps assez loin du sport, le souvenir que j'ai des cours d'EPS du collège est affreux et ce n'est qu'assez tard que j'ai commencé à vouloir en faire et à y prendre du plaisir.

Et cela d'autant plus que je suis un peu allergique à la compétition, que ce soit dans le domaine sportif ou un autre d'ailleurs. Ce qui fait que mon adage était bien sur la devise attribuée à Pierre de Coubertin (dont Wikipédia nous dit qu'il ne l'a jamais dite!): "L'important c'est de participer".

Ainsi, j'imaginais d'ailleurs naïvement que les "vrais" sportifs étaient de ce modèle-là, je croyais à ces histoires de fair-play, de beauté du geste, etc. En fait, c'était une grave erreur dont je me suis depuis rendu compte.

En effet, mes amis sportifs, mes professeurs, tous les sportifs impliqués et motivés que j'ai rencontrés en somme, jouaient bel et bien pour gagner. Et quels que soient par ailleurs leurs caractères, origines ou vies en dehors du sport, quand ils entraient sur le ring, le terrain ou ailleurs, ils se transformaient en tueurs dangereux tendus vers le seul but d'écraser l'adversaire et de vaincre.

En réalité, l'ambition régit le monde du sport comme elle régit le monde professionnel, et lors d'un match, d'un assaut, d'un combat, il n'y a plus d'amis ni d'ennemis, il n'y a que des rages de vaincre en train de s'affronter.

Aussi n'en déplaise à tous ceux qui voient dans le sport une noblesse d'âme particulière, un instant déconnecté de la compétition du monde, l'important n'est pas de participer, mais bien de gagner...

vendredi 12 février 2010

Fascinantes seventies, si proches et si lointaines...

Je suis né au milieu des années 70.

Je ne sais pas si c'est pour cela, mais je suis attaché à cette décennie que je trouve un peu particulière, que je vois comme une vraie charnière entre deux époques, une sorte d'apogée avant la gueule de bois des années 80.

Les années 70 sont encore extrêmement politisées, les utopies y sont toujours bien présentes, le cinéma et la littérature sont très riches et la soif de nouveauté toujours d'actualité, même si l'on sent les prémisses de ce qui va suivre.

On peut retrouver dans les années 70 des préoccupations communes avec notre époque, mais en même temps elles sont bel et bien révolues. Ce post va essayer de préciser ce qui me fascine et ce que je vois dans ces années.

La fin de la Seconde Guerre Mondiale voit l'Europe, ancien continent phare, ruinée, dévastée, détruite, reléguée à un rôle secondaire qu'elle ne quittera jamais plus, même si peu en ont alors conscience.

Deux super-puissances émergent à la place: les États-Unis et l'URSS, aux systèmes politiques et économiques concurrents, mais aux ambitions égales, l'une de ces ambitions étant la fin du colonialisme, pour des raisons bien plus pragmatiques et intéressées que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

Ce processus de décolonisation, dont on peut considérer qu'il est quasiment terminé mi-70 sera long et plus ou moins douloureux selon la puissance dominante.

Pour le Royaume-Uni on retient la difficile perte des Indes et le piteux retrait de Palestine.

Pour la France il y aura la dure guerre d'Indochine, financée en grande partie par l'allié américain, lequel finira par intervenir directement, et plus encore la guerre d'indépendance algérienne, longue et douloureuse.

Cette guerre fut triple puisqu'en plus d'opposer les Français et les Algériens elle verra s'affronter les Algériens entre eux et les Français entre eux, en une presque guerre civile.

Cette guerre fut aussi fondatrice puisqu'on lui doit le régime politique actuel et que le rapatriement d'un million de français d'Algérie à l'été 1962 a profondément marqué le pays.

La dernière puissance coloniale européenne à se retirer sur son territoire national, si l'on met à part les cas complexes d'Israël et de l'Afrique du sud, sera le Portugal, qui ne lâchera ses dernières possessions qu'en 1976, à la mort de Salazar et après d'interminables et stériles guerres impliquant un contingent massif.

De la fin de ce processus nait un nouvel acteur sur la scène mondiale: le Tiers Monde, qui désigne tous ces pays nouvellement libérés, et qui parait alors porteur de tous les possibles.

L'heure est en effet à l'optimisme, aux grands projets, aux utopies tels que le panarabisme, et beaucoup en Europe voient dans ce nouveau bloc l'avenir d'un monde dont ils se sentent coupables des inégalités.

En réalité, les anciennes puissances tutélaires sont toujours là, en un néo-colonialisme parfois plus hypocrite que le système colonial, ou bien sont remplacés par les Russes (parfois par Cubains interposés) et par les Américains.

Depuis 1945, ceux-ci sont en effet en train de se partager le monde.

C'est le cas en Europe, où la zone de rencontres des armées alliées et de l'armée rouge est devenue une frontière, le fameux "Rideau de fer" de Churchill, avec à l'est des pays tenus comme un véritable empire colonial et à l'ouest, de manière plus subtile, comme une dépendance culturelle, économique et politique (le plan Marshall en étant un efficace instrument).

C'est aussi le cas de manière plus brutale en Amérique latine, en Afrique et en Asie, où les puissances s'affrontent par guerres interposées, en Corée, à Cuba, au Vietnam, au Chili, etc.

Devant ce partage, certains pays cherchent une voie médiane, et c'est ainsi que naissent le mouvement des non alignés parmi les pays du Tiers Monde, et la CEE en Europe occidentale, mais en réalité chacun doit choisir un camp.

D'un point de vue économique, les années 70 marquent la fin d'une période de croissance soutenue, tant à l'est qu'à l'ouest, caractérisée par une assez forte inflation, une énergie bon marché, un extraordinaire boom technologique, le recul décisif du secteur primaire et la stagnation du secondaire au profit du tertiaire, et -mot magique aujourd'hui- le plein emploi.

Ce contexte béni des Trente Glorieuses aura profondément marqué les générations nées jusqu'à cette époque, génération très nombreuse (on parle de baby boom) optimiste, moderniste, créative.

Ce cycle prend fin à la moitié des années 70, le rythme commençant à s’essouffler et le moteur qu'on croyait éternel se grippant peu à peu.

Les baby boomers furent en tout cas la première génération à n'avoir pas connu la guerre (du moins sur son sol) et à avoir vu son niveau de vie augmenter de façon continue.

Ils ont également été au coeur d'un changement radical dans le mode de vie, avec l'apparition des grands ensembles ou des banlieues, la massification des études, le développement spectaculaire des infrastructures routières, la généralisation de la voiture individuelle avec l'indépendance qu'elle entraîne, le boom de l'électroménager.

Du point de vue des loisirs, le cinéma a commencé à être concurrencé par la télévision, la radio est devenue individuelle avec l'apparition du transistor, les tourne-disques ont permis d'écouter seul sa propre musique.

On n'est pas encore à l'ère des loisirs totalement individuels, qui prendront leur envol dans les décennies suivantes, avec la VHS, la cassette audio, le walkman, en attendant la révolution numérique, mais on en est au début.

Cette nouvelle génération a voulu que les changements qu'elle connaissait au niveau matériel aient leur pendant au niveau politique et social.

Ainsi de grands mouvements de contestation sont nés à la fin des années 60. A l'est on a réclamé la démocratie, à l'ouest on a réclamé un changement de société, plus de libertés, la fin du patriarcat et de l'autorité, qu'elle soit familiale, religieuse ou étatique.

On a commencé à s'inquiéter de l'écologie, on a lutté contre les discriminations raciales, on a voulu se racheter pour le colonialisme, le nazisme, Hiroshima, on a rêvé de socialisme, quand on n'a pas voulu revenir à un mode de vie supposé plus "authentique", en s'inspirant des ancêtres ou de sociétés moins développées.

Sont nés les beatniks, les hippies, et tous les dérivés du marxisme, trotskisme, titisme, léninisme, auto-gestion, j'en passe et des meilleurs.

Deux des apogées de ces mouvements furent l'été 67, le fameux "summer of love" aux États-Unis, et mai 1968 en France.

Les années 70 portent la marque de ces utopies, de cette politisation, de ce désir d'un futur nouveau, "libéré" selon le grand mot de l'époque.

L'heure est au déchaînement, à l'expérimentation tous azimuts, et la culture s'en ressent: nouveau roman, innovations cinématographique, boom d'un porno pas encore stigmatisé, appétit de drogues, sexualité débridée, voyages au bout du monde.

On dénonce, mais on reste optimiste, "l'intendance suivra" comme elle a toujours suivi depuis l'après-guerre. On proclame la fin de la domination occidentale, mais on en garde les réflexes, remplaçant un paternalisme par un autre, s'extasiant sur les cultures préservées sans en regarder autre chose que ce qu'on veut.

Tout cela ne touche bien sur que la minorité qui donne le "la" culturel, mais l'esprit de l'époque s'en ressent, l'espoir est dans l'air, il n'y a jamais eu autant de mobilisation, de croyance.

Cependant, les années 70 c'est aussi le début de la gueule de bois, le moment où l'on se rend compte que la fête des années 60 est en train de se terminer, que la réalité, dure et cruelle, est en train de rattraper le rêve.

A la douce euphorie de Woodstock succède le désastre d'Altamont.

Bien vite, on s'aperçoit que le succès du mouvement des droits civiques pour les noirs américains ne leur ont pas donné de meilleure situation économique.

Parallèlement, le choc pétrolier réduit les marges de l'état tout-puissant, et d'autres voix que les interventionnistes commencent à se faire entendre, de plus en plus fort, pour aboutir à la révolution libérale du couple Reagan-Thatcher.

Les mouvements de contestation se durcissent également: aux théoriciens de la grève générale et aux syndicats tenus par le PC succèdent des mouvements terroristes, plus durs, ne reculant pas devant l'assassinat.

Les réponses des états sont à l'avenant. On est encore au règne de l'intervention musclée, du contrôle plus ou moins marqué des médias, de l'impunité policière, des "barbouzes".

Les utopies tiers-mondistes s'écroulent également. Au colonialisme succède le néo-colonialisme, et des dictateurs encore plus sanglants que les puissances de tutelle, que celles-ci mettent en place, font et défont: Jean-Bedel Bokassa, Idi Amin Dada, etc.

Après le désastre de la Guerre des six jours et l'échec de ses partis panarabes et marxisants, le monde arabe se cherche et se tourne vers ses penseurs religieux, ses traditions, tentant d'oublier un quotidien qui se dégrade et n'est pas à la hauteur des promesses de l'indépendance.

C'est cependant en Iran que va entrer en scène un nouvel acteur qui n'a pas fini de faire parler de lui: en 1979 l'ayatollah Khomeiny crée le premier régime islamiste du monde, ouvrant une nouvelle page de l'histoire et lançant le retour du religieux, renouveau également porté par les protestants américains qui suivent Reagan.

De même, en Europe reviendront bientôt les idées d'extrême droite, que l'on croyait bannies à jamais avec la fin du nazisme.

Au niveau des mœurs, une nouvelle maladie sinistre ne va pas tarder à se faire connaitre, sonnant le glas de la liberté sexuelle, de cette période d'insouciance qu'on appelle "parenthèse enchantée", le SIDA.

Dans la musique, les accents utopistes font place à des mouvements plus durs, plus cyniques, voire franchement nihilistes. L'agressivité du punk est suivie par la dépressive new wave.

Bref, les années 80 arrivent.

Au final, que reste-t-il donc de ces années 70 ? Une impressionnante et inégale production culturelle, un ton immédiatement identifiable, le souvenir de théories et utopies qui font aujourd'hui sourire, mais dont on est un peu nostalgiques, un espoir un peu suranné, le début des grandes préoccupations d'aujourd'hui mais à un moment où elles semblaient un peu plus abstraites.

Années 70, si proches et si lointaines...