mardi 25 novembre 2025

Mondialisation, Westlessness et gueule de bois

J'ai déjà évoqué mes réflexions sur l'Europe et ce que cette idée représentait pour moi.

Aujourd'hui je vais étendre un peu mon périmètre et parler de l'ensemble dans lequel s’inscrit cette Europe et donc la France, c'est-à-dire l'Occident.

Cet Occident domine la planète depuis plusieurs siècles.

Jusqu'au début du 20e siècle, l'Europe en était le centre, puis ce centre a migré vers les États-Unis et d'une certaine manière vers l'URSS.

Débattre des causes de cette domination est complexe et controversé, mais les faits sont là : du jour où les puissances de la petite péninsule européenne se sont projetées vers le reste du monde, celui-ci en a été profondément et irrésistiblement modifié.

Par le commerce puis par la force, l’Europe a ainsi exporté ses populations, mais aussi ses idées, ses religions, ses normes, ses langues et ses modes de vie sur l'ensemble du globe, dans un rapport de plus en plus déséquilibré au cours du temps.

L'acmé en a été la deuxième période coloniale, où quelques pays s'étaient tout simplement partagé la planète, à quelques îlots miraculeusement préservés près.

Après deux ou trois générations, les dominés, empruntant le framework national des dominants, se sont légitimement réveillés pour récupérer leur souveraineté, avec plus ou moins de difficulté mais à peu près partout avec succès.

L'étape suivant la colonisation fut la guerre froide, qui limita ces souverainetés en remplaçant la domination directe par une division de l'ensemble du globe en deux camps, chacun dirigé par un pays issu de l'Europe, et chaque groupe se basant sur un système inventé par des Occidentaux.

Cette organisation disparut à son tour dans les années 90, l’influence occidentale se perpétuant via une mondialisation économique tout aussi puissante et structurante, un temps dominée très largement par les US.

Aujourd’hui l'héritage de ces siècles de domination directe ou indirecte de l'Occident est très présent.

La plupart des frontières modernes sont issues des conquêtes et des guerres menées par l'Europe (j'ai lu que la France était impliquée dans la définition de pas moins de 17% des frontières terrestres).

La première langue internationale, l'anglais, est celle d'un petit pays européen qui l'a imposée à quantité d'autres, le plus puissant d'entre eux s'en faisant ensuite à son tour le relais.

La majorité des autres langues internationales sont également européennes: espagnol, portugais, français et néerlandais sont ainsi les langues officielles de bon nombre de pays sur plusieurs continents.

La première religion du monde, le christianisme, s'est tout d'abord imposée en Europe avant que les puissances du continent ne l'exportent partout, et que son calendrier devienne le calendrier dit universel.

Le système métrique, la classification des éléments, les organismes internationaux, l'ONU, tout cela est issu de l'Europe, puis des États-Unis, donc de l'Occident.

La majorité des marques mondiales que chacun connait ont elles aussi été créées en Occident, de même que les choix technologiques structurants comme l’internet.

Dans l'histoire de la Terre, il y eut certes d'autres grands empires et d'autres religions conquérantes, mais il n'y eut pas d'équivalent à cette extraordinaire influence, profonde, longue et protéiforme.

Bien sûr, cette expansion occidentale rencontra des résistances et ses résultats sont différents selon les contextes.

La marque fut notamment moins profonde sur les civilisations anciennes et structurées, comme en Asie où langues, cultures et religions furent globalement préservées et surent s'adapter.

On pense à l'incroyable Japon, seule puissance non blanche à s'affirmer dans l’occidental dix-neuvième siècle, à la Turquie qui se réinventa pour ne pas être démantelée à la fin de l'empire ottoman ou à la Thaïlande qui sut négocier une position d'état tampon entre empires français et britanniques.

Le monde arabe, sans doute trop proche de ses conquérants, fut touché en profondeur mais préserva sa mémoire et sa religion principale, à défaut de sa langue trop morcelée.

L'Afrique subsaharienne fut en revanche profondément bousculée, les rouleaux compresseurs coloniaux plaquant des états modernes sur des régions dont les modes de fonctionnement étaient très différents. Ce double héritage, tout comme les découpages hasardeux faits par les envahisseurs, continuent de poser des problèmes complexes aux états de cette zone, qui peinent à se stabiliser.

La marque la plus forte se trouve cependant dans les régions que les migrants issus de l'Europe ont repeuplées, au détriment d'indigènes devenus marginaux dans ces espaces.

On pense en premier lieu au sort que réserva le pays le plus puissant du monde à ses malheureux "natives", mais leurs équivalents connurent à peu près partout le même sort sur tout le continent américain .

Idem pour les premiers habitants d'Océanie, dans les grands états comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande, ou dans les plus petits territoires comme la française Nouvelle-Calédonie.

Aujourd'hui, plusieurs signes semblent nous indiquer que ce long cycle de domination sans partage de l'Occident se termine.

Il y a tout d'abord l'économie: on a vu ces dernières décennies la Chine prendre un poids de plus en plus énorme dans le PIB mondial.

Dans son sillage, voire en parallèle, d'autres puissances intermédiaires avec lesquelles il faut compter émergent, surtout en Asie: Inde, Indonésie, voire Turquie.

Précédemment, le Japon et les autres dragons asiatiques (Corée du Sud, Taiwan...) avaient eux aussi connu des performances économiques si remarquables qu'elles avaient inquiété.

Mais ces puissances étaient alors alignées voire contrôlées par les États-Unis, et donc des sortes d'extensions de l'Occident sans volonté politique propre.

Pour la Chine c'est complètement différent. Ce pays aspire à retrouver un rang qu'elle estime lui être dû, un rang qui corresponde à son poids sur la planète et à son histoire.

En ce sens, après avoir courbé l'échine le temps de s'affirmer, elle développe des systèmes déconnectés du leadership occidental et adopte vis-à-vis de lui une politique d'opposition de plus en plus frontale.

Son développement se base à la fois sur un reliquat de communisme mâtiné de confucianisme qui rend impossible toute contestation de l'Etat, sur le trésor que constitue sa main d'œuvre pléthorique et disciplinée, et aussi sur le fait de représenter une alternative à l'Occident.

Rappelant qu'elle fut elle aussi colonisée, rejetant l'idée de valeurs universelles type droits de l'homme ou écologie, elle sait en effet offrir un discours séduisant aux pays en développement, leur proposant autre chose que l'ordre post-1945 dans lequel ils se sentent contraints et dont les racines leur sont souvent douloureuses.

De fait, la Chine ne se joint que rarement aux condamnations de l'ONU, elle travaille avec qui paye et utilise la stratégie d'étouffement par la dette qui fut celle suivie par l'Europe pour s'emparer de pays créditeurs au 19e siècle, comme la France le fit avec la Tunisie par exemple.

Les résultats sont spectaculaires: Pékin, Beijing comme on le redit, est désormais le premier partenaire commercial de la moitié du monde, affirme sa présence sur tous les continents et est devenue un relais pour tous ceux qui contestent l'Occident et le système qui en est sorti.

Elle joint ainsi avec succès le politique à l'économique, et se présente comme l'anti-Ouest par excellence.

Lentement mais sûrement, elle casse les anciens monopoles, que ce soit en inventant l’alliance des BRICs, en proposant de nouvelles normes techniques, ou en développant à marche forcée des marques concurrentes, quand ce ne sont pas carrément les leaders mondiaux de nouveaux secteurs, comme les panneaux solaires ou les voitures électriques.

Dans son sillage on trouve la Russie, qui essaye avec plus ou moins de succès de reprendre la politique de l’URSS, abandonnant le messianisme communiste et déguisant son séculaire projet impérialiste derrière une volonté affichée de multi polarité et tentant de faire oublier qu'elle est une partie de l'Occident.

On voit aussi que les pays arabes du Golfe, forts de leurs pétrodollars, se permettent désormais de dire non à Washington, et tentent d’utiliser leur soft power islamique pour peser plus sur le monde. Leur talon d’Achille reste toutefois leur extrême division, les rivalités ouvertes entre états limitant leur poids global.

Les deux régions historiquement dominées que sont l’Amérique latine et l’Afrique subsahariennes tentent elles aussi avec plus ou moins de bonheur de sortir de la vassalité où elles sont bloquées depuis des siècles.

S'appuyant sur d'autres forces, et notamment la Chine, elles affirment une volonté de se développer sans les contraintes démocratiques et écologiques souvent et hypocritement exigées par les Occidentaux.

Comment les en blâmer d’ailleurs ? N’avons-nous pas connu cette phase d’extrême pollution et de violence lors de notre décollage industriel ?

Et les puissances asiatiques, sous tutelle américaine ou non, n’ont-elles pas elles aussi suivi un chemin pas forcément vertueux et démocratique pour décoller (pensons à la Corée du sud) ?

Dernier groupe de pays, il y a ce qu'on appelle les états parias, généralement les ennemis personnels de l’Oncle Sam pour des raisons historiques, qui trouvent un second souffle dans le monde moins occidental d'aujourd’hui : Iran, Corée du nord, Lybie, Venezuela ou Cuba.

Le grand rééquilibrage que j'évoque ici est somme toute logique: il n’y a aucune raison que l’Europe et sa descendance règnent sans partage et sans fin sur le globe.

Au-delà de cette question de légitimité, il y a aussi des constats factuels contre lesquels on ne peut rien.

Tout d’abord l’âge et le nombre : l’Occident, et surtout l’Europe, vieillit et fait moins d’enfants.

Cela entrave sa capacité à innover, à se battre, et aussi sa part relative sur le globe. Je crois que nous sommes passés de 20% des Terriens en Europe au début du 20e siècle à moins de 10% aujourd'hui, cela compte forcément.

Il y a ensuite les ressources naturelles.

Les mines de fer, de charbon, d’uranium et autres qui ont fait la fortune de l’Europe sont globalement taries du fait de l’ancienneté du développement et de la densité de population.

Cela entraine une dépendance vis-à-vis de pays extérieurs mieux dotés, moins peuplés et pas encore exploités dans les moindres recoins.

On pense à la Russie et à l’Amérique latine, mais aussi à l’Afrique en général.

L’avancée technologique a longtemps donné à l’Occident un avantage décisif.

Sa puissance militaire était largement basée là-dessus : la mobilité et l’armement industriel ont permis de se projeter partout avant et mieux que l’adversaire.

C’était vrai au temps des conquêtes coloniales comme lors de la guerre froide.

L'avance technologique restait réelle encore récemment, notamment au niveau des infrastructures mondiales avec un internet 100% américain, mais c’est de moins en moins vrai aujourd’hui, la Chine le prouvant amplement.

Quant aux valeurs, c’est-à-dire au moins pour le versant UE/USA la démocratie, le libre-échange, la négociation et les droits de l’homme, d'une part elles sont profondément contestées dans ces pays eux-mêmes, et d'autre part les adversaires de l’Occident ont beau jeu de souligner qu’elles ne sont guère appliquées par ses propres promoteurs : qu’on pense à Israël ou aux guerre de Bush n°2.

Tout ceci pour dire que nous assistons bien depuis quelques décennies à une westlessness, à l'avènement d'un monde de moins en moins occidental.

L'ordre en est challengé par un sud dit global dont les membres n’ont en commun que l’opposition à l’Occident, par la revancharde Russie qui s’en détache alors qu’elle en est le co-constructeur, par un monde islamique et une Inde qui se cherchent et surtout par une Chine qui constitue, et pour longtemps, un challenger redoutable et crédible.

Il est objectif et factuel de comprendre que cette westlessness est un phénomène de fond, qui ne va aller qu'en augmentant.

Il faut que nous, les Occidentaux et encore plus les Européens, nous nous y préparions, sans illusions et sans croire que le retour en arrière est au coin de la rue parce que ce n’est pas le cas.

Il faut également ne pas s’imaginer qu’on pourra dialoguer de bonne volonté avec des peuples et des pays qui ont une revanche séculaire à prendre, sauf si l'on a pris soin d'avoir gardé la force nécessaire pour être pris en compte.

Il faut enfin être conscient qu’il faudra changer de recette autant de fois que nécessaire pour arriver à quelque chose et que non, l’Histoire n’est pas finie.

Sans cette indispensable prise de conscience et l'aggiornamento qu'elle implique, nous deviendrons une sorte de vieille noblesse du monde, usée par le temps, isolée dans des châteaux décrépits en attendant qu’on l’en déloge, spectatrice impuissante et inutile des changements.

samedi 22 novembre 2025

Racines chrétiennes

La France fut longtemps qualifiée de fille aînée de l’Église.

En effet, à partir du baptême de Clovis selon l'historiographie officielle, notre état se construisit sur et par le christianisme, progressivement instrumentalisé, confisqué ou contrôlé par le pouvoir politique.

Selon les périodes, plusieurs confessions cohabitèrent, mais c'est le catholicisme qui finit par avoir la primauté.

Il s'imposa de manière inflexible et combattit toutes les alternatives, les détruisant définitivement comme dans le cas des ariens, des cathares ou des jansénistes, ou de manière incomplète comme dans celui des protestants.

En parallèle, la religion mère du christianisme, le judaïsme, exista toujours sur le territoire français, ses fidèles, très minoritaires, étant plus ou moins tolérés et régulièrement persécutés, mais ne disparaissant jamais.

Notons aussi la persistance de superstitions et d'autres traditions issues d'anciens cultes, souvent en milieu rural, qui furent combattues ou intégrées par la religion majoritaire.

Notons enfin une parenthèse musulmane lorsque les armées arabes eurent conquis une partie du sud du territoire, avant d'en être chassés.

Malgré ces petites exceptions, on peut cependant dire que jusqu'à la révolution française, l'église catholique constitua l'ossature administrative et spirituelle de la France.

Son calendrier rythmait la vie communautaire, villes et villages étaient construits autour de ses églises, elle avait en charge l’ancêtre de l'état civil, sous la forme de registres paroissiaux, s'occupait des hôpitaux et de l'éducation, etc.

Lorsque l'Ancien Régime fut renversé, la république eut pour projet d'arracher le peuple à l'église catholique.

Au début le combat fut frontal et très violent: mise en place d'un culte de l'Etre suprême, d'un calendrier révolutionnaire, d'un baptême civil, et dans un sursaut du gallicanisme, obligation pour les prêtres de prêter serment à l'état.

Devant les résistances, une impitoyable répression fut menée contre les récalcitrants, dont certains comme les chouans, avaient pris les armes, les catholiques se retrouvant ironiquement dans la position des cathares et des camisards qu'ils avaient combattus les siècles précédents.

La dictature de Bonaparte mit fin à cet épisode sanglant en instaurant un nouvel équilibre religieux.

L'empereur confirma que l'Etat passait avant tout, mais aussi que le catholicisme était la religion de la majorité des Français, lui donnant une primauté implicite.

En parallèle il obligea Juifs et Protestants à s'organiser de façon à lui fournir des interlocuteurs.

Cet équilibre dura un petit siècle, avant que la fin du Second Empire et l'avènement de la troisième république ne relancent les hostilités avec l'église catholique, hostilités qui aboutirent à la mise en place du régime laïc, cette incongruité sur notre planète souvent mal comprise et caricaturée.

En gros, l'Eglise perdit tous ses pouvoirs temporels en France, son bâti d'avant la loi de séparation devint propriété de l'Etat, qui leur en laissa le droit de jouissance, ses curés ne furent plus fonctionnaires, à l'exception de ceux qui avaient été ordonnés avant la loi, et plus rien de régalien ne leur fut laissé (même s’ils purent conserver une partie de l’éducation).

Le changement fut difficile et les résistances nombreuses, mais l'équilibre se rétablit avec la Première Guerre Mondiale, quand tout le monde se retrouva d'abord français face à l'ennemi.

Depuis lors s'est installé le modus vivendi que nous connaissons encore.

A côté de ces aspects légaux, on constate que la France vit une déchristianisation progressive mais massive, le nombre de gens se déclarant sans religion augmentant sans cesse avec les années.

Il semble même que sous le double effet de cette désaffiliation et d’une immigration majoritairement non chrétienne, la part catholique du pays soit récemment passée pour la première fois sous les 50%.

Quelques autres pays d'Europe, comme le Royaume-Uni, sont dans le même cas (cf. cette enquête) et d'une manière générale le retrait de la religion progresse sur notre continent.

Ce constat n'efface cependant pas la trace profonde du christianisme sur l'Europe et de sa version catholique sur la France.

C'est pourquoi l'opposition à la mention des racines chrétiennes de l'Europe dans le préambule à la constitution de l'UE m'avait semblée absurde.

Jacques Chirac, le président français de l'époque, avait même poussé la malhonnêteté jusqu'à revendiquer des racines musulmanes à la France (!).

Si la France et le monde musulman ont des liens très anciens, la religion de Mahomet y a été anecdotique et sans influence jusqu'au moins le milieu du vingtième siècle.

Ce n'est ni stigmatisant ni discriminant de le rappeler, ça ne présage pas de la suite, ça ne veut pas dire que l'islam n'a pas sa place, c’est juste un rappel de la réalité.

Cette position de la France d’alors va dans le sens de cette tendance étrange de l'Occident au reniement de son héritage, comme si le futur ne valait que si l'on faisait table rase du passé et que ce dernier était uniformément noir, condamnable, honteux et à jeter. 

L’élan présidentiel chiraquien n'est d'ailleurs pas unique, les préconisations de Bruxelles de débaptiser les fêtes chrétiennes ou de promouvoir le voile vont dans le même sens. 

Cette espèce d'iconoclasme et de xénophilie dévoyée me semblent profondément malsains. Avec ses bons et ses mauvais côtés, le christianisme fait partie de notre héritage. Pourquoi faudrait-il le renier, le cacher ou faire comme si ce n'était pas le cas?

Et pourquoi faudrait-il moins s'indigner quand on s'y attaque? Parce qu'on constate aussi que les violences anti chrétiennes font rarement la une des medias et sont systématiquement minimisées, qu'elles aient lieu à l'étranger, comme si ces minorités-là ne comptaient pas, ou sur notre sol.

Cette vidéo souligne l'ampleur du phénomène en France, et le quasi silence qui l'entoure inexplicablement, comme si l'on considérait que ces étaient fatals, sinon "normaux".

Quand il s'agit de meurtres, comme ceux du père Hamel et du père Panon (encore que pour ce dernier le mobile religieux est plus flou), on a quelques petites news, mais on ne s'étend guère, comme généralement lorsque c'est motivé par l'islam ou le fait de musulmans, qu'il s'agisse du Pakistanais s'exhibant sur un autel, du vandalisme criminel d'églises (à Rilleux-la-pape, à Paris ou à Marseille), des cimetières tagués en Dordogne ou à Castres, ou encore des provocateurs priant Allah dans des églises comme cet influenceur de Strasbourg.

Tout comme nous sommes majoritairement blancs de peau, nous sommes majoritairement d'ascendance catholique, et cette religion a imprégné nos lois, nos habitudes, notre urbanisme, nos constructions et jusqu'à notre langue.

Pour la plupart des gens il n'est plus question de considérer que pour être Français il faut être blanc et catholique, et c'est heureux, mais cet héritage est une réalité, pour quelle raison ne pas l'admettre, pourquoi le rejeter et ne pas le défendre quand c'est le cas?

Cette attitude est d'autant plus stupide à notre époque de revendications identitaires, et nous ferions bien de prendre garde à ce que le christianisme abandonné ne soit, comme avant lui le patriotisme, récupéré que par les extrémistes.

jeudi 20 novembre 2025

Chanson(33): Madame la colline

Lorsque dans ma quête de racines je cherchais à écouter de la musique folk française, je suis tombé sur les hippies et aussi sur les régionalistes, à commencer par ceux de la région française qui a le mieux réussi à faire accepter sa singularité culturelle: la Bretagne.

C'est ainsi qu'avant de me rendre compte que je n'aimais pas plus la musique celtique quand elle venait de France que quand elle était anglo-saxonne, j'ai écouté pas mal de choses, parmi lesquelles Tri Yann, Alan Stivell et le virulent Gilles Servat.

Deux des titres de ce dernier ont toutefois su me toucher.

Il y a tout d'abord son hymne indépendantiste La blanche hermine, curieusement devenu un hit en France et encore plus curieusement repris par l'armée du pays qu'il désigne comme son colonisateur.

Et il y a également Madame la Colline, le morceau qui m'a inspiré le post d'aujourd'hui.

Cette chanson un peu manichéenne et datée (elle est de 1977), raconte une page d'histoire de la Bretagne, mais aussi du reste du pays, celle de la politique de modernisation agricole du pays lancée après la Seconde Guerre Mondiale.

A la libération la France, sortie ruinée de six ans de guerre et cinq d'occupation, resta soumise quelques années encore au rationnement alimentaire mis en place en 1939 (jusqu'en décembre 1949 pour être précis).

Les divers gouvernements qui suivirent eurent alors pour but de restaurer l'indépendance alimentaire du pays, en modernisant son agriculture, et notamment dans ses régions les plus pauvres, dont la Bretagne faisait encore partie.

Plusieurs plans furent lancés, parmi lesquels des subventions au remembrement.

Par ce terme on entend un réaménagement rationnel des terres agricoles.

Pour faire simple l'idée est que là où trois propriétaires possédaient dix petits champs aux formes aléatoires et imbriquées entre eux, on allait organiser et subventionner des échanges de parcelles pour qu'à la fin on n'ait plus que trois champs, un pour chaque propriétaire, en rasant au passage les séparations devenues inutiles, qu'il s'agisse de talus, d'arbres ou de haies.

De cette façon, la surface agricole utile était maximisée et sur ces champs agrandis il devenait possible de produire plus.

On pouvait également en profiter pour investir dans des tracteurs et du matériel agricole plus grands, de façon à travailler de manière plus efficace et productive.

Les gains d'échelle étaient censés permettre aux paysans d'augmenter leurs récoltes et leurs cheptels, donc de vendre plus, donc de s'enrichir, et in fine d'assurer à la France sa sécurité alimentaire et d'en faire une puissance agricole.

Les effets secondaires attendus étaient également intéressants.

Tout d'abord la fin de la misère rurale supprimerait une source de ressentiment récurrent: en intégrant économiquement des gens qui étaient jusque-là plutôt exclus de la communauté nationale, on les attachait au reste de la société.

C'était d'autant plus important lorsque ces communautés avaient une identité forte et parfois conflictuelle avec Paris, comme la Bretagne ou même des colonies (je pense au plan de Constantine, lancé -beaucoup trop tard- pour enfin s'occuper de la misère autochtone de l'Algérie française, et qui est ICI évoqué par un site pied-noir).

L'autre effet secondaire était qu'une campagne modernisée ayant moins besoin de main d’œuvre, cela permettrait de répondre à la demande en ouvriers d'une industrie française alors grosse demandeuse de bras.

Sur le papier, le remembrement était donc bénéfique pour tout le monde, et le mouvement fut lancé avec un grand succès, notamment dans les régions où c'était facile, et dans la plate Bretagne ça l'était justement.

Dans Madame la colline, Servat raconte l'envers du décor.

Il commence par pointer les conséquences écologiques, aujourd'hui bien identifiées, de ce processus.

La fin du bocage a fortement accéléré l'érosion: les précipitations ne rencontrant rien pour les arrêter, elles ravinent les sols et abîment la couche arable.
 
Par ailleurs, la disparition des écosystèmes que constituaient les haies et les bosquets a fait brutalement chuter la diversité biologique: nombre d'espèces se sont raréfiées ou ont tout simplement disparu.

Il enchaîne avec les conséquences humaines et culturelles.

Tout d'abord il parle de la défiguration des paysages, devenus plus monotones et spécialisés.

Ensuite il souligne le fait que la rationalisation coupe l'espèce de lien ancestral qu'il y avait entre les populations et leur terroirs: le cadastre et la numérotation des champs font disparaître leurs noms, et dans le cas de la Bretagne, cela joue aussi sur une langue déjà en plein recul.

D'ailleurs il prête également à l’État un désir de contrôle et d'assimilation de cette province rebelle depuis toujours, ce qui n'est sans doute pas faux non plus.

Bref, pour Servat, le remembrement est une catastrophe, aujourd'hui on dirait un culturocide et un écocide, motivé par des raisons politiques inavouables ("est-ce que c'est pour le rendement ou pour que personne ne s'y cache?") et par l'appât du gain (4% par talus supprimé implique que pour être riche il faut beaucoup arracher).
 
Les conséquences qu'il décrit sont bien réelles et déplorables à bien des égards, mais à mon avis il oublie une chose essentielle, c'est que contrairement à la légende, beaucoup de paysans, qu'ils soient bretons ou non, ont adhéré à ce plan.

Et ils y ont adhéré pour une raison très simple, c'est qu'ils ne voulaient pas être à la traîne de la modernisation en cours et que bien souvent aussi ils voulaient sortir d'une pauvreté qui était parfois endémique et bien réelle.

Si l'on relit Le célèbre Cheval d'orgueil d'un des compatriotes les plus connus de Gilles Servat, on croise dans ses pages ce que son auteur, Pierre-Jakez Hélias, appelle La chienne du monde, autre nom de la misère familière à tant de familles rurales.

Pour beaucoup le remembrement a ainsi pu être une opportunité d'améliorer leur niveau de vie, et de l'améliorer sans devoir émigrer comme tant de Bretons l'ont fait au cours des siècles, ce qui n'est évidemment pas rien.

Cette mise au point à part, Servat a raison sur tous les effets négatifs de cette modernisation brutale, qui a emporté avec elle les nombreux mondes que constituaient nos campagnes et nos terroirs, porteurs de tant de cultures et de racines.

C'est pour cela que ses mots touchent beaucoup le fils de paysan que je suis, et que son raisonnement implacable sonne d'autant plus juste que sa sincérité est évidente.

Je suis né beaucoup plus tard que Servat et en dehors de la Bretagne, dans un village peu remembré, et je me souviens à la fois du niveau de vie très modeste de la plupart de ses habitants et des noms de champs dans un dialecte depuis disparu.

Je me rappelle aussi de paysans qui consacraient toute leur énergie à "s'agrandir" et se moderniser, arrachant sans état d'âme arbres et buissons pour élargir leurs parcelles, y construire d'horribles hangars modernes et fonctionnels, épandant généreusement pesticides et engrais et grognant contre les interdictions de phytosanitaires dangereux.

Comment les juger quand leur niveau de vie reste très inférieur à la moyenne nationale pour un nombre d'heures travaillées qui ferait pâlir n'importe quel syndicaliste? Le bouleversant film Au nom de la terre est un autre témoignage de ce monde-là et de ses contradictions.

Pour en revenir au morceau, celui-ci est construit comme une longue progression.

Le chanteur à la voix puissante commence a capella avant d'être peu à peu rejoint par des instruments, probablement de bagad.

Cet effet souligne l'impression de marche inexorable, quasi militaire, du "progrès" et augmente l'émotion dégagée.

En ce sens, Madame la colline est une réussite, que ce soit du point de vue du message, qui n'a pas perdu de son actualité même s'il n'y a pas de solution simple, et du point de vue musical.

Je terminerai par le dernier couplet plein d'amertume qui décrit bien l'état d'esprit du chanteur:

"Ceux qui ont décidé ça là-haut,

Voilà ce qu'on a à leur dire

Si c'est exprès c'est des salauds

S'ils savaient pas, c'est encore pire."

 

Précédent: Chanson (32): Demain c'est loin

mardi 11 novembre 2025

En attendant la chute des Mollahs (1)

Mes premiers souvenirs de l'Iran sont assez anciens.

Je me souviens d'un cousin plus grand que moi (genre 7 ou 8 ans) qui faisait des blagues débiles de son âge sur le mot ayatollah, du genre "l'ayatollah a dit prosternez-vous !, l'ayatollah a dit pissez un coup !".

Rétrospectivement je suppose que ça devait être autour de la révolution de 1979, quand ce mot jusque-là réservé aux spécialistes s'est mis à envahir l'actualité, et je ne l'ai sans doute retenu que pour sa singulière sonorité et parce que je ne comprenais pas.

Un peu plus tard j'ai eu une frayeur en regardant le JT et croyant comprendre que ce pays allait nous envahir.

Ce devait être pendant la longue guerre qui l'opposa à l'Irak, dont nous étions alliés, ce qui amena Téhéran à financer des attentats dans l'Hexagone, appelée "Petit Satan" par le nouveau régime.

L'image qui se façonna pour moi dans un premier temps fut donc celle d'un pays violent et hostile à la France, peuplé de fanatiques islamistes, ce fanatisme étant à l'époque lointain et exotique et non notre quotidien national.

Je ne sais plus à quelle période j'ai recroisé l'Iran, sans doute en étudiant l'histoire de l'empire ottoman ou celle des mongols, puis en rencontrant des gens issus de ce pays, mais j'ai alors découvert à quel point j'étais loin du compte.

En effet, l'Iran est un pays à la culture extrêmement riche et ancienne. Il fut le siège de nombreux empires, ennemis de Rome et des Ottomans dont ils arrêtèrent la progression.

Y naquit et prospéra une puissante religion monothéiste, le zoroastrisme, aujourd'hui moribonde mais suffisamment importante pour être citée dans la Bible (on dit que les rois mages en étaient des adeptes) et pour avoir donné au monde une diaspora très dynamique.

La communauté indienne des Parsis, dont la réussite politique et économique a été exemplaire, en est issue, et l'un de ses plus illustres membres fut le britannique Freddy Mercury.

Très persécuté et devenu minoritaire après la conquête arabe, le zoroastrime bénéficie aujourd'hui d'une reconnaissance officielle en Iran, au même titre que les "religions du livre", à savoir le christianisme et le judaïsme.

Malgré l'application très stricte de la dhimma, cette discrimination organisée, ces deux communautés sont en effet encore présentes en Iran, ce qui fait du pays une singularité dans un monde musulman qui a globalement chassé ses juifs et massacre régulièrement ses chrétiens.

J'ai rencontré des Arméniens d'Iran, communauté chrétienne jadis florissante dont la moitié est restée sur place à l'arrivée de Khomeini, qui me confirmèrent que le régime les a globalement tolérés.

Ce n'est pas le cas d'une autre religion, le bahaïsme, syncrétisme post musulman né en Iran mais qui lui est férocement réprimée (j'en ai également rencontré quelques adeptes).

Dominé par les Britanniques, envahi partiellement par les Soviétiques, l'Iran mit en place un régime monarchique fort et modernisateur, celui des Shahs, qui transforma le pays en un allié de poids de l'Occident dans cette région tumultueuse.

Les liens avec Israël y furent longtemps cordiaux, ceux avec la France également, beaucoup d'artistes ou d'aventuriers y passant un moment et la bourgeoisie du coin étant souvent francophone.

Ces monarques tentèrent de transformer autoritairement la société, un peu selon la dynamique lancée par Ataturk dans la Turquie voisine et concurrente.

Sur certains aspects, ils allèrent même parfois plus loin que les kémalistes: par exemple le voile fut un temps tout simplement interdit, arraché aux contrevenantes par la police.

Puis vint la date charnière de 1979.

Une vague de mécontentement puissante poussa dans la rue des gens qui réclamaient la chute du Shah, la fin de sa politique et des exactions de sa sinistre police, la SAVAK.

La répression fut violente mais vaine: le régime était dépassé et finit par chuter.

L'opposition qui prit alors le pouvoir se composait d'un conglomérat de démocrates, de révolutionnaires communistes et d'islamistes.

Ces derniers étaient chiites, confession minoritaire dans l'islam mais majoritaire dans ce pays multi culturel et multi ethnique, et c'est sans doute pour ce rôle de ciment culturel que fut choisie parmi ses dignitaires la personnalité en charge de la transition: l'ayatollah Khomeini, alors en exil en France.

Hélas, il s'avéra rapidement que le remède était au moins aussi mauvais que le mal, et comme dans beaucoup de révolutions (Cuba, l'Algérie, l'URSS), ce fut la branche dure qui rafla la mise.

Les hommes de Khomeini évincèrent tous leurs concurrents, y compris les plus organisés, et instaurèrent une dictature d'un nouveau modèle, une république islamique.

Organisée selon le principe musulman de la velayat-e faqih, elle comporte un parlement élu mais contrôlé par un guide suprême et par le clergé chiite, très organisé et hiérarchisé dans cette confession, lequel en a profité pour considérablement s'enrichir via des fondations qui sont devenues de véritables super entreprises.

La république s'appuie aussi sur une milice fanatisée, les bassidjis, qui recrutent dans le petit peuple en leur donnant des avantages en échange d'une loyauté totale qui va jusqu'au martyre.

La mise au pas de la société fut violente et totale, les morts s'accumulèrent, l'Occident fut chassé, mais aussi les communistes, et s'instaura un ordre inédit que l'on n'avait pas connu jusqu'alors.

En 1980 l'Irak de Saddam Hussein, qui craignait la contagion révolutionnaire dans sa population (dont la majorité était chiite mais qui était dirigée par des sunnites), attaqua l'Iran, comptant profiter de son instabilité pour renverser le nouveau régime et annexer quelques zones arabophones.

Il était soutenu par les Etats-Unis, devenu un ennemi mortel de l'Iran après la prise en otage de leur ambassade à Téhéran, et par la France, gros fournisseur d'armes et de technologies pour Bagdad.

Toutefois, la guerre s'enlisa vite, l'Iran résistant par tous les moyens et notamment une glorification du martyre qui alla jusqu'au spectaculaire sacrifice d'enfants, "volontaires" pour sauter sur les champs de mine.

Du côté de la politique étrangère, Téhéran sut aussi renverser la vapeur, notamment par une campagne d'attentats ciblés en France (les terroristes étaient recrutés dans notre diaspora musulmane, bien que celle-ci soit sunnite) ce qui nous amena à revoir notre soutien à l'Irak.

Ils nous frappèrent aussi dans nos zones d'influence, comme au Liban, où leurs actions entrainèrent un revers sans appel pour la France et amenèrent à la décision de la fin du contingent.

Le pays du cèdre, alors en pleine guerre civile, fit rapidement partie du réseau que sut mettre en place Téhéran pour se constituer un glacis protecteur contre Washington (baptisé le grand Satan) et ses alliés arabes, ennemis car sunnites.

Au Liban les mollahs s'appuyèrent sur le puissant Hezbollah, état -chiite- dans l'état, et ailleurs sur les courants hétérodoxes de l'islam généralement persécutés, des Houtis du Yémen aux alaouites syriens de la famille Assad.

Ainsi, la réaction de ses ennemis ne réussit pas à balayer la dictature iranienne, qui s'enracina profondément.

Elle survécut à la mort de Khomeini, s'accommoda d'être au rang des ennemis jurés de Washington et, forte de sa démographie et de son pétrole, elle réussit à asseoir sa position.

Pour se gagner la rue arabe, le régime se mua par ailleurs en ennemi le plus intransigeant d'Israël, les grandes déclarations de haine anti sioniste étant un des attributs de leurs dirigeants, notamment du temps de Mahmoud Ahmadinejad.

J'ai pu voir auprès de collègues venus du Maghreb que la république islamique d'Iran y conservait un prestige certain (je me souviens d'un échange un peu surréaliste entre mon collègue arménien d'Iran et un Marocain qui avait du mal à croire l'expérience du premier).

Lorsque suite à l'épisode 2 de la guerre des Bush la dictature de Saddam Hussein s'écroula, l'Iran connut même un regain de pouvoir et de visibilité.

En effet, Téhéran profita du choix américain de promouvoir la majorité chiite de l'Irak pour y avancer ses pions, créant ce qu'on appela alors "un arc chiite" dans la région.

Cette parenthèse se ferma toutefois avec l'avènement de Daesh et de ses violences anti-chiites (anti tout ce qui n'était pas eux en fait), puis avec la récente série de revers très sérieux chez leurs alliés.

Il y eut tout d'abord la chute inattendue du régime syrien, abandonné par son mentor russe bloqué en Ukraine, et la prise de pouvoir par un islamiste passé par deux des plus virulentes organisations sunnites: Al Qaeda et Daesh.

Il y eut ensuite la décapitation du Hezbollah par Israël, dans l'une de ces spectaculaires opérations dont ce pays a le secret.

Il y eut enfin la guerre de représailles de l'état hébreu suite au pogrome du Hamas, dont le gouvernement le plus à droite de l'histoire du pays profita pour bombarder l'Iran sur son propre territoire, appuyé par des US ayant précédemment tué un de leurs généraux emblématiques.

Aujourd'hui l'Iran est certes dans un creux, mais la république islamique est toujours là, presque cinquante ans après la révolution qui renversa le Shah.

Elle continue à se projeter à l'extérieur et à poursuivre son programme nucléaire, dont les épisodes sont autant de rebondissements et de chassé-croisé avec l'Occident.

De réelles tensions avec ses communautés parfois tentées par l'autre côté de la frontière (il y a notamment en Iran un petit cinquième des Kurdes, une minorité arabe et plus d'Azéris qu'en Azerbaïdjan), n'ont pas non plus entrainé l'implosion du pays.

Une opposition vigoureuse à l'étranger n'a pas eu plus de succès, qu'il s'agisse des nostalgiques du Shah, plutôt en perte de vitesse, ou du groupe islamo-marxisant les moudjahidines du peuple.

Ce groupuscule, dont l'idéologie est un mélange de nationalisme, d'islam et de marxisme, existait déjà du temps du Shah, qu'il combattait.

Ils ont leur siège a Paris, achètent des soutiens où ils le peuvent, ont un fonctionnement quasi sectaire (culte de la personnalité des dirigeants, divorces forcés et séparation d'avec les enfants) et ont commis quantité d'attentats, assassinant notamment un chef de la police.

Très puissants à une certaine époque, ils ont perdu à peu près tout soutien populaire lorsqu'ils se réfugièrent chez Saddam Hussein pour l'aider à combattre l'Iran.

Ainsi, la république islamique d'Iran s'est consolidée, une culture commune s'y est installée, basée sur la religion, mais aussi sur un nationalisme très ancien, et sans doute confortée par le fait d'être un état paria à l'international et entouré de pays religieusement hostiles à l'échelon local.

En cinquante ans l'Iran a profondément changé.

La population a doublé depuis la révolution, elle frôle désormais les 90.000.000 mais sa fécondité a énormément chuté, atteignant des niveaux occidentaux (moins de 2 enfants par femme).

L'alphabétisation a aussi profondément progressé, il y a désormais plus d'étudiantes que d'étudiants, et le pays s'est massivement urbanisé, plus des trois quarts des Iraniens vivent en ville et l'agglomération de Téhéran est plus peuplée que celle de Paris.

Malgré les souhaits des dirigeants, certaines coutumes n'ont pas pu être touchées, comme le nouvel an zoroastrien, interdit au début par les mollahs mais ré autorisé peu après.

L'Iran est semble-t-il devenu le recordman du monde des rhinoplasties, il est ravagé par la consommation d'opiacées (sans doute la proximité de l'Afghanistan joue-t-elle), et on y fabrique clandestinement de l'alcool dans les appartements, ce qui occasionne parfois des explosions.

L'hypocrisie sexuelle y est aussi forte, certains jeunes ironisant sur le fait que Téhéran est capitale mondiale du sexe anal du fait de l'obsession de la virginité au mariage.

La question migratoire commence à se poser, notamment avec l'arrivée de réfugiés afghans, souvent de la minorité hazara.

Bref, on a le sentiment d'un peuple moderne, jeune et désenchanté, vivant dans un régime idéologique discrédité, corrompu mais craint, un peu comme une sorte de version islamique des dictatures d'Europe de l'Est d'avant la fin du bloc communiste.

Ce pays passionnant a en tout cas une production culturelle très riche, qu'elle soit le fait de ses habitants ou de sa diaspora, et c'est de ce que j'ai pu lire ou voir et de ce qu'elle m'a appris que je parlerai dans le deuxième volet de cet article.

mercredi 8 octobre 2025

Cinéma (31): Quand Harry rencontre Sally

Quand Harry rencontre Sally avait tout du film que je n'aurais jamais été voir de moi-même et que j'aurais dû ne pas aimer.

 
C'est en effet une comédie romantique américaine qui parle de New Yorkais sophistiqués aux amours compliquées, donc de gens avec qui je n'ai a priori rien à voir, et qui étaient quasiment un repoussoir pour moi lorsque je l'ai vu la première fois, au vidéo club de mon internat campagnard.
 

Pourtant j'ai contre toute attente adoré ce film, que j'ai fini par revoir régulièrement, à chaque fois avec le même plaisir.
 

L'histoire est assez simple.
 

Deux étudiants qui ne se connaissent pas, incarnés par Billy Crystal et Meg Ryan se retrouvent à covoiturer pour des raisons financières sur le long trajet qui sépare Chicago de New York.
 

Dès le début l'antipathie est palpable entre l'homme, Harry, qui est une sorte de macho pontifiant très sûr de lui, et la femme, Sally, qui a un caractère indépendant et bien trempé.
 

Pendant le voyage ils se disputent sur différents sujets qui tournent tous autour de la relation homme femme. Au centre il y a l’idée défendue par Harry que l'amitié entre sexes est impossible du fait de la tension sexuelle, ce que Sally conteste.
 

Harry prétend également que les femmes jouissent toujours avec lui, ce dont Sally va réussir à le faire douter lors d'une de scène du film devenue légendaire : pour le convaincre elle va en effet simuler un orgasme en plein restaurant (!)
 

Une fois à New York ils se séparent sans regret.
 

Le film reprend quelques années plus tard quand ils se rencontrent à nouveau, On apprend que tous les deux sont en couple et que leurs mauvaises appréciations respectives n'ont pas changé.
 

Après quelques années supplémentaires ils se retrouvent à nouveau, mais cette fois-ci chacun vient de vivre une rupture douloureuse, et en plein doute existentiel et fragilisés tous les deux, ils vont commencer à se rapprocher.
 

Progressivement ils se revoient, discutent, s'apprécient et finissent par devenir de véritables amis et confidents l'un pour l'autre.
 

Chacun tentera même de caser l'autre, mais au final c'est entre le meilleur ami de Harry et la meilleure amie de Sally que le coup de foudre a lieu, les rapprochant encore.
 

Et puis ce qui devait arriver arrive: un jour ils couchent ensemble, puis en sont terrifiés, puis se brouillent, avant que Harry ne réalise qu'il est fou amoureux et ne se précipite pour déclarer publiquement cet amour à une Sally qui n'attendait que ça et lui tombe dans ses bras lors d’une scène très très comédie romantique américaine.
 

La trame est assez convenue, mais inexplicablement ce film a pour moi quelque chose de magique.
 

L'interprétation des acteurs, notamment une Meg Ryan plus irrésistible que jamais, y est sûrement pour beaucoup.
 

L'originalité du film tient aussi à sa structure: chaque période de la vie des héros est bornée par des témoignages de couples de tous âges et toutes origines qui racontent leur rencontre et donnent un bref résumé de leurs vies, le dernier couple étant celui formé par Harry et Sally.
 

Cette idée d'amour qui naît malgré soi est très touchante, les séquences d'humour et d'émotion sont bien alternées, et l'on s'attache vite aux histoires de ces deux cœurs perdus.
 

Célibataire comme je l'étais à l'époque, j’ai rêvé secrètement de rencontrer ma Sally et ce film mettait sans doute aussi le doigt dessus.
 

Quoi qu’il en soit je l'ai beaucoup aimé, et il rejoint les films de Rohmer au rayon de mes plaisirs coupables.
 

Je ne suis d’ailleurs pas le seul puisque ce film fit un carton monumental et qu’une suite a même été envisagée, pour l'instant non concrétisée.
 

En attendant je l'ai revu il y a un an, et 36 ans après sa sortie, le charme a encore opéré.

Précédent: Cinéma(30): Joies et surprises des doublages/traductions

dimanche 5 octobre 2025

Chanson(32): Demain c'est loin

La chanson Demain c'est loin d'IAM est un uppercut. A chaque fois que je l'entends c'est comme si je me prenais un coup.

Avec ce titre, IAM a pondu une étude sociologique, un résumé partisan mais factuel d'une situation, un pan de vie de cette autre France, celle des pauvres à majorité immigrée et des banlieues pourries.

En huit longues minutes, les chanteurs Kheops et Akhénaton nous brossent chacun leur tour un portrait de la vie de ces gens de nos ghettos, ces quartiers de béton laids et mal vieillis que le chômage, la pauvreté et la fracture ethnique ont transformés en lieux de relégation, en repoussoirs pour le reste de la société.

Les chanteurs décrivent le désœuvrement, le chômage, l'absence de perspectives, l'obsession de l'argent à tout prix sans lequel on n'est rien.

S'ajoutent à ce cocktail des cultures machistes et violentes et la gangrène de la délinquance et de la drogue, dont le mélange constitue le moyen privilégié pour devenir rapidement quelqu'un, c'est-à-dire gagner du fric et du respect.

Et tout ça toujours avec un fond de désespoir, dans le nihilisme, et toujours dans le court terme parce que demain c'est loin comme le dit le titre.

La musique lancinante et dramatique est bien choisie pour porter ses mots, agrémentée comme souvent chez IAM par des bruitages qui soulignent les points forts du morceau.

Il faut l'écouter en regardant le clip, soigneusement tourné et illustrant le propos de manière percutante et sans fard.

Il est impossible de rester indifférent à cette démonstration implacable, cinématographique (un des talents de ce groupe), à ces textes aux mots ciselés, recherchés et dont l'impact est renforcé par le procédé d'anadiplose, chaque vers commençant par les derniers mots du précédent.

Moi qui ne viens pas de ce monde, je suis choqué par le rapport de ces milieux au crime, aux femmes (on fait chier les filles qui n'ont pas de frère), à la violence (tout le monde pisse sur la porte de celui qu'on a banni), à la police, tous évoqués dans la chanson.

Je continue à penser que la pauvreté ne justifie pas tout et que l'Etat ne peut pas tout régler, mais comme IAM je suis convaincu que faire quelque chose avec ces gens qui démarrent dans de si mauvaises conditions devrait être une priorité.

Il faut que pour tous il y ait un demain, qu'ils en aient l'idée et la possibilité, leur permettre de le construire, afin que personne ne reste malgré lui sur le bord de la route.

Il est bon de réécouter ce cri talentueux de temps en temps, pour ne surtout pas l'oublier.


Précédent: Chanson (31): Que je t'aime

Suivant: Chanson (33): Madame la colline

Next station: Trump

Cela fait neuf ans que Donald Trump a pris la tête des USA, avec une pause Biden entre ses deux mandats.

Sa première élection a stupéfait la grande majorité des acteurs qui donnent le la en terme d’opinions, de politique ou de bon ton.

On a avancé beaucoup d’explications plus ou moins convaincantes, pensé son passage en termes de malentendus, de magouilles ou d’interférences étrangères, mais quand il est passé une deuxième fois, et ce malgré ses casseroles, on ne pouvait plus parler d'accident.

On s’est alors rendus compte qu’il y a plein de petits Trump dans les pays occidentaux, et qu’ils sont doublés de mouvements à contre-courant de ce qu’on attend de la narration d’un Sens de l’Histoire, comme le Brexit ou les Gilets Jaunes.

Malgré les insultes, les invectives, la dissimulation sous les divers tapis et les grandes déclarations, cette tendance est profonde et loin de disparaître.

Je pense qu’hormis toutes les raisons économiques, on peut regarder ce qui se passe sous le prisme identitaire, comme la manifestation d’un retour du refoulé national, voire ethnique, que l’on a voulu considérer comme dépassé, du moins pour les communautés historiques de nos pays d’Occident (l’indulgence étant plutôt de rigueur pour les équivalents chez les minoritaires).

Mes lectures (Fractures françaises, Les yeux grands fermés, Une révolution sous nos yeux, L’archipel français et bien d’autres) et réflexions m’ont amené à distinguer une espèce de cheminement que nos sociétés semblent emprunter par rapport à la question des minorités, qui reste finalement très centrale.


Phase 1 : Minorités = objets

Pendant la première phase, les minorités sont des objets, dans le sens où elles n'interviennent pas directement dans le débat.

Elles deviennent un enjeu mais on ne les écoute pas, en quelque sorte on parle à leur place, on les voit comme dans un état provisoire dans le processus d’assimilation ou comme des gens seulement de passage. Plusieurs étapes jalonnent cette phase:

Etape 1 : le pays est plutôt homogène, avec une majorité reconnue et assumée comme telle, qui domine les autres et donnent la référence aux autres membres de la population, y compris aux minorités.

Etape 2 : il y a une prise de conscience du racisme et des discriminations que subissent les minorités.

Etape 3 : il y a une réaction, qu’elle soit violente ou symbolique, une remise en cause et des changements législatifs/de mentalité.


Phase 2 : Minorités = sujets

Commence alors la phase 2, celles où les minorités décident d’agir directement, et pas forcément en adhérant à ce que la majorité leur propose 

Etape 4 : il y a une prise de parole des minorités dans le nouveau contexte.

Etape 5 : cette prise de parole se matérialise par un débordement de la majorité, y compris celle qui voulait plus d’égalité. Cette majorité prend alors vraiment conscience de l’altérité, et notamment du fait que ce que veulent les minoritaires n'est pas forcément converger et s’assimiler.

Etape 6 : commencent à apparaitre des exigences communautaristes, favorisées par l’immigration massive, la jeunesse des minoritaire et souvent par la dérive du projet multiculturel des élites.

Ce projet a en effet pour effet pervers de ne pas définir de conscience commune, contrairement aux modèles qui l'ont précédé.

Devant ces mouvements, il y a une scission au sein des progressistes, entre ceux qui veulent garder une primauté intellectuelle et transmettre ce qu’ils estiment être des valeurs indépassables, et ceux qui entrent dans le credo du multiculturalisme complet.

Etape 7 : la majorité prend conscience que dans le nouveau système elle n’est plus la référence mais seulement la première et la plus avantagée des minorités, que ça ne plait évidemment pas aux autres, et que la démographie aidant, ça peut tout à fait ne pas durer.

Etape 8 : la majorité prend acte et se saisit des mêmes armes que les minorités pour se constituer en un groupe de pression équivalent.

Cela revient à un abandon de l’universalisme pour un parti des indigènes: puisqu’on n’assimilera pas toutes les minorités et qu'on raisonne en termes de droits des communautés et non plus des individus, constituons nous aussi une communauté.

Etape 9 : trouvons un champion décomplexé pour cette communauté


=> Phase 3 : Trump


C’est évidemment un schéma caricatural mais ce cheminement est celui que j'ai pu constater depuis que je m'intéresse à la politique, à mon pays et son aire culturelle.

Personnellement je déplore de toutes mes fibres ce retour vers la tribu, mais je ne sais que faire à mon échelle, et quelles personnalités politiques suivre pour empêcher cette sorte de cauchemar.