dimanche 5 octobre 2025

Chanson(32): Demain c'est loin

La chanson Demain c'est loin d'IAM est un uppercut. A chaque fois que je l'entends c'est comme si je me prenais un coup.

Avec ce titre, IAM a pondu une étude sociologique, un résumé partisan mais factuel d'une situation, un pan de vie de cette autre France, celle des pauvres à majorité immigrée et des banlieues pourries.

En huit longues minutes, les chanteurs Kheops et Akhénaton nous brossent chacun leur tour un portrait de la vie de ces gens de nos ghettos, ces quartiers de béton laids et mal vieillis que le chômage, la pauvreté et la fracture ethnique ont transformés en lieux de relégation, en repoussoirs pour le reste de la société.

Les chanteurs décrivent le désœuvrement, le chômage, l'absence de perspectives, l'obsession de l'argent à tout prix sans lequel on n'est rien.

S'ajoutent à ce cocktail des cultures machistes et violentes et la gangrène de la délinquance et de la drogue, dont le mélange constitue le moyen privilégié pour devenir rapidement quelqu'un, c'est-à-dire gagner du fric et du respect.

Et tout ça toujours avec un fond de désespoir, dans le nihilisme, et toujours dans le court terme parce que demain c'est loin comme le dit le titre.

La musique lancinante et dramatique est bien choisie pour porter ses mots, agrémentée comme souvent chez IAM par des bruitages qui soulignent les points forts du morceau.

Il faut l'écouter en regardant le clip, soigneusement tourné et illustrant le propos de manière percutante et sans fard.

Il est impossible de rester indifférent à cette démonstration implacable, cinématographique (un des talents de ce groupe), à ces textes aux mots ciselés, recherchés et dont l'impact est renforcé par le procédé d'anadiplose, chaque vers commençant par les derniers mots du précédent.

Moi qui ne viens pas de ce monde, je suis choqué par le rapport de ces milieux au crime, aux femmes (on fait chier les filles qui n'ont pas de frère), à la violence (tout le monde pisse sur la porte de celui qu'on a banni), à la police, tous évoqués dans la chanson.

Je continue à penser que la pauvreté ne justifie pas tout et que l'Etat ne peut pas tout régler, mais comme IAM je suis convaincu que faire quelque chose avec ces gens qui démarrent dans de si mauvaises conditions devrait être une priorité.

Il faut que pour tous il y ait un demain, qu'ils en aient l'idée et la possibilité, leur permettre de le construire, afin que personne ne reste malgré lui sur le bord de la route.

Il est bon de réécouter ce cri talentueux de temps en temps, pour ne surtout pas l'oublier.


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Next station: Trump

Cela fait neuf ans que Donald Trump a pris la tête des USA, avec une pause Biden entre ses deux mandats.

Sa première élection a stupéfait la grande majorité des acteurs qui donnent le la en terme d’opinions, de politique ou de bon ton.

On a avancé beaucoup d’explications plus ou moins convaincantes, pensé son passage en termes d’accidents, de magouilles ou d’interférences étrangères, mais quand il est passé une deuxième fois, et ce malgré ses casseroles, on ne pouvait plus parler d'accident.

On s’est alors rendus compte qu’il y a plein de petits Trump dans les pays occidentaux, et qu’ils sont doublés de mouvements à contre-courant de ce qu’on attend de la narration d’un Sens de l’Histoire, comme le Brexit ou les Gilets Jaunes.

Malgré les insultes, les invectives, la dissimulation sous les divers tapis et les grandes déclarations, cette tendance est profonde et loin de disparaître.

Je pense qu’hormis toutes les raisons économiques, on peut regarder ce qui se passe sous le prisme identitaire, comme la manifestation d’un retour du refoulé national, voire ethnique, que l’on a voulu considérer comme dépassé, du moins pour les communautés historiques de nos pays d’Occident (l’indulgence étant plutôt de rigueur pour les équivalents chez les minoritaires).

Mes lectures (Fractures françaises, Les yeux grands fermés, Une révolution sous nos yeux, L’archipel français et bien d’autres) et réflexions m’ont amené à distinguer une espèce de cheminement que nos sociétés semblent emprunter par rapport à la question des minorités, qui reste finalement très centrale.


Phase 1 : Minorités = objets

Pendant la première phase, les minorités sont des objets, dans le sens où elles n'interviennent pas directement dans le débat.

Elles deviennent un enjeu mais on ne les écoute pas, en quelque sorte on parle à leur place, on les voit comme dans un état provisoire dans le processus d’assimilation ou comme des gens seulement de passage. Plusieurs étapes jalonnent cette phase:

Etape 1 : le pays est plutôt homogène, avec une majorité reconnue et assumée comme telle, qui domine les autres et donnent la référence aux autres membres de la population, y compris aux minorités.

Etape 2 : il y a une prise de conscience du racisme et des discriminations que subissent les minorités.

Etape 3 : il y a une réaction, qu’elle soit violente ou symbolique, une remise en cause et des changements législatifs/de mentalité.


Phase 2 : Minorités = sujets

Commence alors la phase 2, celles où les minorités décident d’agir directement, et pas forcément en adhérant à ce que la majorité leur propose 

Etape 4 : il y a une prise de parole des minorités dans le nouveau contexte.

Etape 5 : cette prise de parole se matérialise par un débordement de la majorité, y compris celle qui voulait plus d’égalité. Cette majorité prend alors vraiment conscience de l’altérité, et notamment du fait que ce que veulent les minoritaires n'est pas forcément converger et s’assimiler.

Etape 6 : commencent à apparaitre des exigences communautaristes, favorisées par l’immigration massive, la jeunesse des minoritaire et souvent par la dérive du projet multiculturel des élites.

Ce projet a en effet pour effet pervers de ne pas définir de conscience commune, contrairement aux modèles qui l'ont précédé.

Devant ces mouvements, il y a une scission au sein des progressistes, entre ceux qui veulent garder une primauté intellectuelle et transmettre ce qu’ils estiment être des valeurs indépassables, et ceux qui entrent dans le credo du multiculturalisme complet.

Etape 7 : la majorité prend conscience que dans le nouveau système elle n’est plus la référence mais seulement la première et la plus avantagée des minorités, que ça ne plait évidemment pas aux autres, et que la démographie aidant, ça peut tout à fait ne pas durer.

Etape 8 : la majorité prend acte et se saisit des mêmes armes que les minorités pour se constituer en un groupe de pression équivalent.

Cela revient à un abandon de l’universalisme pour un parti des indigènes: puisqu’on n’assimilera pas toutes les minorités et qu'on raisonne en termes de droits des communautés et non plus des individus, constituons nous aussi une communauté.

Etape 9 : trouvons un champion décomplexé pour cette communauté


=> Phase 3 : Trump


C’est évidemment un schéma caricatural mais il ce cheminement est celui que j'ai pu constater depuis que je m'intéresse à la politique, à mon pays et son aire culturelle.

Personnellement je déplore de toutes mes fibres ce retour vers la tribu, mais je ne sais que faire à mon échelle, et quels politiques suivre pour empêcher cette sorte de cauchemar.

vendredi 3 octobre 2025

Ennui provincial

Je vis en Ile-de-France depuis désormais presque 20 ans, en petite couronne pour être plus précis, donc dans une zone connectée, très urbanisée et densément peuplée.

Le contraste avec le minuscule village de mon enfance pouvait difficilement être plus grand, même si avant d'arriver ici j'ai vécu dans deux autres villes provinciales de taille respectable.

Avec le temps cette première période de ma vie s'éloigne de plus en plus mais l'empreinte qu'elle a eu sur moi reste forte, et le sera sans doute toujours.

Mon village a beaucoup changé.

Les quelques commerces fixes qui survivaient dans ma jeunesse (maréchal ferrant, bar, épicerie, boulangerie...) ont fermé.

Les équivalents en camions qui les avaient ensuite remplacés ont disparu aussi.

Les fermes, assez nombreuses, sont devenues plus rares et les friches ont gagné du terrain.

L’État s'est largement retiré: plus de gare, d'école ni de bureau de poste.

Les représentants religieux ont disparu: il y avait un curé et un pasteur dans mon enfance, plus rien aujourd'hui.

Niveau population, la plupart des jeunes sont partis et beaucoup sont morts.

Des propriétaires de résidences secondaires en ont remplacé une partie, souvent des gens liés familialement à l'endroit, mais aussi un très grand nombre de Britanniques venus réaliser leur rêve de campagne ici, une énorme surprise pour tous.

Quand j'étais petit le village était bilingue, tout le monde parlant et comprenant le français et une majorité utilisant le patois local.

Aujourd'hui le bilinguisme est toujours d'actualité mais c'est désormais l'anglais qui a supplanté notre dialecte, que plus personne ou presque ne parle et que je n'ai sans doute plus entendu depuis trente ans.

Dernier point: la commune a été finalement fusionnée avec plusieurs autres.

Toujours est-il que j'ai grandi dans un tout petit monde, aux caractéristiques bien différentes de mon habitat actuel.

D'abord on y était membre d'une famille avant d'être autre chose: le fils machin, la fille untel, on était toujours situé quelque part, héritant même parfois d'une réputation ou du sobriquet attribué à un ancêtre.

Tout le monde connaissant tout le monde, on se surveillait aussi, plus ou moins gentiment.

Çà pouvait donner l'impression d'étouffement qu'on associe souvent aux petites villes, mais cela procurait aussi un sentiment de sécurité, parce que personne n'était indifférent à personne et qu'en cas de souci tout le monde intervenait.

Autre caractéristique: il y avait de l'espace à revendre. En deux minutes de vélo on était dans les champs, jamais de bouchons ou de blocages, toujours la possibilité d'être tranquille.

Et puis il y avait l'ennui, qui m'a inspiré ce post.

La province et la ruralité sont souvent vues à juste titre comme des espaces limités.

Les opportunités, qu'il s'agisse de se divertir, de trouver un conjoint ou un job, sont plus rares que dans les villes, et de plus en plus rares à mesure que la taille diminue.

Les choses et les gens changent moins, quel que soit le domaine concerné, tout dure plus longtemps.

Cela donne le sentiment très fort d'un temps plus lent, plus épais, plus répétitif.

Cela explique aussi pourquoi chaque nouveauté est un tel événement, et que chaque événement est commenté longtemps et abondamment, comme pour le faire durer avant de retourner à la monotonie du quotidien.

Quand on est jeune, curieux d'expériences et/ou ambitieux, c'est pénible, voire insupportable.

Mon adolescence est associée dans ma tête à cet ennui et ce temps arrêté, et je peux voir la même chose sur ma femme et mes enfants, pour qui l'endroit est angoissant à cause de de sentiment qui n'a plus droit de cité.

Avec l'âge pourtant, je suis régulièrement nostalgique de cet ennui provincial et j'ai besoin de me replonger régulièrement dans cette ambiance de mon passé...

Je terminerai avec deux des nombreuses chansons qui portent sur ce thème.

Tout d'abord le Rio Barril de Florent Marchet, qui fait le portrait d'un de ces innombrables petits bleds de l'arrière-pays. Notons la phrase "Ses adolescents / Qui ne reviendront pas".

Ensuite il y a l'une de mes chansons préférées d'Hubert Félix Thiéfaine, l'excellent et bien plus acide Villes natales et frenchitude, qui se conclut par le vers désespéré "Mais faut pas rêver d'une tornade / Ici les jours sont tous pareils". 
 
Enfin il y a le dantesque Demain c'est trop tard du rappeur Mc Circulaire, sorte de pendant rural trash au Demain c'est loin de IAM.

lundi 22 septembre 2025

Réflexions: le peuple et le dictateur

Comme tous les Français nés dans les années 70 j'ai été éduqué dans le culte de la république et dans le rejet des dictateurs.

Cet enseignement était bien hémiplégique, impitoyable avec les versions brunes et plein d'indulgence avec les rouges, mais j'ai néanmoins appris les valeurs démocratiques, l'importance des droits de l'homme, de la séparation des pouvoirs, des libertés individuelles, etc, et intégré l'idée que ces principes allaient de soi et que leurs opposés étaient condamnables.

Aussi j'ai été surpris lorsque j'ai rencontré des gens ayant vécu sous des dictatures et constaté que leurs opinions étaient souvent beaucoup plus nuancées.

Je crois que la première d'entre eux était la mère espagnole d'une amie, qui disait notamment que sous Franco les Espagnols pouvaient circuler comme ils voulaient à l'étranger, relativisant l'image d'une société bloquée et terrorisée.

A la même époque j'ai également discuté avec une collègue haïtienne issue de la bourgeoisie de l'île.

Un peu plus jeune que moi, elle exprimait une certaine nostalgie pour l'ère des Duvallier, dont les Tontons macoutes faisaient les grandes heures des JT de mon enfance par leurs sanglantes exactions.

Cette fille disait entre autres qu'à l'époque de Bébé doc, l'ordre régnait et les gens mangeaient à leur faim.

Après cela lors d'un voyage en Sicile je réalisai que beaucoup de gens y considéraient l'époque fasciste comme un temps où "l'on pouvait dormir la porte ouverte" (citations de grands-parents de l'Italienne qui m'y avait invité), ce qui expliquait que les bustes du Duce se vendent comme souvenirs sans que cela choque personne.

Voir l'homme qui avait fondé le mouvement dont le nom est devenu une insulte diabolisante en France devenir un objet marketing m'avait stupéfait.

Après cela il y eut plusieurs Algériennes qui voyaient positivement les années Boumediene, un personnage dont le sens démocratique n'était pas exactement hypertrophié...

Et enfin, en causant avec quantité de Roumains un peu âgés je constatai que beaucoup regrettaient le temps de Ceausescu pour son ordre, son patriotisme ombrageux et ses certitudes.

A mon dernier voyage outre Carpates j'ai même noté qu'on commençait à vendre des coussins à son effigie.

Et puis il y eut aussi ces sondages déroutants, d'où il sortit que la majorité des Portugais considéraient Salazar comme le plus grand homme de leur pays au 20e siècle, et que pour les Russes c'était Staline.

Tout ceci est troublant.

C'est comme si les dictateurs savent créer un lien avec le peuple qu'ils dominent, qu'en quelque sorte celui-ci sinon les élisent, du moins les adoubent.

On s'aperçoit en effet que nombre d'entre eux ont une sorte de charisme, une connivence avec les masses, souvent inintelligible pour l'extérieur.

Ceausescu a ainsi su conquérir les Roumains par delà le communisme.

Ceux-ci ont réellement et massivement communié derrière lui lorsqu'il feignit de s'opposer au printemps de Prague, flattant leur patriotisme ombrageux (même si l'on sait aujourd'hui que ce n'était pas du tout une opposition frontale).

L'ogre Staline eut aussi recours à cette ficelle en ressortant les épaulettes tsaristes pendant la Seconde guerre mondiale et en chassant le Juif après celle-ci.

Salazar ne jouait pas le jeu du culte de la personnalité, mais son charisme inversé venait de son mode de vie religieux et quasi spartiate, dédié au sérieux de sa tâche.

L'actuel président à vie de la Tunisie, Kaïs Saïed, semble avoir lui aussi séduit par ce côté universitaire pieux et ascétique.

Une autre source de légitimité peut être d'avoir renversé un prédécesseur honni.

Castro obtint l'adhésion des Cubains en mettant fin au régime colonial installé par les Etats-Unis après leur conquête de l'île sur l'Espagne.

La dictature militaire qui n'en finit pas de diriger l'Algérie s'est enracinée lorsque le FLN, auréolé de sa victoire sur la France, était au sommet de sa popularité.

L'épouvantail du Shah a permis aux mollahs de justifier leur prise de pouvoir en Iran.

L'arrivée de Poutine à la tête de la Russie était vue comme le moyen de restaurer une puissance injustement renversée et de lui redonner son rang.

Etc.

Ainsi tout se passe comme si nombre de dictatures commencent par une lune de miel qui permet au régime de s'installer, une vague d'enthousiasme pour un changement vu comme juste ou libérateur.

Le processus qui suit est pourtant toujours le même: réduction des libertés et des voix dissidentes, adhésion obligatoire, fermeture et confiscation de tous les pouvoirs par le(s) dirigeant(s).

Le régime finit le plus souvent par être honni et par tomber, parfois aidé par l'extérieur.

Mais on sait aussi que quelques temps après la chute, devant un nouveau régime qui sera forcément limité et inégal car le régime parfait n'existe pas, viendra la nostalgie, l'idéalisation fatale d'un bon vieux temps où l'ordre régnait, etc.

Lorsque le bloc de l'Est fut dissous, les attentes de ses citoyens étaient immenses.

Le choc du retour dans le monde dit libre a été tout aussi énorme et violent, et beaucoup n'en ont pas profité, ignorant les nouvelles règles, pas toujours aidés et sans doute un peu trop idéalistes.

Devant ce constat, beaucoup en sont venus à se demander si le choix était le bon. Les livres de Svetlana Alexievitch sont sur ce point très éclairants.

Je pense que sur toute la planète une partie des humains, et peut-être une partie de chacun d'entre nous, souhaite suivre un chef qui serve ses intérêts et ceux de son groupe, qui soit admiré et craint, à qui l'on puisse s'identifier et dont on soit fier.

Un homme qui sait répondre à ces aspirations dans un pays pourra emporter celui-ci. C'est vrai s'il est élu, et c'est vrai s'il prend le pouvoir par la force.

Est-ce à dire que les dictatures sont fatales, voire souhaitables, et pas si différentes d'une élection?

Je ne le pense pas pour plusieurs raisons.

D'abord parce qu'un pouvoir absolu est toujours nocif. Sans contre pouvoir il y aura toujours des abus, des profiteurs et de l'injustice. Toutes les dictatures ont écrasé des gens dont la seule faute était de ne pas penser comme c'était imposé.

La deuxième raison, et peut-être la plus essentielle, c'est qu'une dictature finit toujours par se bloquer, par être en décalage avec les générations suivantes, un frein à l'évolution, et donc par être à côté de la plaque.

C'est pour cela qu'une alternance doit être pensée et organisée, pour que tout règne ait une fin programmée, non violente et légitimée, de manière à permettre qu'une autre page de l'histoire commence à s'écrire légalement.

Il est difficile de créer un régime qui fasse cela correctement.

A l'échelle de la France, il nous a fallu plusieurs brouillons pour que la république s'enracine.

La première était empirique et menacée et a vite débouché sur l'Empire, où l'archétype du dictateur moderne, Napoléon Ier, est apparu.

Malgré son bilan humain, son aura était telle que 33 ans plus tard, quand la deuxième république choisit d'élire son président au suffrage universel c'est son neveu, Louis-Napoléon, qui emporta l'élection haut la main, simplement grâce au prestige de son nom.

Trois ans plus tard, il commettait le putsch qui fit de lui Napoléon III, créant un précédent qui fit que les troisième et quatrième républiques se méfièrent du suffrage universel pour le président.

C'est le général De Gaulle qui rétablit ce système, créant la république dans laquelle nous vivons, qui fut un système assez efficace avant de se déliter pour arriver à la sorte d'impasse où nous nous trouvons actuellement.

Celle-ci fait que de plus en plus de Français rêvent à nouveau d'un homme fort, qui les fasse vibrer et qu'ils aient envie de suivre.

Si celui-ci se présente, espérons qu'il sera plus un De Gaulle qu'un Pétain, et qu'on ait la sagesse de ne pas jeter aux orties la démocratie, le pire des régimes à l'exclusion de tous les autres, comme le disait Winston Churchill.

L'arabité de la France

Il y quelques temps, j'avais vu une interview de la journaliste Florence Aubenas où elle proclamait que la France devait reconnaitre son arabité, tout comme les Américains sont censés reconnaitre leur hispanité.

Elle ajoutait que l’arabe était la deuxième langue du pays, qu'on devrait la reconnaitre et la promouvoir, et proposait pour cela que l'on mette entre autres le paquet sur son enseignement, et elle se désolait du peu de cours et d'élèves dans cet idiome.

Ça me semble un raccourci facile et teinté d'idéologie. Je vais expliquer pourquoi.

1- Des liens anciens et réels entre la France et le monde arabe

Dire que la France et le monde arabe ont des liens forts depuis très longtemps, c'est vrai.

Il y eut d'abord la grande invasion arabe, avec des conquérants qui montèrent jusqu'à Poitiers, comme le dit la tradition, et occupèrent durant un siècle une partie de notre sud.

Pendant l'apogée de cette civilisation qui fut un trait d'union entre Afrique, Europe et Asie, la langue arabe devint un vecteur de science et de culture qui rayonna sur notre continent et notre pays, de nombreux termes étant introduits à ce moment-là dans le français.

Ensuite il y eut les croisades, longue période au cours de laquelle les chevaliers européens envahirent la Palestine et le Liban après que les pouvoirs musulmans en place y aient interdit les pèlerinages chrétiens. La France fut très présente dans ce mouvement.

Après cela, il y eut la campagne napoléonienne d'Égypte, durant laquelle les troupes françaises renversèrent les Mamelouks et firent de ce pays un ami/obligé de l'Hexagone.

A partir de cette date naquit une passion française jamais démentie pour le pays des Pyramides, les ingénieurs hexagonaux y dirigeant la mise en place du canal de Suez et tentant de s'y implanter avant de se faire devancer par le Royaume-Uni.

Il y a également les liens séculaires tissés avec les chrétiens d'Orient, clients traditionnels de la France du temps de l'empire ottoman, suivi, lorsque ce dernier fut démantelé, par les mandats sur la Syrie et le Liban.

Il y eut enfin la constitution d'un Maghreb français, commencé en 1830 par la conquête de l'Algérie et terminé en 1962 par l'indépendance de ce même pays.

Porté par cette histoire, il y eut enfin et surtout les flux migratoires associés, qui sont aussi anciens que conséquents et qui continuent encore aujourd'hui.

Pieds-noirs s'installant en Algérie puis expulsés 130 ans après, migrants maghrébins coloniaux, puis de travail, puis de regroupement familial venus en France, Libanais venus faire du business ou fuir la guerre civile, depuis peu retraités s'installant au Maroc ou stars y achetant un pied-à-terre, etc...

Les liens sont donc indéniables, les échanges anciens et profonds, et d'un point de vue linguistique, les termes arabes passés dans le français sont légion (le contraire est aussi vrai), sans qu'on en soit forcément conscients, et le Maghreb reste notre premier fournisseur de migrants, avec des diasporas présentes sur tout le territoire.

2- Quelle langue arabe?

Pour autant, la langue arabe est-elle la deuxième langue de France? Il serait intéressant de savoir tout d'abord de quel arabe on parle.

En effet l'arabe est plus un groupe de langues qu'une langue, et dans la plupart des pays de cette aire linguistique, il y a au minimum deux arabes, celui qu'on écrit et celui que l'on parle.

Le second est en général compris et parlé par la majorité mais ni codifié ni écrit, et le premier est la langue savante unifiée, dont la maitrise est le fait d'un nombre plus ou moins grand d'habitants, sachant que chaque pays le prononce par ailleurs à sa façon.

Si l'on ajoute que dans beaucoup de ces pays il existe d'autres langues, comme les langues berbères maghrébines (on sait que la part des kabyles dans l'immigration algérienne en  France est majeure), antérieures à l'arabe, ou le français que le départ des colons n'a pas éradiqué, on voit que le tableau est loin d'être simple. 

D'ailleurs aujourd'hui encore et surtout au Maghreb, qui est quand même la zone d'origine de 90% de ceux que Madame Aubenas désigne, on se débat dans des questions identitaires où la langue n'est pas le moindre souci.

Pour donner une idée de la complexité du problème, un ami marocain me disait que la distance entre le marocain de la rue et l'arabe littéraire unifié est la même que celle qu'il y a entre le latin et le français, et un collègue tunisien vivant en France qu'il était impossible d'apprendre sa langue à sa fille de manière formelle, d'autant moins que sa femme étant marocaine, l'arabe des deux parents n'était donc pas le même.

En fait, ces arabes dialectaux ne sont ni codifiés ni appris dans aucun des pays où on les parle.

Actuellement, la plupart des pays dits arabes tentent d'imposer l'arabe littéraire à l'ensemble de leur population, parfois à côté d'autres langues, coloniales, autochtones ou de business, parfois de manière unique mais dans l'idée, issue du panarabisme jadis flamboyant, d'arriver à recréer par la langue l'unité fantasmée des premiers califats.

Mais en parallèle il y a certains militants qui déclarent vouloir faire connaitre à l'arabe le destin des langues latines, à savoir l'abandon de la langue mère pour la remplacer par les langues parlées au quotidien.

En gros, comme le latin a généré notamment le français, le portugais, l'espagnol, l'italien et le roumain, ils voudraient que de l'arabe sortent une langue algérienne, marocaine, tunisienne, égyptienne, etc.

Ce mouvement est aujourd'hui anecdotique, mais qui sait dans quel sens soufflera le vent demain? Il semblerait qu’on constate par ailleurs un désintérêt relatif de l’arabe unifié au profit des dialectaux, mais aussi…de l’anglais comme partout ailleurs.

Du coup l'idée de faire apprendre l'arabe en France est techniquement compliquée, puisqu’à l'inverse des enfants de Chinois, d'Iraniens ou de Polonais, la langue enseignée aux Français issus du monde arabe ne sera pas celle de leurs parents, mais une langue construite, surtout utilisée à l'écrit et que généralement ils ne parleront pas.

L'histoire prouve qu'il est très difficile de faire adopter une langue recrée ou oubliée: je ne connais que le cas de l'hébreu israélien qui ait réussi (le gaélique n'a jamais vraiment repris en Irlande, par exemple).

Cette petite digression sur la langue est le premier point, à savoir comment mettre techniquement en oeuvre l'enseignement d'une langue diglossique et savante qui ne parlera à pas grand-monde.

3- L'arabité de la France

Quant à l'arabité de la France, de quoi parle-t-on exactement?

Doit-on également parler de la part ibérique de la France, puisqu'on a reçu des immigrations portugaise et espagnole? Ou de sa part slave, puisqu'on a reçu également beaucoup de Polonais et de Russes?

Et à quoi rattacher sa part italienne, si importante dans le temps?

Et où met-on la vague subsaharienne actuellement en expansion? 

Les "Arabes" de France sont-ils des Français distincts des autres, différents et voués à le rester ou bien une souche parmi toutes celles qui ont fait et font notre pays?

Les promoteurs du multiculturalisme sont d’avis de figer chaque communauté pour l’éternité, eux qui semblent considérer que tout un chacun doit rester dans sa case d'origine à tout jamais (oubliant au passage que cette case est elle-même le résultats de mouvements historiques et de mélanges).

Mais outre que cette idée est à l'opposé de toute l'histoire de notre pays, l’appliquer risquerait de compliquer encore plus le fonctionnement de nos sociétés déjà bien fragmentées. 

D'ailleurs si l'on valorise et reconnaît l'arabité, quid des autres identités autochtones et de leurs langues associées ? Doit-on relancer l’enseignement du breton, de l'occitan, des créoles, du corse, de l'alsacien, du chti, j'en passe et des meilleurs?

4- Conclusion 

Je pense comprendre ce qu'a voulu dire Florence Aubenas.

Les origines arabes sont globalement mal vues en France, pour différentes raisons.

Il y a d'abord tout un refoulé colonial qui touche les deux côtés des Français et dont on n'arrive pas à se dépêtrer.

Il y a la sur représentation du Maghreb parmi nos criminels et délinquants, comme jadis ont pu l'être les Italiens, ce qui amène à des raccourcis faciles et fait oublier tous ceux qui font tourner le pays dans la discrétion à côté des autres Français.

Il y a le jeu pervers joué par nos ex-colonies, Algérie en tête, qui utilisent sans vergogne la culpabilité occidentale pour mener leur barque et mobiliser leurs populations.

Il y a la confiscation de cette aire culturelle par des mouvements islamistes et identitaires qui veulent plaquer leur vision monolithique, fermée et rigoriste sur cette culture, pourtant aussi riche et diverse que toutes les autres.

Mais en réalité, les cultures francarabes existent depuis des lustres.

Elles sont nées des échanges, des confrontations et des influences mutuelles.

Elles ont créé des lieux de vie, des musiques, des modes, des plats, des habitudes.

Elles ont donné des films, des magazines, des labels de musique, des cafés.

Des artistes comme Lili Bonniche, Khaled, Enrico Macias, Zebda, Rachi Taha et tous ceux que je ne connais pas ont un pied plus ou moins important dans cette culture, et leurs successeurs plus jeunes sont encore plus nombreux.

Que cette part de France ait droit de cité, qu'on en valorise la richesse et les côtés positifs, qu'on en montre les nuances pour sortir du cliché arabe = racaille/trafiquant/terroriste me semble en effet important.

Mais pour toutes les raisons citées plus haut que pour cela on mette le paquet sur la langue arabe me semble une mauvaise idée.

Sans compter deux derniers arguments plus pragmatiques.

Le premier c'est de savoir comment on financera cette nouvelle option, qui concernera malgré tout une minorité d’élèves: à l’heure des vaches maigres cela pose question.

Le deuxième c'est l’effondrement du niveau en français, qui devrait être la priorité de ce pays.

lundi 15 septembre 2025

Chanson(31): Que je t'aime

La chanson Que je t'aime est peut-être le plus célèbre des hits de Johnny Hallyday, artiste qui n'en fut pourtant pas avare.

Elle est sortie une première fois en 1969, puis dans une nouvelle version en 1982 et une troisième fois en 1988, année où je la découvris.

Je me souviens avoir immédiatement été marqué par ce morceau (et pas seulement par le strip tease de la jolie fille en arrière plan du clip qui ne laissait pas de bois le préado que j'étais).

Comme je le disais dans le post que je lui ai consacré, si le roi du rock français m'impressionnait, je n'en ai jamais été particulièrement fan, mais Que je t'aime a pour moi une place particulière.

En effet je trouve que ce titre exprime exactement la magie que l'on peut éprouver lorsqu'on fait l'amour avec quelqu'un dont on est amoureux, ce tumulte d'émotions et de sensations, et ce bonheur intense qui déborde.

Les paroles, souvent raillées et parodiées, sont pour moi très belles, d'une poésie simple qui me va droit au coeur, Les images se succèdent, on voit les amants se chercher, se trouver, se relancer, alterner le lead, se retenir puis oser et succomber. 

Chaque mouvement est ponctué par les impérieux Que je t'aime, à la fois cris d'adoration et supplications d'un homme qui est littéralement submergé par l'amour.

Ce texte est porté par une mélodie parfait, douce et entêtante lors des couplets, éclatante lors du refrain avec leur explosion de cuivres. 

Ce morceau nous emporte, et lorsque Johnny crie "Que je t'aime" avec son fantastique talent, on a l'impression qu'il vit ce moment et qu'on le vit aussi, et je comprends que son interprétation ait suscité de véritables scènes d'hystérie et des malaises chez ses fans.

Lorsque le taulier nous a quitté, me rendant à ma grande surprise un peu triste, j'ai eu ce morceau dans la tête plusieurs jours d'affilée, et je me suis rendu compte qu'il allait rester dans la liste des chansons françaises qui me sont chères.

Petit bonus: Mariah Carey, de passage en France, a rendu à l'époque un hommage surprenant à ce chanteur qu'elle ne devait pas connaître. J'avais trouvé ça touchant.


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lundi 1 septembre 2025

Pays disparu

Il y a pas mal d'années je me suis retrouvé à dîner dans un restaurant libanais de la banlieue parisienne, et en discutant avec le patron, celui-ci me dit que son pays avait disparu.

Il faisait référence à la bascule de population qui avait transformé sa ville d'origine, la faisant passer selon ses dires d'une cité multi religieuse, jouisseuse et sécularisée à un bastion du chiisme aux femmes voilées.

Il devait avoir la cinquantaine, était très factuel et aussi simple que sans concession dans sa description. Ce dialogue m’avait marqué.

Aujourd'hui j'ai moi aussi la cinquantaine et cette conversation me revient insidieusement.

Nous ne sommes pas le Liban mais il faut être aveugle pour ne pas constater la communautarisation en cours.

A la séparation par l'argent, qui a toujours existé mais s'est amplifiée avec l'explosion des prix de l'immobilier des dernières décennies, s'est ajoutée une autre séparation, par l'origine et par la religion, et il est de plus en plus évident que celle-ci est un choix globalement assumé, et pas seulement par le côté qu'on croit.

J'ai ainsi été frappé de constater dans la maternelle de mon aîné la mise en place spontanée de deux groupes de parents pendant les événements type fêtes ou réunions: les mères voilées d'un côté, celles qui ne l'étaient pas de l'autre.

Parmi les familles de cette banlieue, maghrébines, chinoises, africaines, portugaises, moldaves, roumaines ou françaises "de souche", c'est là qu'était la frontière principale.

Je notais aussi parmi les mères voilées, surtout les jeunes, un évitement évident envers moi, avec des regards fuyants et une prise de distance automatique, probablement parce que je suis un homme.

Mon fils devenu grand m'a dit avoir constaté à l'IUT la poursuite de cette séparation, les filles voilées et les garçons ne se mélangeant pas dans les amphis.

Pas de franche hostilité ceci dit, plutôt une volonté affirmée de se préserver du mélange et une priorité accrue donnée aux lois et coutumes d'origine.

J'ai aussi remarqué cela dans les VVF, où des mères musulmanes, ignorant totalement les instructions affichées partout, venaient surveiller leurs enfants à la piscine complètement habillées, chaussées et voilées.

Le communautarisme est globalement la norme dans l'Europe du nord et dans le monde anglo-saxon, ce qui a sans doute encouragé notre gauche, toujours avide de contre-modèles, à l'adopter, et notre société jadis assimilatrice à y adhérer.

Les tendances de notre démographie, avec une hausse constante du poids de l'immigration dans les naissances (Nicolas Fourquet nous indique que 25% de nos bébés sont issus de deux parents étrangers et que 20% d'entre eux ont des prénoms musulmans) favorisent évidemment cette option.

On n'est pas dans le mythique grand remplacement, mais le changement est bien réel, profond et documenté, n'en déplaise aux démographes politisés qui transforment les Pieds-Noirs en Maghrébins (ces magouilles étant une preuve en soi du phénomène).

Je parle de l'islam et de son importance à cause du restaurateur qui m'a inspiré ce post et à cause de son poids dans notre immigration, mais ma réflexion va au-delà de ça.

Un exemple frappant de l'impact de ces mouvements de population pour le quinquagénaire que je suis est la prononciation de mon nom.

Il n'a posé de problème à personne pendant mes trente premières années d'existence mais aujourd'hui il est écorché dans 90% des cas.

Ce n'est ni intentionnel ni malveillant, c'est juste que mes interlocuteurs immigrés (car les immigrés restent surreprésentés dans les jobs d'accueil et/ou à faible valeur ajoutée) ne connaissent tout simplement pas la prononciation correcte parce qu'ils ont un autre bagage.

Je ne veux toutefois pas tomber pas dans le piège facile d'expliquer tous les changements de la société française par l'immigration de masse: il ne faut pas oublier que depuis toujours, chaque génération opère des ruptures avec les précédentes.

Par exemple un retour de Dieu et un souhait d'ordre après la vague soixante-huitarde n'ont rien de surprenant.

Il est aussi logique que l'avènement des smartphones, de l'hyper connectivité et des réseaux sociaux changent les modes de vie et les comportements: on le voit dans absolument tous les pays du globe, immigration ou pas.

L'accroissement du poids de l'UE est également puissamment structurant: la norme vient désormais autant sinon plus de Bruxelles que de Paris, et là-bas c'est le plus petit dénominateur commun entre membres qui prime, c'est-à-dire bien souvent l'influence étasunienne.

Enfin nos sociétés européennes et française n'ont jamais été aussi vieilles, et l'on sait que l'âge a un impact sur la perception des nouveautés, de la mentalité, du risque et des modes de vie.

A cinquante ans, on a déjà fait un bout de chemin et le monde de sa jeunesse n'existe plus. Du coup, peut-être bien que chaque génération finit par vivre dans un pays disparu, que c'est la norme, un sentiment naturel.

Et du coup pour en revenir à mon point de départ et à mon restaurateur libanais, qui sait si sans chiites il n'aurait pas fini par ressentir cette impression sous une forme ou une autre?

Bien évidemment, le changement qu'il décrivait est objectif, tout autant que celui qui se passe chez nous, mais je pense qu'il est toujours difficile de faire la part des choses et tentant de tout expliquer par une cause unique et de de penser que c'était mieux avant.

Ce piège m'est apparu très clairement en lisant L'identité malheureuse d'Alain Finkielkraut, où l'auteur décrivait des situations et des problèmes bien réels mais dont les phrases et les questions étaient aussi celles d'un vieil homme qui comprenait moins son époque.

Mon pays disparaît ou change plus vite que moi.

lundi 25 août 2025

Chanson (30): In memoriam Philippe Henriot

Je ne sais plus comment j'ai entendu parler du groupe Les joyeux de la princesse, mais je me souviens avoir été puissamment marqué par son titre In memoriam Philippe Henriot.

Ce morceau qui n'en est pas vraiment un est construit autour d'un discours de la célèbre voix de Radio Paris qui diffusa avec un grand talent et jusqu'à son exécution par des résistants la propagande nazie et pétainiste sur les ondes françaises.

Le titre suit la structure de ce long discours, en posant quelques rares effets (échos) sur la puissante voix d'Henriot, en en doublant quelques extraits qui sont comme des mantras (La vie n'est pas neutre, elle consiste à prendre parti hardiment !) et en accompagnant sa progression avec des nappes de synthés.

C'est très épuré, et le résultat est saisissant: ce mélange théâtral hypnotise et angoisse, et l'on se sent pris dans les filets de l'époque et de la voix du sinistre prophète (un de mes fils était terrorisé après l'avoir entendu).

Ce morceau singulier m'a entraîné à en savoir plus sur ce groupe, et là, étonnement: le web, et encore plus le web francophone est très avare sur le sujet (il n'existe notamment pas d'article dans le wikipédia français, mais dans les espagnol et allemand).

J'ai fini par apprendre que son maitre d'oeuvre était belge, qu'on rattachait ce groupe à la musique industrielle, noise ou dark ambient, et que leur signature était le recyclage de documents historiques, notamment des années 30 et de l'Occupation, comme ce fameux discours, ce qui leur vaut une réputation sulfureuse et parfois le rattachement à la fachosphère/au néo-nazisme.

Ils sont également connus pour vendre leurs oeuvres dans des packagings très soignés, voire luxueux, et ne les produire qu'en série limitée pour des connaisseurs/collectionneurs.

A ce que j'ai pu en voir certains peuvent être choquants, comme l'oeuvre intitulée Zyklon B qui se présente sous la forme d'un bidon du gaz éponyme, ce qui va bien dans le sens d'une ambigüité et explique peut-être leur peu de visibilité dans nos medias, assez unanimes et impitoyables dans la chasse aux fachos réels ou fantasmés.

J'ai aussi vu un disque sous forme de cercueil, un autre dédié au mouvement allemand antinazi de la Rose blanche avec plein de documents, etc.

Bien entendu, ces circuits parallèles et ce côté underground m'ont attiré et entrainé à en savoir plus, mais ce que j'ai pu entendre d'autre ne m'a guère emballé (à part ce duo mélancolique avec Philippe Laurent, un autre musicien que je ne connais pas).

Je me suis également demandé comment on peut faire carrière en dehors des pistes balisées, et aussi si à l'heure de YouTube ce genre de groupe n'est pas condamné.

Au final, je ne peux pas dire si j'aime ou non LJDM, comme semblent les appeler les initiés, mais je reste impressionné par leur parcours, comme par celui de tous ceux qui choisissent un difficile chemin en dehors des clous, et In memoriam Philippe Henriot est un titre particulièrement marquant.

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lundi 28 juillet 2025

Suicide assisté

La semaine dernière j’ai vu un film, Les Invasions barbares, qui se termine par un suicide assisté clandestin.

L’homme concerné souffre d’un cancer incurable et douloureux, il est suffisamment riche pour pouvoir se payer des soins palliatifs alternatifs et passer ses derniers instants dans une maison de campagne.

Il est par ailleurs bien entouré, de partenaires, d’amis, d’enfants, etc…

Dans ces conditions, il me semble difficile d’être contre cette idée de suicide assisté, qui suscite tant de débats aujourd’hui.

Quand la personne a toute sa tête, qu'elle souffre, qu’il n’y a plus d’espoir médicalement parlant, qu’elle souhaite mourir en connaissance de cause et n’a ni la force ni les moyens d’en finir elle-même, pourquoi le lui refuserait-on ?

L’autre cas où pour moi l'assistance à la mort est envisageable est celui d’une personne dans un état végétatif final, dans l'un de ces comas totaux avec le cerveau trop abîmé pour interagir avec le monde.

Dans ce cas, que les proches puissent intervenir pour décider de précipiter la fin ne me choque pas.

C'est néanmoins beaucoup moins évident de trancher dans ce cas, surtout si la personne est jeune, d'abord parce qu'elle ne peut pas s'exprimer, et aussi parce qu'on ne sait pas ce qu'elle pense et s'il reste ou non de l'espoir.

Le cas du footballeur Jean-Pierre Adams, mort après presque quarante ans de coma illustre bien le fait que cette question n'est pas triviale du tout: en autant d'années on pouvait avoir l'espoir que la science aurait pu faire quelque chose.

Personnellement, j’ai à peu près vécu les deux configurations.

D’une part mon frère quadragénaire a demandé d’arrêter les traitements et de basculer sous morphine jusqu’à la fin (qui a été très rapide) quand son cancer est arrivé à un stade insupportable.

D’autre part une personne âgée de ma connaissance a eu le cerveau détruit par un accident vasculaire sans espoir de retour arrière ni de pouvoir bouger, et sa famille a plus ou moins décidé de la débrancher.

Pour ces deux cas, qui sont peut-être un peu à la limite de la légalité dans notre pays, l’aide à la fin me semble justifiée.

En effet, à chaque fois l’échéance a juste été un peu accélérée, et l'on était dans des configurations où il n’y avait pas d’alternative et où ne rien faire aurait entrainé beaucoup de douleur.

Ces exemples militent pour la légalisation de la fin de vie assistée, comme certains pays l'ont fait.

Ainsi le Canada, où j’ai lu que désormais 5% des décès sont des suicides assistés. Là-bas cette solution semble bel et bien passée dans les mœurs et elle concerne aussi beaucoup de jeunes.

J’ai déjà parlé de l’envie de mourir qui m’a parfois traversé l’esprit comme à tant de gens, et des garde-fous qui m’avaient empêché de passer à l’acte, essentiellement les gens pour qui je compte, famille en tête.

C’est à cause de ce dernier point que l’euthanasie légale m’inspire aussi de grandes inquiétudes

La part de gens âgés est croissante dans nos sociétés, et ce n’est pas près de s’arrêter.

En effet non seulement l'espérance de vie augmente, mais une part croissante des personnes âgées n’a pas d’enfant non plus, et cette absence de descendance augmente le poids relatif des seniors.

J’ai vu avec mes grands-parents et désormais avec mes parents que pour la plupart des gens un moment arrive où l'on décline et où l'on n’arrive plus à s'en sortir seul.

Cet âge est différent selon les personnes, mais tout le monde ou presque finit par être concerné.

A ce moment-là, la solitude n'est pas seulement difficile à vivre, elle devient aussi un handicap au quotidien, quand faire ses courses, remplir ses papiers ou se laver devient une épreuve parfois insurmontable.

Dans les sociétés traditionnelles, dont la nôtre il n'y a pas si longtemps, on attend qu'au moins l'un des enfants s'occupe des anciens sur le déclin et les accompagne jusqu'à la fin.

Ce n'est évidemment ni parfait ni garanti, certains enfants maltraitent leurs vieux, ou bien les négligent, ou s'en occupent mal.
 
De Thérèse Raquin à Ces gens-là en passant par La route au tabac, les livres, les films et les chansons sont pleins de ce genre de cas (ceci pour rappeler que non, tout n'était pas mieux avant).

Dans nos pays riches c'est désormais l'état providence qui a pris le relais pour s'occuper des gens en fin de vie, de manière à compenser la raréfaction des enfants, leurs plus fréquent éloignement géographique et la montée de l'individualisme.

Là encore ça se fait avec plus ou moins de bonheur; selon les infrastructures et surtout selon les revenus, en escomptant que les enfants s'impliquent, surveillent, corrigent le tir et/ou complètent la vie par des visites, de l'argent, du contact humain, etc.

La tendance que je citais précédemment montre toutefois les limites de ce nouveau modèle.

Comme je le disais le nombre de personnes âgées qui n'ont personne va croissant, et le coût de leur prise en charge par la société avec.

Et du fait qu'en même temps on a de moins en moins d'enfants, un nombre également croissant de ces anciens se retrouvent seuls pendant leurs vieux jours, et donc complètement dépendants du bon vouloir des institutions.

Une autre conséquence de la baisse des jeunes est le recours massif à l'immigration, notamment pour les métiers plutôt ingrats qui sont liés à la prise en charge des personnes âgées.

Je ne critique évidemment pas les personnels d'origine étrangère en disant cela, mais fait le constat que leur présence s'accompagne d'une distance culturelle plus grande entre soignants et soignés, pas toujours facile à vivre à des âges où l'on craint souvent le changement.

J'avais été frappé dans un reportage sur des destins d'immigrés de France par une infirmière maghrébine racontant que sa présence rassurait beaucoup les chibanis pour lesquels elle travaillait. L'inverse est évidemment vrai aussi.

Tout ça pour arriver à ma conclusion.

Un nombre d'anciens qui augmente en valeur absolue et relative.

Un nombre croissant d'entre eux qui n'ont pas de descendance, augmentant leur solitude, leur incapacité à se prendre en charge et aussi leur déconnexion du monde, car on sait que fréquenter des gens plus jeunes maintient les capacités sociales et cognitives.

Des coûts de prise en charge qui se font de plus en plus lourds pour la société et les actifs, beaucoup de ces derniers n'ayant aucun lien avec les retraités.

Et à côté de ça un suicide assisté légal et facilement accessible.

Tout ça pour dire qu'il n'est pas difficile de craindre une sorte d'âge de cristal feutré où les dirigeants d'EHPAD, d'autres structures ou même l’État mettent une pression insidieuse pour pousser les anciens les "moins rentables" à signer pour leur euthanasie.

Quand on voit les scandales réguliers de la maltraitance en maison de retraite, les arnaques visant spécifiquement les seniors ou leurs agressions, cette idée ignoble ne semble pas si irréaliste.

En tout cas, c'est le bémol que je mets à cette idée de suicide assisté.

lundi 9 juin 2025

Cinéma(29) : La fièvre du samedi soir

Voici pas mal d'années, j'ai regardé La fièvre du samedi soir.

Du fait du caractère hyper kitsch de la culture disco et de son côté iconique, je m'attendais à une comédie musicale ridicule et sucrée. J'en ai été pour mes frais: cela n'avait absolument rien à voir avec ça.

Bien sûr, le disco, dont le film a été un accélérateur de diffusion, est très présent, avec cette bande son entrée dans la légende, avec les incroyables fringues associées à ce mouvement et avec ces scènes culte où Travolta gagna ses galons de star mondiale de la danse.

Mais Saturday night fever ne se résume pas du tout à ça.

En fait, le réalisateur brosse le portrait d'un petit groupe de prolos new yorkais issus de la communauté italienne qui vivotent dans le coin, entre balades en bagnole et sorties le samedi soir au 2001, la discothèque où Toni, le personnage incarné par Travolta, est le roi de la piste.

Frimeurs, bagarreurs, plutôt racistes et homophobes, pourvus de parents globalement bigots et machos, on ne peut pas dire que ces jeunes soient particulièrement sympathiques.

Ils correspondent à un modèle NYC 78 de nos racailles de banlieue d'aujourd'hui.

Leurs virées ont un côté sordide, entre picole, moqueries des homosexuels ou supposés tels, insultes des noirs et latinos et baise express à tour de rôle sur la banquette arrière de la voiture du souffre-douleur de la bande, un jeune plus timoré, dont on se demande s'il n'est pas là que parce qu'il est justement motorisé.

On se rend vite compte que Toni, plus ou moins consciemment, étouffe dans cette vie.

Ses parents le prennent pour un bon à rien, ils le tiennent pour responsable de l'abandon de la prêtrise par son frère aîné jusque-là juché sur un piédestal, ils raillent ses tenues et l'augmentation minable que lui accorde son boss, etc.

En fait il aspire à autre chose, d'abord dans la danse, pour laquelle il a une véritable passion, mais pas que.

Cette envie de changement va se préciser lorsqu'il rencontre Stéphanie, une danseuse issue du même milieu que lui mais plus ambitieuse.

Cette dernière, même si elle accepte de participer avec lui au concours de danse du 2001, le prend tout d'abord de très haut, en lui balançant maladroitement des morceaux de "Culture" prédigérée, avant qu'il ne se rende compte qu'elle n'est pas ce qu'elle dit : elle fait semblant, elle s’invente une vie pour être admirée.

Ce démasquage et la succession de plusieurs événements un peu cruels vont pousser Toni à prendre conscience de la petitesse et des limites de son monde. 

Il y a le jour où la Marie-couche-toi-là de la bande s’effondre, laissant voir sa fragilité et à quel point elle est piégée dans ce rôle.

Il y a la descente violente et dangereuse que fait sa bande chez de jeunes latinos suite à l’agression d’un des leurs, avant que celui-ci ne leur avoue qu’il n’était même pas sûr qu’il s’agissait d’eux et qu’il ne les a désignés que par un raccourci raciste.

Il y a l'accident fatal du timide de la bande, qui après avoir tenté en vain d’attirer l’attention de Toni sur le drame qu’il est en train de vivre (il a mis enceinte une fille qu’il n’aime pas mais devra épouser), meurt en voulant faire le mariole sur un pont, comme ses amis.

Il y a enfin le fameux concours de danse, remporté par Toni face à un couple meilleur que lui mais qui a le malheur d’être composé de "métèques".

Toni pousse alors un coup de gueule contre ces faux-semblants et l'hypocrisie de ce concours truqué, et quitte la boîte furieux.

Après cette scène le film se termine de façon ouverte. On comprend que son héros a déménagé et qu'il démarre une nouvelle vie, pas forcément meilleure mais qui sera la sienne.

Au final, Saturday night fever c’est l’histoire d’un ado parti d’un milieu pas facile et qui grandit, au prix d’un inévitable reniement et de la mise de côté de ses pairs moins chanceux ou plus limités.

Ce message est universel est intemporel, bien au-delà des strass, des néons et de la musique des Bee Gees, et c’est sans doute le secret de son succès, plus que mérité.


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mercredi 4 juin 2025

Cinéma (28) : Le train sifflera trois fois

Si je fais partie des générations que le Far West a fasciné (Playmobils, BD, etc) je n'aime généralement pas du tout les westerns américains dits classiques.

On sait que les mythes associés à la conquête de l'Ouest ont été largement inventés par les migrants qui ont fait Hollywood et que la réalité était loin de la carte postale.

La Bible et le fusil, la sainte constitution, les hommes libres, les héros à la mâchoire serrée et à la chemise impeccable partis civiliser des terres sauvages en y massacrant les indigènes tous fourbes et cruels, l'esprit de la frontière et la destinée manifeste, tout ceci m'insupporte.

Je suis revenu de ma longue passion pour le monde amérindien, commencée avec les mystérieuses cités d'or, j'ai remis les gens, indigènes compris, à leur juste place dans un monde qui n'est pas noir et blanc, mais je continue à détester le colonialisme bien pensant qui est la toile de fond des vieux westerns.

Pourtant, le film dont je vais parler aujourd'hui est un western classique: il s'agit de High Noon, connu sous nos cieux sous le nom de Le train sifflera trois fois (joies de la traduction...).

Il a été tourné en noir et blanc en 1952 par l'émigré juif autrichien Fred Zinnemann, dont je ne connais pas grand-chose, et l'histoire qu'il raconte est aussi simple que forte.

Le héros est un shérif vieillissant incarné par Gary Cooper, qui vient de se marier avec une jeune quaker jouée par Grace Kelly.

Au début du film, il a prévu de rendre son étoile et de commencer une nouvelle vie, mais la nouvelle lui parvient qu'un homme qu'il a condamné par le passé a prévu de revenir en ville pour se venger, en s'accompagnant d'autres truands (parmi lesquels on compte le tout jeune Lee Van Cleef)

Par sens du devoir et malgré les supplications de sa femme, il décide de décaler sa démission et de faire face à cette situation.

Pendant toute la première partie on le voit tenter de recruter des aides parmi les hommes de la ville pour l'épauler, et ceux-ci la lui refuser à tour de rôle et pour diverses raisons.
 
Au final, c'est seul qu'il va affronter quatre hommes dans un combat où ses chances sont minces.

Il ne les vaincra que grâce à l'intervention inattendue de sa femme, qui met en pause ses convictions religieuses pour le sauver en abattant le dernier de ses adversaires.

Le film se termine par le départ du couple de la ville et la démission effective du shérif, qui part plein de mépris et de rancœur pour la lâcheté des habitants.

Les acteurs jouent remarquablement bien et la tension croissante est d'autant mieux rendue que le film est tourné en temps réel.

Le spectateur ressent ainsi l'angoisse de Gary Cooper tandis qu'approche l'heure où le train arrivera en gare pour le rendez-vous fatal et qu'il prend conscience du tragique de sa situation.

On dit que Le train sifflera trois fois fut tellement détesté par John Wayne, qui le qualifia de "non américain" et qui représente tout ce que je déteste dans le western classique, que celui-ci lui répondit avec le film Rio Bravo.

Personnellement je crois pourtant le premier bien plus réaliste que toutes les chevauchées héroïques auxquelles le duke a prêté sa silhouette.

Les humains sont généralement lâches, le sens du devoir est rare et plus encore le sont les gens prêts à mettre volontairement leur peau en jeu pour la justice, pour des principes ou simplement pour aider.

Et comme toutes les colonies ou les zones frontières l'Ouest étasunien était souvent un univers sans foi ni loi où tous les coups étaient permis et où seul le plus fort comptait.

L'autre message très fort du film est le reniement de la mariée quaker, quand influencée par l'ex-maitresse mexicaine du shérif, elle utilise à son tour une arme.

Ce passage est un moment bouleversant d'humanité car cette action qui va contre ses convictions est une preuve d'amour autant que de bon sens, une sorte d'antidote à cet héroïsme stupide autant exalté qu'il n'existe que rarement.

Le train sifflera trois fois fut un succès qui marqua beaucoup de gens (tout le monde n'est pas John Wayne) et l'expression to be high noon, qui signifie être seul face à une merde grave, viendrait de lui.

Il aurait aussi inspiré le film de SF qui m'a donné envie de le voir, Outland, où l'action est transposée dans une station minière dans l'espace et le shériff joué par Sean Connery.


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mardi 3 juin 2025

Chanson (29): Didi

Le style de musique algérien qu'on appelle raï est né dans la région d'Oran.
 
Chanté généralement en arabe dialectal, ses racines sont issues de la culture musicale du pays, auxquelles sont incorporées des influences extérieures, que ce soit en utilisant de nouveaux instruments comme les synthétiseurs ou en s'inspirant d'autres styles comme le funk, le disco ou le RnB, voire la variété française.
 
Dans les années 90, le raï est sorti de son pays pour partir à la conquête du monde. C’est via l’importante diaspora algérienne en France que cette musique s’internationalisa.
 
A cette époque il y eut en effet une sorte de moment raï dans notre pays, avec de nombreux titres qui passaient à la radio ou à la télé, des stars médiatisées, etc.
 
Ce tremplin hexagonal s’explique également pour une raison plus tragique. Ces années sont en effet aussi celles de la guerre civile qui déchira l’Algérie, dans la période qu’on connait désormais sous le nom de décennie noire. 
 
Elle démarra par l’annulation du premier scrutin démocratique depuis l’indépendance, le gouvernement FLN s’opposant à la victoire du FIS, l’alternative islamiste qui avait raflé la mise. 
 
A partir de ce moment-là, des groupes armés prirent le maquis et semèrent la terreur. Le pays sombra dans le chaos et le sang : tout ce qui était ou semblait lié à l’Occident était la cible de ces mouvements, mais également ce qui était considéré comme impie et non islamique. 
 
Parmi la très longue liste de choses et gens vérifiant ce critère, il y avait les chanteurs de raï, dont bon nombre traversèrent alors la Méditerranée pour ne pas finir égorgés.
 
De ce fait, la scène raï française s’enrichit, se structura et devint plus importante, avant de quitter sa niche pour un temps devenir mainstream. Et parmi les nombreux artistes qui percèrent à ce moment-là, il y avait Cheb Khaled, l'auteur du monumental titre Didi que je vais évoquer aujourd'hui.
 
Je n’étais pas du tout fan de raï à l’époque, aujourd’hui non plus d’ailleurs, mais c’est pour d’autres raisons que je voulais parler de ce tube, qu’avec le temps je me suis mis à aimer.
 
Khaled est un chanteur très expressif, à la voix puissante et selon ses pairs (notamment Jean-Jacques Goldman qui lui écrivit un de ses hits) un très bon musicien.
 
Dans Didi il chante avec passion ce qui semble une supplique amoureuse, accompagné par un orchestre qui souligne ses refrains avec éclat, mêlant instruments traditionnels et modernes dans un rythme balancé et très entraînant.
 
Dans le clip il est entouré de jeunes des deux sexes qui dansent : ces gens nous ressemblent et cette vidéo, plutôt banale en soi, respire l’hédonisme, la fête et la joie de vivre.
 
C’est cet aspect sur lequel je reviens, parce qu’avec le recul, on se rend compte que ce clip illustre une période disparue, celle où les peuples du Maghreb étaient plus proches de l’Occident, où l’islam était une religion plus qu’un mode de vie et où finalement un Algérien ressemblait simplement à un Italien ou un Corse qui ne mangerait pas de porc et ne boirait pas d’alcool.
 
La deuxième guerre d’Algérie s’est terminée par la défaite des maquis islamistes, dont les survivants furent invités à se rendre en échange d’une amnistie.
 
Ce fut une défaite militaire, mais une victoire idéologique, puisque beaucoup de choses changèrent durablement, dans la mesure où l’on assista à un virage très net dans l’idéologie et les modes de vie.
 
Le réveil islamique a fait que l’endogamie est devenue plus stricte, l’habillement, surtout féminin, plus halal, l’alcool plus clandestin, le sécularisme plus fragile avec une répression accrue des voix non musulmanes.
 
Et à partir de là, en écho avec leurs sociétés d’origine, les diasporas maghrébines ont changé à leur tour.
 
Ses membres ne sont désormais plus seulement les successeurs des Portugais, des Italiens ou des Polonais, mais également autre chose.
 
Ils sont l’enjeu d’une bataille entre deux modèles de société au pire incompatibles, au mieux franchement disjoints et dont les frictions sont quotidiennes dans tous les lieux où l’on cohabite, de l’école à l’hôpital en passant par la rue, les administrations ou le travail.
 
Quoi qu’il sorte de cette angoissante confrontation et des bouleversements que continuent de vivre les pays du Maghreb, rien n’est fatal ni écrit, et Didi en est un beau témoignage.

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