dimanche 13 juin 2010

Humour (1): Humour du rideau de fer

Bien qu'étant relativement jeune lors de l'écroulement du bloc communiste européen, je me souviens avoir été marqué par cette époque, la guerre froide, où l'organisation du monde paraissait plus simple qu'aujourd'hui et où la menace russe structurait une bonne partie de la politique extérieure.

Par la suite, j'ai rencontré pas mal de gens qui avaient grandi ou vécu "de l'autre côté" et le récit de leur vie et de leurs relations avec ce régime oscillait entre le tragique et le comique, car ils étaient sensibles à l'absurdité du système dans lequel ils vivaient, piégés qu'ils étaient entre une vie de plus en plus dure, un arbitraire total et des discours ronflants et totalement déconnectés.

Ce post listera une série de blagues, toutes venues du monde communiste, inspirées à leurs auteurs (qui pouvaient payer très cher cette irrévérence) par la situation.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Dieu est en train d'accueillir les nouveaux arrivants au paradis, quand il aperçoit dans la queue un démon. N'en croyant pas ses yeux, il regarde mieux, et se rend compte qu'en fait il n'y a pas un mais des dizaines de démons qui font la queue devant les portes du paradis !
Il se précipite vers le premier et lui dit:
- Mais qu'est-ce que vous faites là? Qu'est-ce que vous voulez ??!!
Le démon répond:
- Ben...c'est-à-dire que Staline est mort. Il est bien sur allé en enfer, et...euh...enfin, voilà: en fait nous sommes les premiers réfugiés politiques !

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

 Un homme meurt et arrive en enfer. Il se rend compte qu'il y a deux entrées: l'enfer capitaliste et l'enfer communiste. Il va voir le premier et demande au démon de faction devant la porte:
- Qu'est-ce qui se passe ici?
- C'est simple, pour commencer on te fouette, après on t'écorche, ensuite on t'ébouillante et après on te coupe en petits morceaux !
- C'est horrible !!!
Et il file vers l'enfer communiste, devant lequel il y a une longue file d'attente. Il demande au démon de faction devant la porte:
- Qu'est-ce qui se passe ici?
- Et bien, pour commencer on te fouette, après on t'écorche, ensuite on t'ébouillante et après on te coupe en petits morceaux !
- Mais c'est horrible, c'est la même chose que l'enfer capitaliste ! Pourquoi y a-t-il cette queue alors?
- Et bien à vrai dire...quelques fois les fouets sont en rupture de stock, d'autre fois on manque de couteau à écorcher, et il arrive régulièrement qu'on n'ait plus d'eau chaude...

Blagues soviétiques:

C'est un Russe qui commande une voiture.
Il a rempli tous les obstacles, complété tous les formulaires, réussi à passer tous les entretiens, les enquêtes, graissé toutes les pattes qu'il fallait, etc.
Au guichet où il remet son dossier, on lui annonce qu'on viendra lui livrer la voiture...dans dix ans.
- Le matin ou l'après-midi?, demande-t-il.
Étonné, le fonctionnaire lui répond:
- Je vous dis dans dix ans, et vous me demandez le matin ou l'après-midi?! Mais pourquoi donc?
- Ben, en fait, c'est parce que ce jour-là le plombier vient le matin.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Question: Qu'est-ce qui ne vibre pas et ne rentre pas dans les fesses?
Réponse: Un vibro-masseur made in URSS

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Un Français, un Anglais et un Russe sont au musée. Ils s'arrêtent devant un magnifique tableau d'Adam et Eve au paradis.
L'Anglais s'exclame:
- Regardez-les, ils se cachent pudiquement le sexe, ils ont l'air gênés: ce sont des Anglais !
A quoi le Français répond:
- Mais non, regardez, ils sont tous nus, ils ont l'air de s'aimer, ils sont beaux: ce sont des Français !
C'est alors que le russe déclare:
- Mais non, regardez bien, ils n'ont rien à se mettre sur le dos, ils n'ont qu'une pomme pour se nourrir, et on leur fait croire qu'ils sont au paradis: ce sont des Russes, bien sur !!

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Staline rentre chez lui après un meeting. Dans la voiture il discute avec son chauffeur:
- Alors camarade, n'es-tu pas heureux de la victoire du socialisme? N'es-tu pas mieux qu'avant la révolution?
- Honnêtement? Et bien, à vrai dire, avant la révolution j'avais deux costumes, aujourd'hui je n'en ai plus qu'un...
Staline répond:
- Mais voyons, de quoi parles-tu donc ! Imagine qu'en Afrique, ils sont si misérables qu'ils n'ont même pas de costume à se mettre !!
- Ah bon? Et à quand remonte leur révolution?

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

C'est un homme qui va au restaurant dans les années 90. Il prend sa commande:
- Bonjour, je voudrais un bortj pour commencer, suivi d'un steak, d'une tarte et d'un café, s'il vous plait. Et vous me donnerez aussi la Pravda.
Embêté, le serveur lui fait remarquer:
- Vous savez, j'ai bien peur de ne pas pouvoir vous donner la Pravda, les temps ont changé et ce journal n'existe plus...
Il lui sert néanmoins le bortj. Le client mange, puis ravi, lui dit:
- Excellent ce bortj, vraiment ! Vous pouvez m'amener mon steak, avec la Pravda, s'il vous plait.
Le serveur lui redit:
- Euh...vous savez, je ne pourrais pas vous donner la Pravda. Le régime a changé et ce journal a disparu des kiosques, alors...
Pas de réponse. Il lui amène donc le steak, que mange le client avec appétit. Une fois qu'il a terminé, il rappelle le serveur et lui dit:
- Très bon, ce steak, vraiment ! Amenez-moi la tarte s'il vous plait, et aussi la Pravda, tant que vous y êtes.
Un peu agacé cette fois-ci, le serveur répond:
- Écoutez, vous ne m'avez pas bien compris, je ne peux pas vous amener la Pravda. Çà n'existe plus, les communistes sont partis, et leur journal avec!
Pas de réaction. Il file en cuisine et lui amène alors son dessert, que le client mange goulument avant de lui dire:
- Divine, votre tarte ! Amenez-moi donc le café, maintenant. Et apportez-moi aussi la Pravda!
Cette fois-ci le serveur explose:
- Mais c'est pas possible, je me tue à vous le dire !! Il n'y a plus de communistes, c'est fini, plus de Pravda, c'est terminé !!!
Alors le client:
- Je le sais, bien sur, mais vous savez, c'est tellement bon de vous l'entendre dire...

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Au goulag, trois zek se demandent mutuellement pourquoi ils sont arrivés là.
Le premier dit:
- J'arrivais chaque jour avec cinq minutes de retard au boulot: j'ai été condamné pour sabotage.
Le second dit:
- J'arrivais chaque jour avec cinq minutes d'avance au boulot; j'ai été condamné pour espionnage.
Et le troisième dit:
- J'arrivais chaque jour exactement à l'heure au boulot: j'ai été condamné pour possession d'une montre fabriquée en Occident (!)

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Brejnev lit un discours à la tribune des jeux olympiques d'hiver:
- Oh Oh Oh Oh Oh...
Rapidement s'approche un conseiller qui lui dit à l'oreille:
- Non, ça c'est juste le logo Camarade Brejnev !

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Une bande de moutons essayent de traverser la frontière pour fuir l'URSS.
Un douanier les retrouve et les arrête. Il leur demande:
- Pourquoi voulez-vous quitter l'URSS?
Les moutons répondent:
- A cause de la police secrète! Staline a ordonné d'arrêter tous les éléphants!
Le douanier, surpris:
- Mais vous n'êtes pas des éléphants!!
Les moutons, haussant les épaules:
- Oui, mais essayez d'expliquer çà à la police secrète...

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Une délégation de Géorgie est venue en visite auprès de Staline.
Au moment où elle s'en va, Staline se rend compte que sa pipe a disparu.
Aussitôt, il va voir Béria:
- Arrête immédiatement la délégation géorgienne et demande-leur qui a volé ma pipe!
Béria s'exécute immédiatement.
Cinq minutes plus tard, Staline retrouve sa pipe, simplement tombée sous son fauteuil.
Il va alors revoir Béria:
- Laisse tomber, j'ai retrouvé ma pipe !
- Trop tard, dit Béria, la moitié de la délégation a reconnu avoir volé ta pipe, et l'autre moitié est morte pendant l'interrogatoire...

Blagues tchécoslovaques (apparues après le printemps de Prague):

Question: Quel est le pays le plus neutre du monde?
Réponse: La Tchécoslovaquie, parce qu'elle n'intervient même pas dans sa propre politique intérieure...

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Question: Que sont pour nous les soviétiques? Nos amis ou nos frères?
Réponse: Nos frères, parce que ses amis, on peut les choisir !

Blagues roumaines:

C'est un employé roumain qui rentre de son travail en avance et trouve sa femme au lit avec son meilleur ami.
Tout de suite il s'écrit, fou de colère:
- Mais tu es folle !! Tu n'as pas entendu qu'il y avait une livraison de beurre à l'épicerie du coin?

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Deux Roumains font la queue depuis une heure. La queue est immense, n'avance pas et de nouvelles personnes s'agglutinent toujours plus nombreuses...soudain l'un des deux craque:
- Ce n'est pas possible, j'en ai marre de faire la queue, je craque ! Je vais aller tuer Ceausescu !!!
Et il part.
Deux heures plus tard, il revient et reprend sa place près de son ami. Celui-ci, inquiet lui demande:
- Alors, tu l'as tué???
- Ben non, la queue est encore plus longue...

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pendant la visite de De Gaulle en Roumanie (en 1968).
Les De Gaulle atterrissent à Bucarest. En bas, les attendent les époux Ceausescu, habillés comme deux ploucs et aux yeux de rapace.
Yvonne De Gaulle, en les voyant, s'exclame:
- Mon dieu !
Immédiatement, Elena Ceausescu se tourne vers son mari, ravie:
- Tu as vu? Elle t'a appelé Dieu !

Blagues allemandes:

Deux employés allemands discutent:
- Sais-tu pourquoi alors qu'on manque de tout on a encore du papier hygiénique double feuille? C'est parce qu'on doit envoyer un double de tout à Moscou !

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Une blague de la fin des années 80:
On annonce qu'une grande expédition de renflouement du Titanic est lancée, financée à grands frais par le Royaume-Uni, les USA et la RDA.
Les Britanniques veulent récupérer leur navire.
Les Américains veulent en faire l'attraction phare d'un grand parc.
Les Est-Allemands veulent en savoir un peu plus sur l'orchestre qui jouait pendant que le Titanic coulait.

Suivant: Humour (2): Bide et musique (Radionaze) et Nanarland

lundi 3 mai 2010

Orthodoxes et schismatiques (5) - Le christianisme: les orthodoxes

Après l'effondrement de l'empire romain d'occident, de nombreuses variantes du christianisme cohabitaient dans le monde, souvent de manière conflictuelle. C'est dans ce contexte que l'évêque de Rome, le Pape, décida d'uniformiser les liturgies autour du rite latin.

Il se heurta alors au patriarche de Constantinople, attaché à la liturgie grecque, et ce conflit donna lieu au premier grand schisme du christianisme.

A partir de cette date, en effet, les chrétiens relevant du Pape furent appelés catholiques, et ceux des différentes églises d'orient orthodoxes.

Il est à noter que la frontière entre les deux confessions correspond grosso modo à la frontière qui séparait jadis les deux moitiés de l'empire romain. Schématiquement, sont catholiques les chrétiens de l'ex-empire romain d'occident, et orthodoxes ceux de l'empire byzantin, héritier de la moitié est de l'empire romain.

Quelques points de doctrine supplémentaires différencient ces deux confessions, et les églises orthodoxes sont moins hiérarchisées que la catholique. Mais la séparation entre les deux christianismes resta superficielle jusqu'à la quatrième croisade, qui vit les croisés occidentaux se détourner de la Terre Sainte pour conquérir et piller Constantinople, la capitale du monde orthodoxe.

Cet acte entérina une rupture définitive entre catholiques et orthodoxes, lesquels n'oublièrent jamais ce sacrilège.

Le destin des églises orthodoxes fut également marqué par leur proximité géographique avec les puissances islamiques, arabes puis turques, qui les dominèrent longtemps. Ainsi l'empire ottoman conquit ou vassalisa une grande partie du monde orthodoxe (Grèce, Serbie, Bulgarie, Roumanie...), et ce pendant de très longues périodes.

Cette domination empêcha que la confession orthodoxe connaisse à l'extérieur de l'Europe une expansion équivalente à celles de ses rivales catholique et protestante.

L'exception notable à cette règle fut la Russie, qui est aujourd'hui de très loin le plus grand pays orthodoxe (un orthodoxe sur deux est russe).

Dominé par les descendants islamisés des mongols de Genghis Khan, le royaume des tsars s'en libéra assez tôt pour se lancer dans une longue expansion territoriale vers l'est, exportant dans la foulée sa foi en Asie et jusqu'en Amérique (en Alaska certains indiens ont gardé les rites des missionnaires russes).

La Russie orthodoxe s'est aussi peu à peu vue comme "la troisième Rome", notamment suite à la conquête de Constantinople par les Turcs, conquête vue comme une punition divine par les Russes. Le nationalisme russe a intégré cette dimension religieuse et messianique.

C'est aussi en Russie que sont nées plusieurs branches alternatives de l'orthodoxie, dont je citerai deux exemples.

1. les vieux croyants

A la fin des années 1600, l'église orthodoxe russe décida de se réformer, sous l'égide du patriarche Nikon. L'idée de cette réforme semble avoir été de rassembler les orthodoxes du monde entier derrière la Troisième Rome moscovite.

Pour cela, il fut décidé de changer les rites utilisés en Russie pour les faire converger avec ceux des Grecs. Cette réforme toucha essentiellement à la forme: nombre de alléluia passant de deux à trois, signes de croix différents, formules revues, etc.

Cependant, cette réforme allait entrainer un profond rejet d'une partie des Russes, et aboutir à un clash entre l'ancien et le nouveau rite. Ce dernier venant d'en haut, puisque le tsar y souscrivait, les "raskolnik", ainsi qu'on va appeler les fidèles de l'ancien rite, furent excommuniés puis persécutés et/ou exploités par les pouvoirs successifs de Russie.

Beaucoup d'entre eux durent s'enfuirent pour pouvoir rester fidèles à leur foi. On les retrouva dans les terres isolées de l'est de la Russie, mais aussi à l'étranger.

Nombre d'entre eux s'installèrent dans divers pays d'Amérique, mais aussi en Europe, notamment en Roumanie, où leurs descendants constituent la communauté des "lipovènes", qui vivent essentiellement dans le delta du Danube.


Très attachés aux rites, les raskolniks sont habillés de façon traditionnelle (avec notamment une longue barbe pour les hommes), vivent sobrement et entre eux, suivent le Carême et les rituels à la lettre, etc. On peut faire un parallèle dans la démarche avec les amish du monde protestant.

Il est à noter ces dernières années un souhait du gouvernement russe de "rapatrier" les raskolniks de l'étranger pour peupler une Sibérie qui semble se vider inexorablement.

2. les skoptzys

Bien plus étrange fut la secte des skoptzys, apparue en Russie vers la fin du 18ième siècle.

Au cœur de leur croyance était en effet la diabolisation de la sexualité, considérée comme un attribut du mal, ce qui poussait les adeptes vers la castration (ablation de la verge et/ou des testicules pour les hommes, des seins et/ou des lèvres pour les femmes). On pouvait toutefois se marier et avoir un enfant avant l'opération.


Il semble que cette secte ait rencontré un certain succès en Russie, y compris dans l'intelligentsia, ce qui entraina une répression du pouvoir, et la fuite d'une partie des skoptzys à l'étranger.

Comme les lipovènes, une partie d'entre eux s'installa en Roumanie, et nombre d'auteurs roumains classiques parlent des cochers châtrés de Bucarest. On pense qu'aujourd'hui ils ont disparu.

Début: Orthodoxes et schismatiques (1) - Introduction
Précédent: Orthodoxes et schismatiques (4) - Le christianisme: les catholiques
Suivant: Orthodoxes et schismatiques (6) - Le christianisme: les protestants

vendredi 30 avril 2010

Gare routière de Bagnolet

Depuis que je suis enfant j'entends beaucoup parler des "immigrés".

On en parle dans les conversations, dans les discours politiques, dans les journaux, à la télévision, en bien ou en mal, mais presque toujours avec passion...

"Les immigrés ne s'intègrent pas", "Les immigrés volent notre travail", "Les immigrés détruisent notre pays" d'un côté. "Les immigrés enrichissent notre culture", "Les immigrés sont des victimes", "Les immigrés sont exploités" de l'autre.

Pour moi qui ai vécu en zone rurale, tout cela est finalement resté assez longtemps abstrait, et l'immigré une créature un peu exotique, un peu mythique.


Plus tard, quand je suis devenu citadin, j'ai commencé à en côtoyer mais comme pour tant de gens finalement, de manière superficielle et sans vraiment voir leur réalité.

Des immigrés, je voyais le visage, la couleur, les vêtements, je notais la religion, les coutumes et la langue qui me différenciaient d'eux, mais pas plus que d'un français d'une autre région.
 
J'ai d'ailleurs longtemps vécu dans des endroits où ils étaient marginaux, invisibles, rares, et où l'écrasante majorité de mes voisins étaient des français de souche.

Depuis quelques années, je suis cependant passé "de l'autre côté", des circonstances personnelles m'ayant amené à voir mon pays à travers les yeux et l'expérience de gens issus de cette immigration pauvre en provenance des pays sous-développés d'Asie, d'Afrique et d'Europe de l'est dont on parle quand on dit les immigrés (il est en effet intéressant de noter que les américains, anglais ou suédois qui s'installent en France ne sont pas désignés par ce terme).

Et quand on parle d'immigré, il faut se rappeler qu'à la base il s'agit de quelqu'un qui vient d'ailleurs, qui est parti d'un endroit où c'était lui l'autochtone, et qu'une bonne partie de sa vie se passe entre son monde d'origine et son monde d'adoption.

Un bon endroit pour appréhender cette réalité, c'est la gare routière internationale de Bagnolet.

Bagnolet est une banlieue populaire de Seine-Saint-Denis, le fameux 9-3, ce département que l'on connait pour être celui de tous les records: pauvreté, fécondité, immigration, délinquance, islam, etc...

C'est dans cette banlieue, séparée des arrondissements pauvres de l'est parisien par le périphérique, que partent et arrivent les réseaux de bus internationaux qui relient la France et son étranger proche.

Coincée entre des tours gigantesques et des voies d'accès bétonnées de toute part, la gare y est impersonnelle et laide.

Pourvue de grands parkings, plutôt bien tenue malgré les odeurs mêlées de pollution, d'essence et de poussière, il y règne une ambiance particulière,celle des adieux, celle des séparations, des espoirs, des soucis, celle des petits moyens de ceux qui ne peuvent pas se payer l'avion ou partir en voiture.

En permanence des gens y attendent (les horaires des bus sont tout sauf garantis), fatalistes ou anxieux, immobiles ou faisant les cent pas, taiseux ou s'étourdissant de paroles dans diverses langues.

Ceux qui se retrouvent dans la joie croisent la douleur de ceux qui doivent se séparer, chacun y allant de ses larmes, de ses conseils, de ses recommandations, de ses comptes rendus de voyage, de ses combines, de ses sandwiches et bouteilles d'eau pour la route.

Des gens du Maghreb croisent ceux d'Europe de l'est. Ils sont étudiants, travailleurs saisonniers, trafiquants à la petite semaine, parents venus voir leurs enfants...

Parfois, ils sont aussi des malchanceux, de retour de leur rêve européen, ou plus rarement des routards de toute origine qui cherchent le moindre coût pour rentrer chez eux ou partir en voyage.

Par-delà les origines, ces gens ont un vécu commun, des attitudes communes, un espèce de mélange de fatalisme, de roublardise, de ténacité et de superstitions qui les rapprochent.

Ils essaient d'ajouter encore un bagage, ils s'énervent de l'intransigeance de règlements qui les dépassent, ils ont les mêmes sacs en toile cirée bourrés à ras bord...

Cet endroit n'est ni agréable ni édénique, mais il n'est pas non plus misérable ou indigne. Il ouvre juste un peu les yeux sur ce qu'ont en commun tous les immigrés pauvres du monde qui ont du ou cru devoir partir pour avoir une vie meilleure. Un immigré, c'est finalement juste ça.

Cette motivation qui les fait partir est universelle et respectable. Et chacun peut la comprendre, quelle que soit son opinion sur la politique migratoire à appliquer, sur les différences de culture ou sur ce qu'il est souhaitable ou non d'accepter.

mercredi 21 avril 2010

Le boeuf clandestin

Le post d'aujourd'hui sera à couleur "philosophique", si on peut dire.

Ce matin j'avais un rendez-vous avant d'aller travailler. C'était à un endroit de la ville que je ne connaissais pas.

J'y suis arrivé pas mal en avance et j'en suis reparti en début de matinée, ce qui m'a donné deux petits temps morts, deux moments volés à ma journée que j'ai savourés comme deux trop rares friandises.

Il faisait beau, j'ai flâné au hasard des rues, qui dans cet endroit avaient des noms peu ordinaires (j'ai noté une rue du château des rentiers et une rue des terres au curé).

J'ai détaillé les maisons, les bâtiments, les fleurs et les terrains vagues.

J'ai croisé des ouvriers étrangers devisant devant un café avant de s'attaquer à la tâche. J'ai vu des vieilles personnes vaquant à leurs courses matinales.

J'ai vu des employés fumant leur cigarette sur le trottoir, accrochant quelques bribes de conversation en passant.

J'ai mangé un gâteau acheté au hasard dans une boulangerie que je ne connaissais pas.

J'ai vu des rues quasi vides, tranquilles...

J'adore ce genre de moment où je ne suis pas là où je suis d'habitude, où en dehors de mes horaires, je me sens en quelque sorte voyeur, voleur de moments.

J'aime en particulier le matin, ce moment de la journée où tout semble plein d'allant et de promesses, où le peuple de la nuit dort, où les racailles sont rentrées chez elles, où le jour se lève doucement.

En fait, ma vie est peu à peu devenue une course permanente entre le boulot, ma femme, mes enfants, ma famille, mes amis, les responsabilités, les tâches ménagères, les soucis des uns et des autres, les paperasses...il y a toujours quelque chose à faire et si l'on n'y prend pas garde, l'existence peut finir par se résumer à une pile de tâches à faire.

Aussi, me ménager délibérément un intervalle à moi entre deux de ces tâches, les boycotter sciemment et presque en cachette me procure un grand plaisir, plaisir d'autant plus important qu'il est solitaire et non partagé, qu'en quelque sorte c'est mon secret. C'est un peu comme lire ou surfer quand tout le monde dort.

Et cela me rappelle un livre de mon cher Marcel Aymé, intitulé "Le bœuf clandestin".

Ce titre étrange fait référence à un personnage du roman, un notable respecté et suffisant qui s'affirme végétarien et qui est considéré avec un grand respect par tout le monde pour ce choix difficile...et qui se prépare et mange des steaks le dimanche matin, quand toute la famille bonne inclue est à la messe.

Le bonheur...

mercredi 31 mars 2010

Sympathy for fascism

Ce post m'a été inspiré par le constat que plus de soixante ans après la défaite d'Hitler, on n'a jamais autant parlé de nazisme.

Ça va de la pléthore de films, téléfilms et séries traitant de l'occupation aux insultes entre politiques en passant par le fameux "Reductio at hitlerum" et le "point Godwin", théories stipulant que toute discussion un peu animée est susceptible d'arriver à une référence à Hitler.

En fait, tout se passe comme si le nazisme était aujourd'hui pour l'Occident le symbole du mal, remplaçant ce bon vieux Diable cornu par Hitler et ses sbires.

Et tout comme le diable, le nazisme peut exercer une sorte de fascination sur les gens, être "sexy", comme me le disait un ami.

Après une petite introduction sur les différents types d'extrême droite et le totalitarisme, je vais donc essayer de faire un bilan de la perception du fascisme/nazisme depuis leur invention, avant de détailler différents aspects de cette fascination/répulsion et leur héritage dans nos sociétés.

Plusieurs extrêmes droites

Je crois tout d'abord utile de préciser un peu les différentes typologies de l'extrême droite. On englobe en effet trop souvent derrière le terme "fascisme" des idéologies très différentes.

Il existe deux grands types d'extrême droite.

Je désignerais la première sous le terme d'extrême droite conservatrice ou réactionnaire.

Celle-ci se caractérise par un rejet de la modernité politique, une exaltation d'un passé mythifié vers lequel il faut retourner, un attachement à la religion dominante, à la terre.

Se définissant comme une réaction par rapport à des mouvements "progressistes" (notamment le républicanisme) qui sont vus comme des distorsions artificielles d'un "état naturel" des sociétés, elle n'est pas nécessairement expansive, militariste ou raciste. Elle se veut un retour vers cet ordre naturel et s'appuie généralement sur la religion et sur des notables enracinés.

On peut rattacher à cette forme d'extrême droite le National-Catholicisme de Franco, l'Estado Novo de Salazar, l’État français de Pétain, le régime grec des colonels ou le Chili de Pinochet.

La deuxième forme d'extrême droite, celle qui nous intéresse et dans laquelle s'inscrit le nazisme, est dite révolutionnaire.

Ce type d'idéologie est né après la première guerre mondiale, sur les décombres de l'expérience traumatisante des tranchées.

Il est radicalement différent des régimes conservateurs dans le sens où il ne propose pas le retour à un ordre ancien, mais la création de quelque chose qui, s'il peut s'appuyer sur un passé mythique, est totalement nouveau.

En ce sens, l'extrême droite révolutionnaire est donc bien plus proche de l'autre forme de totalitarisme, les régimes communistes, que de l'extrême droite conservatrice. Elle partage d'ailleurs un certain nombre de techniques avec eux.

Le premier régime d'extrême droite révolutionnaire est né en Italie, c'est le fascisme de Benito Mussolini.

Il se caractérisait par un rejet du parlementarisme, une violence assumée et revendiquée, par une militarisation de la société, la glorification de la guerre et de l'action volontaire, le regroupement derrière un chef, la négation de l'individu, l'endoctrinement de masse.

On a du mal à l'imaginer aujourd'hui, mais l'Italie mussolinienne a suscité une véritable fascination dans le monde entier.
 
Ce nouveau régime, qui semblait prometteur et plus efficace que la démocratie, a été admiré par des gens aussi divers que Winston Churchill, Juan Péron ou même les Birionim, un sous-groupe des sionistes de droite.
 
L'attirance qu'il suscitait était égale à celle que le communisme pouvait exercer.

L'URSS ne s'y est d'ailleurs pas trompée, puisque devant la montée de l'extrême droite, Staline changea son fusil d'épaule et encouragea la création de fronts populaires, c'est-à-dire les unions entre communistes et gauche parlementaire qu'il avait précédemment violemment condamnées.

Cependant, le plus célèbre admirateur de l'Italie fasciste était Adolf Hitler. Celui-ci allait s'inspirer des idées du Duce pour créer son parti national-socialiste, y ajoutant toutefois une nouveauté essentielle, la lecture raciale du monde qui était absente à l'origine des idées de Mussolini (il y avait ainsi des juifs parmi les fascistes historiques).

Le nazisme allait être incomparablement plus "efficace" que le fascisme dans l'atteinte de ses objectifs, à tel point que Mussolini finira comme simple vassal d'Hitler, qui lui gardera toutefois son admiration jusqu'à la fin sordide qui fut la sienne.

Et le nazisme devint le diable

La défaite du nazisme à l'issue de la seconde guerre mondiale allait marquer la rétrocession de l'extrême droite au rang des idées infréquentables.

La chute du régime, le procès de Nuremberg, la condamnation à la face du monde des crimes du Troisième Reich, notamment l'innommable Shoah, allaient marquer le nazisme du sceau de l'infamie.

Cette condamnation sans appel allait servir d'alibi au communisme de Staline, sorti vainqueur de la guerre. Cet autre totalitarisme s'engouffra dans la brèche en taxant de "fasciste" et en accusant de collusion avec les régimes passés tous ceux qui s'opposaient à son régime, aussi bien en URSS que dans les "pays frères".

Cette condamnation allait aussi permettre de repeindre durablement en noir et blanc un monde complexe, où personne n'était vraiment blanc, les ex-collabos n'étant pas les derniers à hurler au loup nazi.

Bref, dans les années 50 l'extrême droite commença son long purgatoire, une histoire officielle pesante et manichéenne en faisant durablement la personnification du mal.

Le retour des idées

Cependant peu à peu le temps passa, et la lecture monolithique du nazisme et de l'histoire commença à se fissurer, présageant le retour de l'extrême droite auquel on assiste.

Le communisme et ses variantes, notamment "exotiques" (parti baas, guevarisme, sandinisme, castrisme) avaient exercé sur la génération d'après-guerre une attirance très forte, une grande séduction, et imposé au plus grand nombre sa vision du monde et du "fascisme", épithète de plus en plus utilisé dans des contextes hors de propos pour disqualifier toute opposition.

Le début de la crise économique, l'arrivée d'une nouvelle génération, désœuvrée, un peu "cassée" et révoltée fit que punks et skinheads ressortirent croix gammées, looks militaires et saluts nazis du placard, comme provocation à l'égard de leurs parents dont ils prenaient l'absolu contrepied.

En ce sens, on peut dire que le nazisme joua justement ici le même rôle que le satanisme dans les Rolling Stones (d'où le titre que j'ai donné à ce post, n'ayant personnellement aucune sympathie pour le nazisme !).

Mais une fois passé l'effet de mode, une partie d'entre ceux qui avaient joué avec finit par ressortir la vraie idéologie nazie. On les retrouva chez les skinheads nazifiants, dits "boneheads", et dans les versions nationalistes des mouvements de supporters de football, comme les hooligans anglais ou les membres du virage Boulogne au PSG.

Ces mouvements, finalement assez marginaux sur le long terme, furent très médiatisés dans les années 80 du fait de quelques actions retentissantes.

En même temps apparurent chez les plus anciens des nostalgies de mieux en mieux assumées, notamment chez les Italiens qui se souviennent du fascisme comme une époque d'ordre.

Il y a quelques années, lors d'un voyage en Sicile, j'avais été très étonné de trouver des statues du Duce en vente comme souvenirs.

Je m'étais alors entendu dire par une amie locale que ses grands-parents regrettaient cette époque où l'on pouvait dormir la porte ouverte et où le gouvernement italien s'était attaqué frontalement à la Mafia pour la première (et dernière?) fois.

Un autre moment clé de la réhabilitation des idées d'extrême droite fut la chute des dictatures communistes de l'est.

Dans ces pays, écrasés pendant cinquante ans par une propagande quotidienne pleine de mensonges et un régime dont la faillite matérielle et morale était patente, le temps s'était figé dans l'avant-guerre, et les régimes et mouvements d'extrême droite qui avaient généralement précédé la satellisation par l'URSS étaient et sont encore plutôt bien vus et populaires.

En fait, on se retrouve là-bas dans la situation inverse de la France par exemple, où notre coupable indulgence vis-à-vis du communisme vient de son importance dans la résistance face au fascisme. Chez eux, c'est exactement l'inverse.

La faillite du communisme eut aussi des effets en Occident. Sur un fond de mondialisation et de libéralisation des échanges, le PC, déjà privé des fonds d'un URSS bien occupé par sa propre sauvegarde, perdit toute sa crédibilité, et beaucoup de personnes perdirent avec la fin de ce parti une communauté qui les structurait et les protégeait, voire une sorte d'autorité morale.

Parallèlement, on assistait à l'augmentation de la visibilité des enfants des immigrés des Trente Glorieuses. En effet, devant l'absence de perspective dans des pays d'origine qui ne tenaient pas les promesses de leurs indépendances, la plupart des hommes venus travailler temporairement en Europe avait fini par faire jouer le regroupement familial et par s'installer avec femmes et enfants.

Ces communautés furent au premier rang des victimes de la crise, se trouvant en quelque sorte en concurrence avec les déshérités "de souche".

De plus, ces nouveaux migrants présentaient des caractéristiques différentes des précédentes vagues migratoires. Venues de l'extérieur du continent européen, elles étaient plus visibles, et leurs religions, modes de vie ou de pensée étaient ou semblaient plus différents.

Devant la crise et le rejet, une partie d'entre elles se réfugièrent dans une forme de revendication identitaire, une volonté d'entre soi, de garder ses références, même au prix d'un conflit avec la société d'accueil, volonté d'autant plus importante quand la communauté était issue d'un pays anciennement colonisé.

Je pense par exemple à la communauté algérienne de France et à la situation schizophrénique qui faisaient que des gens ayant été privés de pays pendant plus d'un siècle venaient s'installer chez l'oppresseur au moment où ils acquéraient l'indépendance.

La manifestation la plus éclatante de cette revendication identitaire est l'entrée de l'islam dans l'espace public, avec des remises en cause de la mixité sexuelle et de la place de la religion dans des sociétés sécularisées, cet islam dérivant parfois en islamisme et terrorisme.

Et donc, ce cumul de différences culturelles et religieuses parfois difficiles à vivre avec la fin de la cohabitation dans le travail, sépara encore plus des communautés d'autochtones et d'immigrés que rien ni personne n'avaient incité au rapprochement.

La conjugaison de ces facteurs, importance démographique des immigrés et montée de l'intégrisme chez eux d'une part, fin du PC et hausse du chômage d'autre part, entraina une hausse de la xénophobie et du rejet de l'autre, et une réapparition d'idées de séparation, de différences irréductibles, voire de hiérarchie des "races".

Cela se matérialisa en France par le passage de toute une catégorie sociale du PC au FN, et un peu partout en Europe par le retour de partis d'extrême droite se réclamant pour tout ou partie et de moins en moins discrètement des régimes des années 30.

Ainsi, en ce début de XXIième siècle on peut dire que l'extrême droite, même si elle sent toujours officiellement le souffre, a retrouvé une partie de son pouvoir de séduction, et qu'elle a singulièrement le vent en poupe sur notre continent.

Je terminerai ce post par la question de "l'héritage" de l'imagerie nazie dans notre culture.

Héritage et imagerie nazie

L'Allemagne d'Hitler maitrisait à la perfection les outils de propagande. Elle s'appuyait de manière novatrice sur les médias pour vendre son idéologie, et bénéficiait des techniques les plus avancées.

On peut citer l'utilisation de la radio par Goebbels et les films de Leni Riefenstahl, "Le triomphe de la volonté" (sur les congrès nazis de Nuremberg) et "Les dieux du stade" (sur les jeux olympiques de Berlin). Ces deux films utilisèrent des techniques révolutionnaires, à commencer par la couleur.

La couleur était également utilisée dans le magazine "Signal", journal à l'intention des pays occupés qui contenait un cahier de photos couleur, ce qui était unique à l'époque.

Il est aussi ironique de constater que dans les années 30, les nazis avaient certaines préoccupations de notre époque qui n'étaient pas partagés par le monde libre.

Ainsi les nazis ont promulgué la législation de protection des animaux la plus avancée de l'époque, et le Troisième Reich fut le premier pays à mener une campagne anti-tabac.

La violence brutale et assumée du nazisme, l'approche de l'humanité comme un corps en combat où seuls les forts méritent de survivre, la sélection naturelle opposée à la charité et à l'humanisme comportent également un aspect qui fascine. Le "nous sommes des barbares" provocateur a un côté transgressif qui peut séduire.

Toute cette esthétique nazie a bel et bien fonctionné et quelque part est toujours présente dans notre inconscient.

Un bon exemple est l'étude du cinéma. J'ai noté que dans la plupart des films traitant de cette époque, les SS sont joués par des acteurs vérifiant les caractéristiques de l'homme nouveau souhaité par les nazis: blonds, athlétiques mais raffinés, ils sont souvent des exemples de parfaits aryens.

Toujours dans le cinéma, le film "Portier de nuit", qui raconte une relation sado-masochiste entre un ex-bourreau et son ex-victime du temps où ils étaient dans un camp nazi a fait date. Il a montré pour la première fois une forme de complaisance avec une version fantasmée de ce que fut le nazisme.

A sa suite est apparu le courant de cinéma B dit Nazisploitation, où le régime hitlérien sert d'alibi pour enrober du porno et de l'horreur dans une pseudo-dénonciation.

Dans le même ordre d'idée on peut citer l'épouvantable "Salo ou les cent vingt jours de Sodome" de Pasolini.

Ainsi, peu à peu, le nazisme a fini par se "folkloriser", et sa dénonciation systématique et à tout propos nous éloigne de ce qu'il était réellement et pragmatiquement.

On peut constater un peu le même genre d'approche vis-à-vis du communisme, mais dans l'autre sens, dans ce que les médias appellent "l'Ostalgie", courant regardant avec une bienveillance amusée l'ex-bloc de l'Est, dont les régimes sont vus comme des systèmes incongrus, voire drôles.

Tout cela n'est pas sans danger, car cette folklorisation, qu'elle soit dans la diabolisation ou l'indulgence, peut préparer aux réhabilitations, aux négationnismes.

L'histoire n'est qu'un éternel recommencement, ne l'oublions pas.

vendredi 26 mars 2010

Etat de la France (2): Ghettoïsation planifiée?

Attentif aux revendications des minorités et aux problèmes liés à l'organisation de nos villes, avec notamment l'architecture fonctionnelle dont les grands ensembles sont les modèles, je voudrais tordre le coup à un cliché un peu trop répandu.

Non, les "cités" n'ont pas été créées et pensées pour parquer les noirs et les arabes.

Dans ce post, je vais essayer de montrer la logique qui a prévalu lors de la construction de ces grands ensembles et expliquer la dynamique qui en a fait des ghettos, ces ghettos étant à la base plus socio-économiques qu'ethniques, même si les apparences semblent dire le contraire.

Une crise du logement sans précédent

Après la seconde guerre mondiale, la France a connu un problème de logement très important, pour différentes raisons.

D'abord, suite aux bombardements et aux actions de guerre, de nombreuses villes avaient été détruites, laissant énormément de gens dans la rue ou dans des taudis.

A la même époque le pays connaissait une très forte pression démographique.

Celle-ci était d'abord liée à une natalité en hausse (c'est ce qu'on a appelé le baby boom), mais aussi à une immigration très importante, encouragée par des employeurs à la recherche de main d’œuvre peu coûteuse, et également par un État soucieux de faire baisser les tensions dans ses colonies.

Dans celles-ci en effet, la natalité "indigène" connaissait une véritable envolée, l'arrivée de nombreux jeunes sur le marché du travail et dans les villes ajoutant aux tensions inhérentes au modèle colonial. Leur trouver un travail en métropole permettrait de contenir, croyait-on, les velléités indépendantistes ou anti-françaises.

(NB: j'ai récemment lu dans plusieurs sources, notamment ICI, des opinions plus nuancées sur ce sujet, à savoir que l'immigration coloniale n'a pour ainsi dire jamais été encouragée et que l'offre a toujours été supérieure à la demande).

Enfin, toujours à propos des colonies, l'indépendance de l'Algérie en 1962 a causé en quelques mois le débarquement sur le sol français de plus d'un million de Pieds-Noirs et de Harkis, arrivés la plupart du temps avec seulement leurs deux yeux pour pleurer et aucune adresse (la majorité ne connaissait que l'Algérie).

Bien rares étaient les dirigeants qui avaient anticipé un tel exode, et la question du relogement de tous ces gens s'ajouta à la pression déjà existante.

On peut noter d'ailleurs que toutes les décolonisations entrainèrent l'arrivée de rapatriés, même si c'était sans commune mesure avec l'exode pied-noir.

Une volonté de développer l'hygiène et les infrastructures

L’État français avait également de grandes ambitions en terme d’aménagement du pays. A cette époque on voulait éradiquer les taudis, électrifier l'ensemble du territoire, assainir les zones insalubres, installer un téléphone digne de ce nom, l'eau courante, le tout à l'égout...mes grands-parents, issus d'une vieille province rurale, me racontaient les conditions d'entassement et de saleté où devaient vivre un tas de gens.

On a aussi voulu aussi résorber les bidonvilles d'immigrés, devant lesquels beaucoup de gens s'indignaient, à juste titre. Pour mémoire, dans ces bidonvilles il y avait autant d'immigrés européens qu'africains. Le plus célèbre d'entre eux, celui de Nanterre, se partageait entre Algériens et Portugais.

Il y avait enfin une volonté de limiter l'étalement urbain.

La réponse: les grands ensembles

Pour relever ces défis impressionnants, l’État a choisi d'adopter l'architecture dite des "grands ensembles", construisant de gigantesques tours d'habitation un peu à l'écart des villes, et théorisant la séparation nette des activités dans l'espace urbain: des zones d'habitation, des zones de travail, des zones de loisir.

A l'époque ces barres d'immeubles, qui aujourd'hui nous semblent si hostiles, étaient bien souvent vues comme un progrès, aussi bien par l’État que par les habitants, parce qu'ils assuraient l'accès à l'hygiène et au confort à des gens de toutes origines qui ne connaissaient pas ça.

Pour se replonger dans le contexte, je conseille la lecture du livre Les petits enfants du siècle de Christine Rochefort, on encore celle de l'excellent Le gone du chaaba d'Azouz Begag.

L’adoption de cette solution des grands ensembles n'était d’ailleurs pas propre à la France, mais à beaucoup de pays, surtout les économies à tradition dirigistes (les pays ex-communistes ont fait la même chose, par exemple). Cela ne posait pas trop de problèmes à l'ère du plein emploi et de l'énergie bon marché.

D'ailleurs ces HLM étaient pensées comme des tremplins pour les familles avant qu'elles ne puissent accéder à la propriété.

La crise économique

Lorsque la crise est arrivée, à partir du milieu des années 70, les choses ont commencé à mal tourner. Petit à petit ces endroits sont devenus des zones de relégation cumulant tous les problèmes.

Progressivement, ces logements vite construits dans des matériaux peu pérennes ont commencé à se dégrader, leurs habitants, de condition modeste et aux emplois peu qualifiés ont été les premières victimes du chômage, avec le cortège de problèmes qu'il entraine: baisse du pouvoir d'achat et de l'autorité parentale, déprime, alcoolisme, drogue, délinquance. L'explosion du coût de l'essence a également rendu les distances plus longues et augmenté l'isolement.

Le cercle vicieux de l'écrémage a alors commencé: tous les gens qui le pouvaient ont quitté ces endroits, remplacés par d'autres plus pauvres, plus marginaux, cette spirale accélérant la dégradation et la marginalisation de ces zones. Et aujourd'hui il n'est pas rare de passer une vie entière en HLM (souvent par obligation) ce qui n'avait pas du tout été la mission initiale de ce type d'habitation.

Dans ce processus, aucun lien direct avec la couleur ou l'origine. On retrouve cette même évolution dans tous les pays de l’Est, qui sont à peu près vides d'immigrés mais ont connu une histoire similaire, leurs villes ayant aujourd'hui les mêmes quartiers délabrés pleins de chômeurs et à l’écart de tout que chez nous.

Il est vrai qu’il y a parfois eu -et qu'il y a encore- des "arrangements" pour réserver tel palier ou tel immeuble à telle population, par facilité ou calcul cynique.

Souvent d'ailleurs les populations en question, qu'elles soient françaises ou immigrées, étaient ou sont demandeuses de cette séparation, car le vivre ensemble n'est pas inné, et les tensions pas rares.

Mais au début ces barres étaient bel et bien pleines de Français de souche, et n'ont pas été initialement conçues pour y parquer les immigrés.

Je ne dis pas que les problèmes ne sont pas là aujourd'hui : il faut les regarder en face et ne pas les nier, mais il est dangereux de réécrire l'histoire, et la ghettoïsation que l'on constate n'a certes pas été le but initial.

D’ailleurs on peut se demander quel intérêt un état peut avoir à construire des ghettos de chômeurs d’origine étrangère.

Lien:
- Film sur l'évolution du regard médiatique porté sur les grands ensembles


Précédent: État de la France (1): Introduction
Suivant: État de la France (3): Neuilly, capitale de la France politique